Robert Burns. Angellier Auguste

Robert Burns - Angellier Auguste


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et dans lequel il avait déjà écrit une grande partie de ses œuvres. Il était dépaysé lorsqu'il voulait écrire en anglais. Il employait dans sa prose un anglais fort et nerveux, mais, en poésie, il devait se contraindre pour que l'accent du pays ne reparût pas, et cette contrainte le paralysait.

      «Les chansons anglaises m'embarrassent à mort. Je n'ai pas la maîtrise de ce langage que j'ai de ma langue natale. En vérité, je pense que mes idées sont plus pauvres en anglais qu'en écossais. J'ai essayé d'habiller Duncan Gray en anglais, mais tout ce que je peux faire est déplorablement stupide.125»

      En dehors de cette convenance personnelle, il y avait à ce choix une cause qui pénétrait plus avant dans les choses elles-mêmes. Burns avait bien compris que la musique écossaise, pastorale et sortie d'un peuple de bergers, s'accommodait mieux d'un langage rustique et voisin d'elle. Il avait conscience d'une sorte d'affinité entre ce dialecte dorique, comme il l'appelait, et ces mélodies de montagnes.

      «Laissez-moi vous faire remarquer que, dans le sentiment et le style de nos airs écossais, il y a une simplicité pastorale, quelque chose qu'on pourrait dénommer le style et le dialecte dorique de la musique vocale, à quoi une petite dose de notre langage et de nos manières natales est particulièrement, bien plus, uniquement adaptée.126»

      C'est une idée à laquelle il revenait constamment, et toujours avec une grande précision de termes:

      «Il y a, dans un léger mélange de mots et de phraséologie écossais, une naïveté, une simplicité pastorale, qui est plus en rapport, du moins à mon goût et j'ajouterai au goût de tout vrai Calédonien, – avec le pathétique simple ou la légèreté rustique de notre musique nationale, que n'importe quels vers anglais.127»

      Il y avait là un sens artistique très fin des rapports entre les paroles et la musique. L'œuvre de Burns y a certainement gagné. Il convient d'ajouter que la justesse de cette vue a eu une importance capitale pour l'histoire littéraire de l'Écosse. Si Burns n'avait pas été si ferme sur ce point et avait écrit pour des airs écossais des paroles anglaises, comme celles que son collaborateur Peter Pindar a pu fournir, quelle que fût du reste leur différence, l'œuvre de Thomson devenait quelque chose de mixte et d'incolore. Tout un fonds de chansons écossaises que Burns a reprises, rajeunies, ravivées, disons le mot, sauvées, était perdu. Toutes ces parcelles d'or étaient charriées dans l'oubli. L'Écosse y perdait un des titres de sa gloire littéraire.

      Une fois sa résolution prise, il se mit à l'œuvre avec une vraie passion, recueillant de tous côtés de vieilles chansons, et surtout de vieux airs. Il était infatigable à cette recherche, et il est intéressant de voir où il allait récolter le moindre fragment de mélodie populaire. Tantôt il faisait chanter à sa femme les airs qu'elle savait: «l'air a été pris de la voix de Mrs Burns128». D'autres fois, il faisait sa moisson dans les campagnes: «J'ai encore chez moi plusieurs airs écossais manuscrits que j'ai recueillis en grande partie des chants des fillettes de la campagne»129. Dans son enthousiasme, il interrogeait tout le monde autour de lui: «J'ai rencontré, dans les volontaires de Breadalbane qui sont cantonnés ici, un highlander musical qui m'assure se souvenir très bien que sa mère chantait des chansons gaéliques sur Robin Adair et Gramachree»130. Les airs écossais ne lui suffisaient pas. Il en recueillait d'irlandais qui pouvaient servir de canevas à une chanson131. Il allait plus loin; il trouva un air hindou.

      «Je vous envoie une curiosité musicale, un air des Indes orientales, dont vous jureriez que c'est un air écossais. J'en connais l'authenticité, attendu que le gentleman qui l'a rapporté est un de mes amis particuliers.132»

      Il ne mettait pas moins d'ingéniosité à adapter les airs que d'activité à les découvrir. Tantôt, c'était un des anciens chants d'église que les gens de la Réforme, pour les rendre ridicules, avaient affublés de paroles grossières.

      «Connaissez-vous une amusante chanson écossaise, plus fameuse pour son humour que pour sa délicatesse, et appelée: l'Oie grise et le Milan? M. Clarke l'a notée sur ma demande, et je l'enverrai à Johnson avec des vers plus décents. M. Clarke dit que l'air est positivement un vieux chant de l'Église romaine, ce qui corrobore la vieille tradition que, à la Réforme, les Réformés ont ridiculisé beaucoup de la vieille musique d'église en l'appliquant à des vers obscènes.133»

      Tantôt, c'était un air de danse, un reel, qu'on pouvait transformer, en le jouant avec une autre expression.

      «Vous connaissez Fraser, le joueur de hautbois d'Édimbourg; il est ici à instruire un orchestre pour un corps de milice cantonné dans ce pays. Parmi ses nombreux airs qui me plaisent, il y en a un, bien connu comme reel, sous le nom de la Femme du Quaker, et que je me rappelle avoir souvent entendu chanter à une de mes vieilles tantes, sous le nom de Liggeram Cosh, ma jolie fillette. Mr. Fraser le joue lentement et avec une expression qui me charme tout à fait. J'en suis devenu si enthousiaste que j'ai écrit dessus une chanson que je vous envoie, en y joignant la mesure sur laquelle Fraser joue l'air.134»

      Tantôt, c'est un air de chanson comique qu'il suffirait de ralentir pour le changer en un air sentimental.

       Quand elle entra, elle salua est un air plus charmant que les deux autres, et, s'il était joué en manière d'andante, il ferait une charmante ballade sentimentale135.

      Ce n'est en aucun cas une besogne facile que d'adapter des paroles sur de la musique. Pour Burns, elle était doublement malaisée. Il avait affaire à ces airs écossais, si bizarres, si déconcertants, que c'est un tour de force que de contraindre les mots à leurs sinuosités, à leurs élans imprévus, à leurs bonds brusques, à ce quelque chose de farouche et de fuyant qui fait leur charme. Ils possèdent à un degré extrême l'étrangeté naturelle aux airs nés dans les montagnes et dans lesquels semblent avoir passé les modulations glissantes du vent. «Certaines mélodies populaires des pays de montagnes, tels que la Suisse, l'Auvergne, l'Écosse, dit M. Fétis en parlant de la mesure, sont empreintes de nombreuses irrégularités de ce genre, et n'en sont pas moins agréables. L'irrégularité est même ce qui plaît le plus dans ces sortes de mélodies, parce qu'elle contribue à leur donner la physionomie particulière, étrange, sauvage si l'on veut, qui pique notre curiosité en nous tirant de nos habitudes»136. Ici, la difficulté augmentait encore. Il est probable qu'il y a un rapport, non encore noté, entre le parler d'un peuple et ses mélodies. Ces airs, pour la plupart d'origine celtique, se dérobent à un langage d'une autre origine, ou se cabrent contre lui; leur rhythme secoue et disloque son accent. Encore ces obstacles sont-ils atténués pour les écrivains dont la langue est molle, s'étend et se plie comme de la glaise. Mais le style de Burns est compact et court; il est tout composé de mots solides. Comment les réduire à accompagner ces détours ondoyants? Que d'essais! De combien de façons il faut les placer, les déplacer, les replacer, les essayer, pour en arracher le chant désiré! C'est un travail d'une telle difficulté qu'un homme d'une grande dextérité de main, le célèbre Peter Pindar137, qui avait promis des chansons à Thomson, ne tarda pas à y renoncer. «Peter Pindar, écrivait Thomson à Burns, a soulevé je ne sais combien de difficultés pour écrire sur les airs que je lui ai envoyés, à cause de la singularité de la mesure et des entraves qu'ils imposent au vol de son Pégase»138.

      Burns lui-même sentit combien cette tâche était dure et il l'avouait franchement:

      «Il y a, dans beaucoup de nos airs, un rhythme particulier, une nécessité d'adapter


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<p>125</p>

To G. Thomson, 19th Oct. 1794.

<p>126</p>

To G. Thomson, 26th Oct. 1792.

<p>127</p>

To G. Thomson, Jan. 26th, 1793.

<p>128</p>

To G. Thomson, 19th Oct. 1794.

<p>129</p>

To G. Thomson, April 1793.

<p>130</p>

To G. Thomson, August 1793.

<p>131</p>

To G. Thomson, Sept. 1794.

<p>132</p>

To G. Thomson, 19th Oct. 1794.

<p>133</p>

To G. Thomson, Sept. 1794.

<p>134</p>

To G. Thomson, June 1793.

<p>135</p>

To G. Thomson, Sept. 1793.

<p>136</p>

F. – J. Fétis. La musique mise à la portée de tout le monde, p. 105.

<p>137</p>

Son vrai nom était John Wolcot (1738-1819).

<p>138</p>

G. Thomson, to Robert Burns, Jan. 20th, 1793.