Robert Burns. Angellier Auguste
s'approchèrent tous de lui;
L'un demanda qu'on fît place aux danseurs,
Car Will Swain fait des merveilles.
Toutes les filles crièrent: «Ah! ah!»
Et, Seigneur! Will Young se mit à rire.
«Allons, commères, allons-nous en,
Nous avons dansé assez
Pour une fois
À la fête de Peebles164».
On se prépare à s'en retourner. Personne n'a l'air de songer au pauvre souffleur de cornemuse, qui s'est fatigué toute la journée et réclame son dû.
Le cornemusier dit: «Je commence
À être fatigué de jouer pour vous;
Et on ne m'a encore rien donné
Pour tous les airs que j'ai joués;
Trois sous pour un demi jour,
Cela ne vous ruinera pas;
Mais si vous ne me donnez rien du tout,
Que le grand Diable vous accompagne,»
Dit-il,
À la fête de Peebles165.
L'heure du départ arrive. Les gars et les filles se disent adieu, tout tristes de se quitter et se promettent de se revoir. Chacun s'en va de son côté.
Le sujet de À Christ's Kirk sur le pré est également la peinture d'une fête rustique, mais dans un autre ton. Sauf le début où se trouve une riante arrivée de jeunes filles qui viennent danser dans leurs robes neuves, la pièce tout entière est le récit d'une bataille entre paysans. Il n'y a pas de tableau plus exact d'une de ces bagarres qui éclatent souvent à la fin des fêtes villageoises. Cela commence par une querelle à la danse: on se bouscule, on se bourre, on se brutalise, on se menace, on saisit les arcs, quelques flèches volent, et voilà la bagarre lancée. Elle se répand et tourbillonne. Il y a là une suite de strophes pleines de tumulte, de coups, de clameurs, d'un entrain superbe. En un clin d'œil, toute une populace se rue dans la querelle. Ils arrivent de tous côtés, à folles enjambées, accourent se faire casser la tête; ils ont des bâtons, des fourches et des fléaux; ils frappent à tort et à travers, les gourdins s'abattent sur les échines, les coups tintent sur les crânes, les barbes sont pleines de sang, les corps jonchent le sol; deux bergers se battent à coups de tête et se cossent comme des béliers; d'autres vont chercher le brancard d'une charrette et poussent dans le tas, frappant aux figures et défonçant les dents; les femmes sortent, accourent, piaillent, glapissent, se précipitent dans les bousculades; les enfants les y suivent; toute cette cohue se cogne, s'étreint, s'arrache, se buche, trébuche, roule, grouille, s'entasse, s'écrase, dans une trépignée générale. Le tocsin sonne si fort que le clocher en balance. Et tout d'un coup, sans qu'on sache ni comment, ni pourquoi, la fureur tombe, la bataille s'arrête, les gens éreintés se calment, se regardent, ahuris et penauds de s'être entre-tués. C'est une peinture vigoureuse et pourtant comique d'une de ces folies de coups qui s'emparent des foules, à la fin des foires et des marchés. Pendant quelques instants, une frénésie de combat affole cette tourbe; c'est la décharge de nerfs grossiers surexcités par une journée de fête166.
Ce sont deux jolis morceaux, pleins déjà de toutes les qualités qui marquent cette branche de la poésie écossaise. Ils sont lestes, solides, nerveux, solidement appuyés sur la vie, avec le sens d'un grotesque de proportions moyennes qui tient le milieu entre l'observation et la caricature167. Ce sont deux tableaux flamands. Non pas des Téniers, ils n'en ont ni la touche lumineuse et légère, ni les couleurs claires, gaies, se jouant dans une harmonie argentée. Ils sont plus frustes, d'un pinceau moins souple, mais plus vigoureux. On les comparerait volontiers aux tableaux du vieux Pierre Breughel. Il recherchait lui aussi les foires et les kermesses, les scènes de gaîté naïve, semées d'ivrognes trébuchants, et de couples qui dansent. Il les a représentés, du premier coup, avec une bonne humeur primesautière, un entrain et une solidité d'observation, que nul de ses successeurs n'a dépassés. On le surnomma pour cette raison Breughel le Drôle, Breughel le Jovial, et le Breughel des Paysans. Il est le Maître de tout le réalisme flamand. L'auteur de À la fête de Peebles et de À Christ's Kirk sur le pré a droit à la même place dans l'histoire de la poésie écossaise. Allan Ramsay aura un coloris plus léger et plus vif, mais il a moins de force et d'observation. Fergusson aura plus de précision et une notation plus minutieuse des détails, avec moins de mouvement et de gaîté. Burns seul lui sera supérieur.
Outre leurs qualités, ces deux pièces sont intéressantes parce qu'elles ont servi de modèle à beaucoup de ces petits poèmes écossais. Leur cadre a été conservé: l'arrivée le matin sur les routes, les descriptions de la journée, puis le retour des couples le soir, avec quelques plaisanteries appropriées. C'est le plan de la Foire de la Toussaint et des Courses de Leith de Fergusson; c'est exactement celui de la Foire-Sainte de Burns. On a souvent dit que ce poème était imité des Courses de Leith. C'est plus haut qu'il convient de remonter, car la pièce de Fergusson est elle-même calquée sur les deux vieux poèmes.
Ils ont de plus fourni la strophe dans laquelle, avec de légers changements, toute cette suite de tableaux est écrite. C'est une strophe de dix vers: les huit premiers sont des vers de quatre pieds et de trois pieds, alternés; les vers de quatre pieds riment entre eux, et ceux de trois entre eux aussi; le neuvième vers ne compte qu'un pied, il ne rime pas, il sert à détacher le refrain de la strophe et à le faire claquer à part. Ce refrain a trois pieds dans À la Fête de Peebles, et quatre dans À Christ's Kirk sur le pré; il ne rime pas, mais il est le même à travers tout le morceau. Voici à peu près l'effet de cette strophe, d'après une de celles de À Christ's Kirk sur le pré; c'est une imitation qui n'a aucune prétention à l'exactitude.
Le grand Hugh saisit son bâton,
Et va dans la bagarre;
Il tape dans le peloton,
Criant qu'on se sépare;
Fol qui se mêle en hanneton
À pareil tintamarre;
Quand il eut reçu son horion,
Alors il cria: «Gare!
Je meurs!»
À Christ's Kirk sur l'herbe du pré168.
Allan Ramsay, dans la continuation qu'il donna de ce poème, employa la même strophe avec un léger changement. Il fit disparaître le dixième vers et transporta le refrain au neuvième, qu'il allongea d'un pied. Mais il conserva les deux rimes pour les huit premiers. Voici un exemple de cette strophe ainsi modifiée:
À l'est du ciel, l'aube clignote,
Et les coqs de chanter;
Le fermier ouvre l'œil et rote,
Commence à s'étirer;
La fermière se lève et trotte,
Et commence à crier;
Les gars sautent sur leur culotte,
Et les chiens d'aboyer,
Ce matin-là169.
La strophe de Fergusson diffère encore un peu plus de la strophe initiale. Elle n'a elle aussi que neuf vers. Les huit premiers sont également de quatre et de trois pieds alternés. Les vers de quatre pieds riment entre eux, et ceux de trois entre eux également, mais, au lieu des deux rimes uniques qui maintiennent toute la strophe, il y en a quatre, en sorte que la strophe est en réalité coupée en deux. Le petit vers d'un pied est supprimé, et le refrain le remplace, raccourci, car il n'a généralement que deux pieds.
Le rustaud John,
164
165
166
Il est probable que la première de ces deux pièces, qui ne fut publiée qu'en 1785, était inconnue à Burns, mais la seconde était couramment populaire. Allan Ramsay l'avait imitée, le Rev John Skinner, l'ami de Burns, en écrivit une traduction en vers latins. Il y avait longtemps d'ailleurs que Pope avait dit:
167
Voir Veitch.
168
169