Robert Burns. Angellier Auguste

Robert Burns - Angellier Auguste


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rapide de la Solway. On avait placé la plus âgée plus avant, afin que la vue de son agonie terrifiât la plus jeune. Mais l'héroïque fille continua à prier et à chanter des psaumes, jusqu'au moment où les vagues étouffèrent sa voix. Cela se passait en 1685. À la chute de Jacques II, une grande multitude alla ensevelir, avec recueillement, les têtes et les mains des martyrs qui étaient exposées sur les portes d'Édimbourg. Quand un peuple vit dans ces angoisses et ces colères, il n'y a point de place en son âme pour des rêves de littérature. La Révolution de 1688 amena la fin de ces temps douloureux. Peu à peu les esprits se détendirent, dépouillèrent leur obstination farouche, entr'ouvrirent leur dure austérité, laissèrent s'approcher, pénétrer même des idées ailées et gaies, avant-courrières de l'art, et premières abeilles qui entrent bourdonner un instant dans les chambres froides encore de l'hiver.

      Un peu plus tard, l'acte d'Union mêla à ce sentiment de sécurité un élan de patriotisme plutôt rétrospectif qu'actif, et où il entrait plus de regret que de révolte. On sentait bien que l'union des deux royaumes était un événement inévitable et utile. Cependant on perdait avec peine l'indépendance nationale. Les discussions et les discours reportèrent l'attention vers le passé du pays, vers ses titres glorieux de bravoure et de poésie. C'est alors que commença cette étude de l'histoire nationale, cette récolte des souvenirs qui se sont continués à travers tout le XVIIIe siècle, et dont on peut dire que Walter Scott a été le dernier et le plus illustre ouvrier. Ses romans ont été la synthèse embellie de ces travaux successifs. Au sortir de la pesante littérature théologique, les premières productions du temps sont des ouvrages d'archéologie ou d'histoire locale: Les Exploits guerriers de la Nation Écossaise, de Patrick Abercombry; les Vies et les Caractères des plus Éminents Écrivains de la Nation Écossaise, du Dr George Mackenzie: le premier en deux volumes in-folio, le second en trois du même format; les dimensions théologiques persistaient encore. En même temps, on commença à recueillir les chansons et les ballades populaires. Le premier des nombreux recueils qui allaient se succéder fut publié par Watson, en 1706188. Le mouvement était lancé.

      En sorte que, vers le commencement du XVIIIe siècle, il était devenu possible que l'Écosse eût une littérature, et qu'il y avait des motifs pour que cette littérature, sur le terrain de la poésie tout au moins, fût une littérature nationale.

      Ce fut Allan Ramsay qui eut la gloire de l'inaugurer, en grande partie par ses propres œuvres, et aussi en récoltant les gerbes éparses et en les rentrant dans la grange. Sa vie, bien que dépourvue de dramatique, ne laisse pas que d'être bien intéressante189. Comme presque tous les poètes écossais, il s'est formé lui-même. Il était né en 1686, dans un petit village du comté de Lanark, au fond d'un district montagneux, plein d'eaux courantes. C'est là, sans doute, qu'il apprit à aimer la campagne et que le côté pastoral de son talent prit son germe190. De bonne heure, il perdit son père. Peu après, sa mère se remaria; à l'âge de quinze ans, il la perdit et se trouva tout à fait orphelin. Son beau-père l'emmena à Édimbourg, afin qu'il y apprît le métier, alors florissant, de perruquier. Le pauvre apprenti, désormais seul au monde, dut se tirer de la vie du mieux qu'il le put. Il n'avait personne pour l'aider, mais il était déterminé à faire son chemin, et doucement, lentement mais sûrement, il ne cessa de s'élever. Par la persévérance dans l'effort, la prudence et le sens pratique, sa vie fait un contraste avec celle de Burns. Il apprit tranquillement son métier. Son humeur joviale, son esprit, lui donnèrent l'entrée de ces clubs qui étaient alors une des formes de la vie intellectuelle d'Edimburgh. C'est là qu'il composa ses premières pièces: c'était sa contribution aux plaisirs de la soirée. Peu à peu sa réputation se répandit. Il commença à publier des poèmes de circonstances, sur des feuilles volantes. Les braves gens d'Édimbourg envoyaient leurs enfants avec un penny acheter «le dernier morceau de Ramsay191». Son ambition et ses efforts grandirent. En 1716, il publia sa continuation du poème de À Christ's kirk sur le pré. Vers la même époque, continuant, sans jamais reculer d'un pas, sa marche ascendante dans la vie, il abandonna son état de perruquier et s'établit libraire, dans une petite boutique, qui avait pour enseigne une grossière statue de Mercure192. Tout en menant son nouveau métier, il continua à écrire des poésies de toute espèce: chansons, épîtres, élégies, pastorales, et il publia ses recueils de vieilles poésies. En 1725, il donna son chef-d'œuvre, la pastorale du Noble Berger193. Ses affaires prospérant, il alla s'établir dans une autre boutique dont il décora la façade des bustes de Ben Jonson et de Drummond de Hawthornden. Il y ouvrait – car il était homme d'initiative – la première librairie circulante établie en Écosse. Il s'est représenté, lui-même, comme:

      Un petit homme qui aime ses aises,

      Et n'a jamais pu souffrir longtemps les passions

      Qui se proposaient de lui jouer de mauvais tours194.

      Sa gaîté, son enjouement, sa facilité de mœurs et l'honnêteté souriante de sa vie firent de lui un des premiers qui luttèrent contre l'esprit morose et sombre du temps. Non seulement il le fit dans sa poésie, mais son activité d'homme d'affaires le poussa dans toutes les entreprises qui pouvaient contribuer à égayer et à éclairer l'esprit de ses concitoyens. Il osa encourager les représentations théâtrales, alors frappées de réprobation. Il alla jusqu'à faire construire, à ses frais, en 1736, une salle de spectacles, qui fut presque aussitôt fermée par les magistrats de la cité. Il y perdit beaucoup d'argent. Ce fut sa seule entreprise malheureuse. Il avait peu à peu conquis la richesse, la réputation, d'honorables amitiés. Il se fit bâtir, à l'ombre du château d'Édimbourg, une petite maison, avec une des plus belles vues qu'il y ait en Europe. Il y passa les dernières années d'une vie paisible, laborieuse, et qui n'avait jamais dévié de la ligne droite vers un but utile. Il y mourut en 1757 dans sa soixante-treizième année.

      Le grand service que Ramsay a rendu à la littérature de son pays est d'avoir été véritablement un poète écossais pour les sujets et le langage. «Un écossais de ce temps, dit lord Woodhouselee, parlait écossais et écrivait anglais. Ramsay eut le mérite de transporter le langage oral dans le style écrit195.» Cette remarque n'est qu'à moitié vraie, car tous les poèmes que nous venons de parcourir sont écrits en langue vulgaire. Ce qui est vrai, c'est que, là où il n'y avait eu que des tentatives, Ramsay a laissé un monument. Son mérite est d'avoir fait le même travail, avec une étendue et un talent qui ont assuré à ses œuvres une place dans l'histoire de la poésie, et donné, au dialecte dans lequel elles sont écrites, la dignité d'un langage littéraire. Ses prédécesseurs n'avaient été que des amateurs; il a été un véritable homme de lettres; il en a eu la continuité d'ambition, l'application dans l'effort, la vue claire du but. Il est en cela beaucoup plus littérateur que Fergusson et Burns, qui sont venus après lui. Son œuvre est plus consciente et plus voulue que la leur; elle est aussi moins personnelle et moins éloquente. Il a montré qu'on pouvait être un véritable écrivain en écossais, et que la langue de tout le monde, appliquée jusque-là à des boutades et à des caricatures, pouvait être employée pour des fins plus élevées. Son exemple a éveillé de jeunes ambitions. Et il ne faut pas oublier qu'il a donné à la littérature éparse qui l'avait devancé, de la cohésion et un point d'appui. Comme il arrive qu'un peintre supérieur communique de la valeur à ceux qui l'ont préparé, parce qu'il prête un sens et une direction à leurs tâtonnements, et fournit le point de vue qui les coordonne, en même temps que l'intérêt qu'il y a à les coordonner, Ramsay, en tirant des ébauches de ceux d'avant lui les éléments d'une œuvre, leur a rendu en importance ce qu'ils lui avaient fourni d'aide, et en les rattachant à lui, les a relevés.

      Il a complété ce service de vivifier la littérature nationale en attirant l'attention sur les fragments d'anciennes poésies, chansons ou ballades, qui flottaient au hasard des récitations par tout le pays, ou dormaient dans des


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<p>188</p>

Choice Collection of comic and serious Scots Poems, both ancient and modern, by several hands, Edinburgh 1706-09-11.

<p>189</p>

Voir l'article sur Ramsay dans the Biographical Dictionary of Eminent Scotsmen, et surtout la vie qui se trouve en tête de l'édition de ses œuvres de 1800 et qui est de Chalmers, l'auteur de Caledonia. Cette biographie est, selon l'expression de J. Ross, «la base de toutes celles qui l'ont suivie».

<p>190</p>

Voir, dans l'édition de Ramsay d'Alex. Gardner, Remarks on the Genius and Writings of Allan Ramsay, p. XLIII. – Hill Burton. History of Scotland, tom VIII, p. 546.

<p>191</p>

Notice dans le Biographical Dictionary of Eminent Scotsmen.

<p>192</p>

Voir dans les Reminiscences of old Edinburgh de Daniel Wilson, le chapitre VII du tom I: at the sign of the Mercury.

<p>193</p>

«Il emprunta probablement ce titre au Gentle Shepherd de la XIIe Églogue du Shepherd's Calendar de Spenser» (Ramsay's Life, p. XXVII).

<p>194</p>

The Life of Ramsay, p. XXXIX.

<p>195</p>

Remarks on the Writings of Allan Ramsay, p. XLVI, dans l'édition d'Alex. Gardner.