Robert Burns. Angellier Auguste

Robert Burns - Angellier Auguste


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arcadienne. L'œuvre a quelque chose de faux, qui, du reste, était dans la culture intellectuelle de Ramsay. Il avait gâté sa faculté de voir directement, par un souci d'imitation littéraire; et il avait mal choisi ses modèles. Il avait trop fréquenté Pope. Ce n'est pas que nous n'ayions pour cet habile écrivain une admiration pleine de réserve; mais s'il peut fournir des aphorismes et des épigrammes, si on trouve chez lui des vers faits de main d'ouvrier, achevés, brillants, polis, et si régulièrement rangés que certaines de ses pages font penser à une devanture de coutellerie; ce n'est pas chez lui qu'il faut aller chercher le mouvement et la vie réelle. On peut envoyer la colombe à travers l'œuvre de Pope sans qu'elle en rapporte le moindre rameau vert. Ce fâcheux commerce avait donné à Ramsay une faiblesse pour les vers soutenus, la régularité froide de la forme, et un faux vernis. C'est cet alliage qui a empêché que le Noble Berger ne fût un chef-d'œuvre.

      C'est cependant une œuvre très distinguée. Et ce qui la sauve de n'être qu'une pastorale fade dans le goût du XVIIIe siècle, c'est justement ce fond de réalisme écossais, cette saveur de terroir, qui se trouvent dans les poèmes locaux. Ils apparaissent, et dans le langage que Ramsay a eu le bon sens de conserver, et dans certains traits de mœurs villageoises, et dans le paysage qui est exact, encore qu'il soit un peu embelli. C'est cette substance de réalité qui donne, à une conception un peu artificielle, de la fermeté, et qui la soutient. Il résulte parfois de ce mélange de très excellents effets. Ce fond solide, lorsqu'il se mêle en d'heureuses proportions avec l'idéal un peu raréfiant des classiques modernes, produit des passages d'une grâce achevée, et qui semblent vraiment antiques, parce que la pureté de contour que certains modernes ont empruntée aux anciens s'emplit ici d'un sentiment de vie actuelle. On pense à ces poteries agrestes qui, par un hasard heureux, retrouvent parfois la forme divine des vases grecs. Elles ont, sur les pures imitations artistiques, plus achevées peut-être, je ne sais quel avantage que leur vaut un air de solidité et d'emploi. On sent qu'au lieu d'être des galbes vides, elles contiennent le lait, le vin et l'huile, et qu'elles servent à la vie. Ce passage où deux jeunes paysannes vont laver leur linge à l'eau courante, ne fait-il pas penser à un passage d'idylle antique? Cela se termine comme une vision de naïades.

      Remontons le ruisseau jusqu'au creux de Habbie,

      Où toutes les douceurs du printemps et de l'été croissent:

      Là, entre deux bouleaux, par-dessus une petite cascade,

      L'eau tombe, en faisant un bruit chantant;

      Un bassin, profond jusqu'à la poitrine, et clair comme le cristal,

      Baise de ses lents remous l'herbe qui le borde;

      Nous finirons de laver notre linge tandis que le matin est frais,

      Et, lorsque le jour s'échauffe, nous irons au bassin,

      Et nous y baignerons; cela est sain maintenant en mai,

      Et d'une délicieuse fraîcheur par une journée si chaude198.

      Pour comprendre ce que cette peinture a de particulier dans la poésie anglaise et comment elle s'y distingue par la classique sobriété du dessin, il suffit de la comparer à des peintures analogues prises dans Spenser, dans Shakspeare, ou Shelley. Cette fontaine a l'air d'un coin de tableau du Poussin; elle fait presque penser aux délicats paysages de Fénelon.

      On rencontre ailleurs d'autres passages où la réalité est un peu plus marquée, mais encore dégagée, embellie et simplifiée. Celui-ci, avec sa jolie fille qui sort, toute vermeille et riante, de la brume matinale, et marche dans la rosée, est, à la vérité, un des plus parfaits qui se rencontrent dans Ramsay.

      Hier matin, j'étais éveillé et dehors de bonne heure;

      J'étais appuyé contre un mur bas, regardant au hasard,

      Je vis ma Meg arriver, légère, à travers les prés;

      Je voyais ma Meg, mais Meg ne me voyait pas,

      Car le soleil cheminait encore à travers le brouillard,

      Et elle fut tout près de moi avant qu'elle le sût.

      Ses jupes étaient relevées, et montraient joliment

      Ses jambes droites et nues, plus blanches que la neige.

      Ses cheveux, retroussés dans leur filet, étaient lissés;

      Les boucles de ses tempes se jouaient sur ses joues,

      Ses joues si rouges, et ses yeux si clairs,

      Et Ô! sa bouche a plus de miel qu'une poire.

      Elle était nette, nette dans son corsage de futaine propre;

      Comme elle marchait, glissait, dans l'herbe emperlée,

      Joyeux, je m'écriai: «Ma jolie Meg, viens ici;

      Je m'émerveille pourquoi tu es dehors si tôt,

      Mais je le devine, tu vas cueillir de la rosée.»

      Elle s'enfuit et me dit: «Qu'est-ce que cela vous fait?»

      «Eh bien, bon voyage, Meg Dorts, comme il vous plaira,»

      Lui dis-je insoucieusement, et je sautai le mur pour rentrer.

      Je t'assure, quand elle vit cela, en un clin d'œil,

      Elle revint avec une commission inutile,

      Me malmena d'abord, puis me demanda d'envoyer mon chien

      Pour ramener trois brebis égarées, perdues dans le marais.

      Je me mis à rire, ainsi fit-elle; alors, rapidement,

      Je jetai mes bras autour de son cou et de sa taille,

      Autour de sa taille pliante, et je pris une quantité

      De baisers très doux sur sa bouche brillante.

      Tandis que je la tenais, dur et ferme, dans mes bras,

      Mon âme elle-même bondissait à mes lèvres.

      Fâchée, très fâchée, elle me grondait entre chaque baiser,

      Mais je savais bien qu'elle ne pensait pas ce qu'elle disait199.

      N'est-ce pas aussi joli et aussi précis que du Théocrite? Il n'est pas jusqu'à ce petit mur bas qui ne rappelle un autre mur de champs, sur lequel, d'après le goût de l'art grec pour les silhouettes en plein ciel, était, non pas appuyé mais assis, le garçonnet qui gardait si mal les vignes200. Nous ne connaissons rien dans la poésie de l'époque de Ramsay qui approche de cette fraîcheur, de ce naturel, de cette réalité gracieuse. Entre la poésie de la Renaissance et la moderne, on peut dire que le morceau est unique. Je ne sais pourquoi, par la souplesse aisée du vers, il me fait penser à un Cowper qui, au lieu de comprendre de la femme le charme intime, en aurait compris la grâce extérieure. Cependant nous sommes bien en Écosse. Ce soleil qui se dégage péniblement du brouillard, le costume de la jeune fille sont écossais; les traits des paysages et des personnages sont exacts, et le langage est bien local.

      Le mérite propre de Ramsay, si l'on considère non plus la fonction historique, mais le résultat artistique de son œuvre, est d'avoir touché d'un peu de grâce la vie des paysans écossais. En cela il est unique. Le trait distinctif de la littérature de son pays est un réalisme rude et vigoureux, qui fut longtemps l'expression des mœurs et des âmes. Rien sans doute n'avait pu empêcher la nature de continuer à produire des créatures belles et saines, douées de l'harmonie des proportions et de la démarche, faites pour être la joie du regard humain. Mais une sombre discipline avait interdit le plaisir et enlevé le sens de l'admiration aux esprits. Ramsay les leur restitua. Il discerna la beauté et la séduction qui existaient autour de lui et que personne ne semblait voir. Il les a quelquefois tournées à une gentillesse maniérée. Mais il a rendu à la poésie écossaise son sourire. Il s'est arrêté aux jolis détails de la vie, avec plus de soin et de complaisance qu'aucun des autres poètes écossais. Il est bon d'ajouter toutefois qu'il n'a pas perçu des beautés plus profondes. Il


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<p>198</p>

The Gentle Shepherd, Acte I, scène 2.

<p>199</p>

The Gentle Shepherd, Acte I, scène I.

<p>200</p>

Théocrite. Idylle i.