Robert Burns. Angellier Auguste

Robert Burns - Angellier Auguste


Скачать книгу
baise sa peau blanche;

      Elle, narquoise, dit «Vilain!

      Garde pour toi ta bouche.»

      Il comprend, quelques sols en main

      La rendent moins farouche,

      Pour ce jour-là170.

      C'est de cette strophe-ci que Burns fit usage. On en trouvera plus loin un exemple tiré de lui. Celle de James I nous semble supérieure; elle est plus savante, plus difficile, mieux ramassée, et elle lance le refrain avec plus de nerf, après le petit arrêt. Mais c'est en somme la même forme et la même allure, courte et rapide. Enfin les deux vieux poèmes ont transmis à ceux qui les ont suivis quelque chose de plus subtil et de plus précieux, leur esprit d'observation exacte, leur gaîté, leur ironie, leur franchise de touche, leur besoin de mouvement et d'action, leur goût de terroir. Ces deux pièces sont donc importantes. Elles sont le point de départ et le modèle de toute une série de poèmes populaires qui aboutissent aux chefs-d'œuvre de Burns, et dont la filiation se suit très bien.

      En dépit de l'autorité de M. Veitch, il ne nous semble pas que cette filiation s'établisse d'aucune façon à travers les deux poèmes intitulés: Les Trois contes des Trois prêtres de Peebles, et Les Frères de Berwick171. Ceux-ci ne ressemblent aux pièces que nous avons vues, ni par le choix du sujet rustique et purement écossais, ni par le vers court-vêtu et leste, ni par l'élan lyrique de la strophe, ni par la promptitude et l'allure du récit. Ce sont des histoires étendues et diffuses, se traînant péniblement en vers de dix pieds, sans strophes, de longs fabliaux à la façon du Moyen-Âge, avec digressions morales, satires contre le clergé et allégories172. Le premier raconte un mauvais tour joué par un clerc à un prêtre. Le second se compose de trois histoires morales que trois prêtres de Peebles se racontent, pour se faire mutuellement plaisir. Dans la première de ces histoires, un roi, dans son Parlement assemblé, propose aux trois états trois questions: Pourquoi la famille d'un riche bourgeois ne prospère jamais jusqu'à la troisième génération? Pourquoi les nobles actuels sont-ils tellement dégénérés de leurs ancêtres? Pourquoi le clergé n'est-il plus doué du pouvoir de faire des miracles? On voit toute la distance qu'il y a de ces lentes productions «à tendance morale173» aux joyeux petits poèmes écossais.

      C'est par ailleurs qu'il faut aller pour suivre ce filon de poésie nationale. On sent qu'il se prolonge sous le sol. Çà et là des affleurements le trahissent. Si nous avions à indiquer les traces qui en marquent la continuité et la direction, nous choisirions la pièce de Dunbar Aux marchands d'Édimbourg qui fait penser aux pièces citadines de Fergusson; nous prendrions surtout les deux pièces anonymes intitulées Le Mariage de Jok et Jynny, et La Femme d'Auchtermuchty174. Dans la première, la mère de Jynny énumère à Jok ce que sa fille lui apportera en mariage, et Jok déroule devant la mère de Jynny ce qu'il apporte de son côté. C'est un long inventaire burlesque des deux apports qui, mis ensemble, ne montent pas à beaucoup plus que rien. La drôlerie gît dans la longueur de l'interminable énumération, coupée par le refrain où les noms de Jynny et Jok reviennent accouplés, et claquent l'un contre l'autre comme en de rudes baisers rustiques. La femme d'Auchtermuchty raconte la querelle d'un laboureur avec sa femme.

      À Auchtermuchty, vivait un homme,

      Un mari, à ce qu'on m'a dit,

      Qui savait bien boire à un pot,

      Et n'aimait ni la faim ni le froid.

      Il arriva qu'une fois, un jour,

      Il conduisit la charrue dans la plaine,

      Si cela est vrai, à ce qu'on m'a dit,

      Le jour était mauvais par vent et pluie175.

      Quand il rentre chez lui le soir, mouillé et glacé, il trouve sa femme assise au coin du feu. Rien n'est prêt pour lui ni ses bêtes; pas d'avoine pour son cheval, pas de foin ni de paille pour son bœuf. Il entre en colère et dit que les choses iraient bien mieux si elles étaient réglées par lui. La commère le prend au mot.

      Dit-il: «où est le grain de mes chevaux?

      Mon bœuf n'a ni foin, ni paille,

      Femme, tu iras à la charrue, demain,

      Je serai ménagère, si cela se peut».

      «Époux, dit-elle, je veux bien

      Prendre mon jour de charrue,

      Pourvu que tu veilles aux veaux et vaches,

      Et à toute la maison, dedans et dehors.»

      La pièce est le récit de toutes les maladresses qu'il commet. Il trébuche à chaque pas dans quelque mésaventure. Il lâche les oisons qui s'en vont à sept, un milan s'abat qui en mange cinq. Aux cris des oisons, il accourt; pendant ce temps les veaux s'échappent. Il se met à la baratte et bat le beurre jusqu'à en suer; quand il s'est démené une heure, du diable s'il y a une miette de beurre; il a si bien échauffé le lait que celui-ci ne veut plus se cailler. Il met le pot sur le feu, puis il prend deux brocs pour aller chercher l'eau, quand il revient le pot est brûlé. Il court aux enfants; ils sont barbouillés jusqu'aux yeux; il veut aller laver ses draps, le ruisseau les emporte. Si bien que, le soir, il demande pardon à sa femme, confus, humilié, découragé, rompu.

      Dit-il: «j'abandonne mon office

      Pour le reste de mes jours,

      Car je mettrais la maison à la côte,

      Si j'étais vingt jours ménagère…»

      Dit-elle: «tu peux bien garder la place,

      Car bien sûr je ne la reprendrai pas»;

      Dit-il: «le démon saisisse ta face menteuse,

      Tu seras bien contente de la ravoir.»

      Alors elle empoigna un gros bâton,

      Et le brave homme fit un pas vers la porte,

      Dit-il: «Femme je me tairai,

      Car si on se bat j'aurai mon affaire.»

      Dit-il: «Quand j'abandonnai ma charrue,

      Je m'abandonnai moi-même.

      Je vais retourner à ma charrue,

      Car cette maison et moi nous ne nous entendrons jamais.176»

      La donnée de cette pièce est un peu enfantine sans doute; il est difficile en outre de ne pas y discerner je ne sais quel arrière-goût d'origine étrangère. On dirait plutôt le sujet goguenard d'un fabliau français. Mais les détails sont écossais jusqu'au moindre. Bien que les strophes n'aient pas de refrain, elles conservent cependant l'allure légère et lyrique de ces petits poèmes.

      Pendant le XVIIe siècle, cette branche de poésie fleurit et se développa singulièrement dans une même famille de propriétaires, fermiers du Renfrewshire, les Semple de Beltree. Le premier d'entre eux, Sir James Semple, est l'auteur d'un long poème satirique contre la papauté, intitulé Un cure-dent pour le Pape ou le Pater noster du Colporteur; c'est une longue discussion théologique, en forme de dialogue entre un colporteur et un prêtre. Elle ne relève pas du genre qui nous occupe. C'est un pamphlet religieux en vers177. Mais le fils de Sir James, Robert Semple de Beltree, qui naquit vers 1599 et mourut vers 1670, est un personnage important dans la poésie populaire écossaise. Il l'est pour deux motifs.

      Le premier, c'est qu'il a donné le modèle de ces fausses élégies qui feignent de déplorer la mort d'une personne encore vivante, ou dont la mort est trop lointaine ou trop indifférente pour causer un vrai chagrin. C'est une parodie de lamentation, où, sur un ton moitié


Скачать книгу

<p>170</p> Here country John, in bonnet blue,An' eke his Sunday's claes on,Rins after Meg wi' rokelay new,An' sappy kisses lays on;She'll tauntin' say, «Ye silly coof!Be o' your gab mair sparin».He'll take the hint, and creish her loofWi' what will buy her fairin',To chow that day.R. Fergusson. Hallowfair, Stanza II.
<p>171</p>

Veitch. History and Poetry of the Scottish Borders, chap. X, p. 312 et suivantes.

<p>172</p>

Les deux poèmes se trouvent dans The Book of Scottish Poems de J. Ross.

<p>173</p>

Irving. History of Scotish Poetry, p. 303 et suiv.

<p>174</p>

On trouvera ces deux pièces dans le recueil de J. Ross The Book of Scottish Poems. Dans le petit recueil de Chambers, Popular Scottish Poems, on trouve aussi La Femme d'Auchtermuchty.

<p>175</p>

The Wife of Auchtermuchty, Stanza I.

<p>176</p>

The Wife of Auchtermuchty, la fin.

<p>177</p>

Voir Irving. History of Scotish Poetry, p. 569-72. Il donne des extraits du poème de Sir James Semple.