Robert Burns. Angellier Auguste

Robert Burns - Angellier Auguste


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les ladies Charlotte, Anne et Jeanne,

      Jusqu'aux jolies et joyeuses Bess,

      Qui dansent, nu pieds, sur l'herbe.

      Vers la fin de la même année, il publia un second recueil, plus spécialement national l'Evergreen, collection de Poèmes Écossais écrits par les Ingénieux avant 1600. Ce sont les deux premiers ouvrages marquants dans un genre de recherche qui devait se continuer pendant un siècle, et compter parmi ses ouvriers Burns et Walter Scott. Il ne laisse pas d'être à l'honneur de Ramsay que sa publication précéda de près d'un demi-siècle la fameuse collection de l'évêque Percy. Ce n'est pas que Ramsay ait été le premier, puisque le recueil de Watson avait été publié en 1706, et que l'un de ses plus heureux effets avait été précisément d'éveiller le talent littéraire de Ramsay lui-même. C'est là, en effet, que se trouvait l'Élégie du Brave Heck. Il n'a eu, en rien, le mérite de l'initiative, mais celui d'une volonté et d'une suite plus grandes dans les entreprises. Il est encore vrai qu'il n'a pas accompli sa tâche dans l'esprit de sincérité, d'exactitude et de respect qu'y apporterait un éditeur de nos jours. Il faut l'avouer: il s'est permis des changements, des intercalations, des enjolivements; il a orné, pomponné, attifé, rajeuni ces vieilles chansons, rudes et frustes. Il n'a pas su oublier assez qu'il était perruquier. Il a fait leur toilette, il les a accommodées au goût du jour, mettant çà et là un rien de fard et une vapeur de poudre. Il est probable toutefois qu'il l'a fait avec plus de mesure qu'aucun de ses contemporains, et il est juste de lui en savoir gré. C'était un homme de bon sens et qui tenait à réussir. Il n'a commis que le nécessaire; peut-être n'eût-il pas attiré les regards autrement. En dépit de tout cela, il n'en demeure pas moins certain qu'il a, de ce côté encore, marqué une époque et un point de départ dans l'histoire littéraire de l'Écosse. Les titres ne lui manquent pas à avoir sa statue dans cette rangée d'hommes célèbres qui est la parure d'Édimbourg. De l'endroit où elle est située, dans le bruit de la foule, en face de la maison qu'il s'était construite, on aperçoit la colline solitaire plus hautaine et d'un plus grand caractère où se dresse le monument de Burns. Le rapprochement et la distance sont ainsi marqués.

      Les traits caractéristiques du génie de Ramsay sont le naturel, la grâce, et l'aisance. Il a donné de jolis tableaux, d'une observation facile et un peu superficielle, d'un coloris léger et clair. L'ensemble de son œuvre a quelque chose d'aimable, de riant. Ni la passion douloureuse, ni le drame intime n'y apparaissent; on n'y voit jamais les lueurs sombres ni les éclairs tragiques de Burns, ni la teinte mélancolique de Fergusson. Tout y respire l'optimisme d'un homme qui est satisfait de la vie, parce qu'elle lui a donné ce qu'il souhaitait, et aussi parce qu'il n'a point souhaité plus qu'elle ne peut donner. On y rencontre partout le contentement. Aussi Ramsay jette-t-il sur les hommes un regard qui n'eut jamais ni profondeur ni amertume, et quand Hogarth lui dédia ses illustrations de l'Hudibras, il les offrait à un talent bien différent du sien. Son burin âpre, misanthropique, pénétrant, et qui semblait féroce, fait en un mot pour illustrer les pages terribles de Swift, aurait intimidé, effrayé l'œuvre agréable et mince du poète écossais. La représentation de la vie dans Ramsay s'exerce avec une sorte de jovialité bienveillante. «Allan's glee, la gaîté d'Allan» a dit Burns, en le caractérisant d'un mot196. Mais cette gaîté n'atteint jamais à la forte hilarité de Burns lui-même. C'est la bonhomie d'un homme modéré et heureux.

      Les deux œuvres principales de Allan Ramsay et celles qui nous intéressent le plus dans cette étude sont sa continuation de à Christ's Kirk sur le pré, et son Noble Berger.

      Par le premier de ces poèmes, Ramsay se rattache franchement au véritable créateur du genre de poésie populaire que nous suivons, à l'auteur de à la Fête de Peebles et de à Christ's Kirk sur le pré, Jacques I. Il eût été difficile de mieux reconnaître cette descendance. Il a repris le poème de à Christ's Kirk, à l'endroit où il s'interrompt, et il l'a continué. C'était, on l'a vu, une bagarre de village, un tohu-bohu de coups et bosses, une ripopée d'hommes, d'enfants et de femmes, meurtris, ensanglantés et beuglants. Ramsay trouva cruel de les laisser plus longtemps dans cet état-là. Il ajouta au vieux poème deux chants nouveaux, qui tirent tout le monde de ce mauvais pas et continuent la fête. Vers la fin de la querelle, une commère résolue se jette parmi les combattants avec un grand couteau à choux et les menace de les éventrer s'ils ne cessent pas. On s'arrête, on s'écoute, on s'entend, les uns rarrangent leur tignasse, les autres se bandent le front ou l'œil, la paix est faite. On appelle les musiciens et les danses recommencent; on saute, on boit à plein gosier, on mange à pleines tripes, on s'esclaffe. Vers le soir, on mène la mariée à sa chambre et on jette, selon l'usage, le bas de sa jambe gauche parmi les assistants. Celui où celle qui le reçoit se mariera bientôt. Après quoi tout le monde continue à boire.

      Le savetier, le meunier, le forgeron et Dick,

      Lawrie et le brave Hutchon,

      Gaillards qui n'observaient pas strictement

      Les heures, bien qu'ils fussent vieux,

      Et n'avaient jamais pu se guérir de ce défaut;

      Là où on vendait de la bonne ale,

      Ils en buvaient toute la nuit, dût le démon

      Conseiller à leurs femmes de les chamailler

      Pour les punir le lendemain197.

      Et c'est ainsi que finit le premier des deux chants ajoutés par Ramsay. Le troisième s'ouvre par un tableau du réveil du village, qui n'est pas dépourvu de précision. Les voisins, selon la coutume, pénètrent dans la chambre des mariés et jettent sur le lit les cadeaux de noce. Les plaisanteries roulent. Gars et filles reparaissent mal éveillés, les yeux gonflés de sommeil. La ripaille recommence plantureusement. Les tréteaux qui portent les barils de bière sont soulagés. On essaye de griser le nouveau marié. L'ale coule sur les tables et sur le sol. Une buée d'ivresse monte. Le savetier, le meunier, le forgeron, et Dick, et les autres s'en vont, titubant et trébuchant. Le brave Hutchon a la tête qui bourdonne, comme si elle était pleine de guêpes. Tout cela est plein de détails orduriers ou scabreux, qui rappellent certains coins et certains à-parte des toiles de Téniers. Tous ces mauvais sujets finissent par rentrer chez eux, où leurs femmes les accueillent diversement. Le nouveau marié, qu'on a fini par griser jusqu'aux moelles, va, se tenant à peine debout, rejoindre la mariée. Cela réjouit beaucoup Ramsay et lui inspire des plaisanteries qui ne seraient à l'aise que dans du vieux français. Ainsi finissent les choses. Il y a, par tout cela, un excellent brouhaha d'ivrognerie et de gaîté rustiques; c'est vivant, gai, aisé; le langage est observé; la strophe, cette strophe difficile et compliquée, est maniée avec un grand bonheur de main. Mais il n'y a là, ni la vigueur de pinceau du vieux poète, ni la large et vraie humanité de Burns. C'est un joli pastiche.

      L'autre poème national de Ramsay, Le Noble Berger, est son plus haut effort et son plus solide titre de gloire. C'est une pastorale romanesque. Le noble berger est le fils d'un seigneur exilé pendant la Révolution de 1648. Il a été élevé, par un vieux berger fidèle, parmi les autres bergers, sur lesquels il l'emporte par une supériorité native. Il aime une jeune bergère et il en est aimé. Le retour de son père, à la Restauration, lui révèle son origine noble et lui déchire le cœur. Comment épousera-t-il maintenant l'humble fillette de village, malgré sa beauté et sa vertu? Heureusement on découvre que la jeune bergère est elle-même une fille noble, et tout se termine par des hymen, hymen, ô hymenæe.

      Il était possible de tirer de cela quelque chose de semblable à l'adorable pastorale de Comme il vous plaira. Le sujet n'en est pas très différent. On conçoit, dans le paysage et les mœurs écossais, une intrigue nourrie de passion et d'action, se nouant et se dénouant, à travers la fantaisie de situations romanesques, dans la vérité supérieure et permanente des instincts humains. Le goût de Ramsay, ni celui de son époque n'allaient de ce côté. Il n'a pas tenté une pastorale shakspearienne. La sienne est une pastorale classique, dans la manière italienne, à la façon de L'Amintas, du Tasse, et du Fidèle Berger, de Guarini, sans


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<p>196</p>

First Epistle to Lapraik.

<p>197</p>

Christ's Kirk on the Green, Canto II.