Robert Burns. Angellier Auguste

Robert Burns - Angellier Auguste


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renommée écossaise. En dehors de toutes considérations relatives, c'est un noble poème, une peinture reposante et fidèle des mœurs simples et vertueuses d'une intéressante classe de la société. Il montre combien Fergusson avait reçu de la nature les qualités pour accomplir l'œuvre nationale si admirablement exécutée par son grand successeur. Il respire la véritable inspiration de la poésie et du patriotisme»217. Il y avait autre chose entre Fergusson et Burns, qu'un choix de sujets. Mais cet éloge n'en est pas moins juste; ce n'est pas un petit honneur, pour un jeune homme de vingt-trois ans, d'avoir laissé un morceau où vit une parcelle de l'âme de son pays, et qui a pris son rang parmi ces tableaux qu'une race conserve, parce qu'elle est fière de s'y reconnaître.

      Fergusson a exercé une assez grande influence sur Burns, pour des raisons diverses et qui n'étaient pas toutes littéraires. Burns eut toujours pour lui une sympathie particulière. Dans sa jeunesse, il voyait, dans cette vie malheureuse, une destinée qui n'était pas sans ressemblance avec la sienne. Il put penser plus d'une fois que sa fin, sauf la folie, ne serait pas très différente. Il n'était pas jusqu'au prénom commun qui ne lui semblât les marquer tous deux comme de la même famille; nos esprits ont de ces superstitions. C'est sincèrement qu'il l'appelait son frère.

      Ô toi mon frère aîné en infortune,

      Et de beaucoup mon frère aîné en poésie218.

      Il avait, en outre, envers lui une sorte de reconnaissance. On se souvient que lorsqu'il était revenu d'Irvine, découragé, ayant renoncé à la poésie, c'étaient les poèmes écossais de Fergusson qui l'avaient ranimé. Il avait «tendu de nouveau les cordes de sa lyre rustique aux sons sauvages, avec la vigueur de l'émulation»219. Fergusson lui avait rendu ce service que d'humbles artistes rendent parfois à un plus grand maître: ils lui donnent confiance et l'aident à oser, parce que la distance n'est pas très grande entre ce qu'ils ont fait et ce qu'il croit pouvoir. D'ailleurs il convenait aux générosités et aux rancunes de son caractère de prendre parti pour un génie méconnu, contre les riches qui l'avaient laissé périr misérable.

      Maudit soit l'homme ingrat qui peut prendre du plaisir

      Et laisser mourir de faim l'auteur de ce plaisir220.

      Et ailleurs il disait encore:

      Ô Fergusson, tes beaux talents

      Allaient mal avec le savoir sec et moisi de la Loi!

      Ma malédiction sur vos cœurs de pierre,

      Vous bourgeois d'Édimbourg;

      La dixième partie de ce que vous gaspillez aux cartes

      Aurait garni son garde-manger221.

      Cette prédilection pour Fergusson s'est manifestée en maintes circonstances. On n'a pas oublié l'hommage touchant qu'il lui rendit et la tombe du cimetière de Greyfriars. Ce nom revient à plusieurs reprises dans sa correspondance, et dans ses vers chaque fois qu'il a à parler de poésie écossaise. Il semble le préférer à Ramsay:

      Ramsay et le fameux Fergusson222.

      Et ailleurs:

      Ô si j'avais une étincelle de la gaîté d'Allan,

      Ou de Fergusson le hardi et le malin223.

      Et dans la strophe citée plus haut sur Allan Ramsay et sur Gilbertfield, c'est encore à Fergusson qu'il réserve le vers le plus éclatant. C'est une préférence qui nous semble exagérée. Fergusson est inférieur à Ramsay; disons, pour être juste et tenir compte de sa mort précoce, que son œuvre est inférieure à celle de Ramsay.

      Quoi qu'il en soit, l'influence de Fergusson sur Burns est très sensible. De tous les poètes écossais, c'est lui que Burns a le plus imité. Les Doléances Mutuelles du Trottoir et de la Chaussée lui ont fourni l'idée de la conversation des Deux ponts d'Ayr; Les Courses de Leith, le commencement de la Sainte-Foire; L'Eau fraîche lui a inspiré, par opposition, son Breuvage Écossais, c'est-à-dire l'éloge du whiskey; et surtout Le Foyer du Fermier a été, sans conteste, l'inspirateur de sa belle pièce sur Le Samedi soir du Villageois. Mais il faut ramener cette imitation à ses vraies limites. L'influence de Fergusson sur Burns a été tout extérieure, celui-ci n'a pas imité la manière de Fergusson, il lui a emprunté des sujets, moins encore, des idées de sujets. Maniés par les mains vigoureuses de Burns, les mêmes motifs, minces et délicats chez Fergusson, deviennent riches, s'animent, se chargent de vie, et prennent aussitôt, au lieu d'être des sujets locaux, un intérêt général de sujets humains. La distance qui sépare le plus haut effort de Fergusson, de ce qui n'est pas le chef-d'œuvre de Burns, c'est-à-dire Le Foyer du Fermier, du Samedi soir, est, on le verra, incommensurable. Les deux pièces n'appartiennent pas aux mêmes régions. Celle de Fergusson est de petite description exacte. Elle n'a ni la grande poésie, ni le noble enthousiasme, ni la portée sociale de celle de Burns. Elle n'a en rien cette plénitude de vie, cette large sonorité de vase puissant, qui résonne quand on touche du doigt l'œuvre de Burns. C'est l'effort d'un enfant heureusement doué et délicat, à côté de celui d'un homme exceptionnel. Il n'y avait d'ailleurs aucun rapport de nature entre le pauvre écrivain d'Édimbourg et le vigoureux paysan d'Ayrshire. Celui-ci se rapproche bien plus des ancêtres; il en a la sève et le mouvement, mais il a de plus une passion et une force intellectuelle dont les vieux ne se doutaient pas.

      Tels sont l'origine et le développement de ce genre indigène auquel se rattache, on peut dire, la moitié la plus significative et la plus probante de la production de Burns: ses petits poèmes des mœurs populaires, presque toutes ses Épîtres, ses Élégies comiques. Dans quelques morceaux, il a employé l'ancienne strophe de neuf vers, telle qu'elle lui a été transmise modifiée par Fergusson. Presque partout ailleurs, il s'est servi de la petite strophe de cinq vers, la strophe de Robert Semple, qu'il manie avec une étonnante dextérité, et à laquelle il donne toutes les allures, de l'espièglerie à la plus haute gravité. Tam de Shanter et les Joyeux Mendiants, quoiqu'ils aient une forme différente, relèvent aussi de la même inspiration. Toute cette partie de son œuvre sort de ce vieux rameau de poésie écossaise; elle en est la fleur ou, pour employer un mot de botanique qui en indique mieux les proportions par rapport à la tige qui la porte, le riche et touffu corymbe terminal.

      IV

      On voit donc que l'œuvre de Burns est une continuation et comme le prolongement de la poésie populaire de l'Écosse. On voit aussi le choix qu'il a fait dans les modèles qu'elle lui présentait. Il a négligé les ballades, en dépit de l'engoûment que son époque avait pour elles, parce qu'elles sont l'expression d'une vie toute différente de celle qu'il connaissait. Au contraire, il s'est emparé des chansons et des petits poèmes populaires, parce qu'ils s'accordaient avec sa façon de percevoir le monde. Dans chacun de ces deux domaines de poésie, il a pris de beaucoup la première place. Par cette double maîtrise, il est unique parmi les poètes écossais. Les auteurs de chansons n'ont guère produit autre chose. Allan Ramsay et Fergusson, remarquables par leurs poèmes, sont très secondaires par leurs chansons, surtout Fergusson. Burns seul a cueilli les deux lauriers.

      Il serait facile de découvrir dans Burns des traces d'autres influences: des souvenirs de Shakspeare, des réminiscences de Thomson, de Shenstone, de Beattie, de Gray, de Grahame, de Young, d'Ossian, d'autres encore. Ce sont des parcelles accidentelles qu'il faut chercher à la loupe, et presque toujours dans ses pièces à prétentions littéraires. Elles n'ont aucune importance, ne font pas partie de son génie. C'est une poussière de lecture tombée çà et là sur quelques-uns de ses vers. Les noter est un amusement de curieux méticuleux. Des écrivains des Notes and Queries ont relevé des ressemblances entre des passages de Burns et de Gower, de Burns et d'Horace, de Burns et de Properce.


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<p>217</p>

Gray. Remarks on the Writings of Fergusson, p. xxii.

<p>218</p>

Lines written under the portrait of Fergusson.

<p>219</p>

Autobiographical Letter to Dr Moore.

<p>220</p>

Lines written under the portrait of Fergusson.

<p>221</p>

Epistle to William Simpson.

<p>222</p>

Epistle to William Simpson.

<p>223</p>

Epistle to John Lapraik.