La Comédie humaine - Volume 08. Scènes de la vie de Province - Tome 04. Honore de Balzac

La Comédie humaine - Volume 08. Scènes de la vie de Province - Tome 04 - Honore de Balzac


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les chambres de ses amis par des productions saugrenues et gâtait tous les albums du Département, accompagnait monsieur de Bartas. Chacun d'eux donnait le bras à la femme de l'autre. Au dire de la chronique scandaleuse, cette transposition était complète. Les deux femmes, Lolotte (madame Charlotte de Brebian) et Fifine (madame Joséphine de Barcas), également préoccupées d'un fichu, d'une garniture, de l'assortiment de quelques couleurs hétérogènes, étaient dévorées du désir de paraître Parisiennes, et négligeaient leur maison où tout allait à mal. Si les deux femmes, serrées comme des poupées dans des robes économiquement établies, offraient sur elles une exposition de couleurs outrageusement bizarres, les maris se permettaient, en leur qualité d'artistes, un laissez-aller de province qui les rendait curieux à voir. Leurs habits fripés leur donnaient l'air des comparses qui dans les petits théâtres figurent la haute société invitée aux noces.

      Parmi les figures qui débarquèrent dans le salon, l'une des plus originales fut celle de monsieur le comte de Senonches, aristocratiquement nommé Jacques, grand chasseur, hautain, sec, à figure hâlée, aimable comme un sanglier, défiant comme un Vénitien, jaloux comme un More, et vivant en très-bonne intelligence avec monsieur du Hautoy, autrement dit Francis, l'ami de la maison.

      Madame de Senonches (Zéphirine) était grande et belle, mais couperosée déjà par une certaine ardeur de foie qui la faisait passer pour une femme exigeante. Sa taille fine, ses délicates proportions lui permettaient d'avoir des manières langoureuses qui sentaient l'affectation, mais qui peignaient la passion et les caprices toujours satisfaits d'une personne aimée.

      Francis était un homme assez distingué, qui avait quitté le consulat de Valence et ses espérances dans la diplomatie, pour venir vivre à Angoulême auprès de Zéphirine, dite aussi Zizine. L'ancien consul prenait soin du ménage, faisait l'éducation des enfants, leur apprenait les langues étrangères, et dirigeait la fortune de monsieur et de madame de Senonches avec un entier dévouement. L'Angoulême noble, l'Angoulême administratif, l'Angoulême bourgeois avaient longtemps glosé sur la parfaite unité de ce ménage en trois personnes; mais, à la longue, ce mystère de trinité conjugale parut si rare et si joli, que monsieur du Hautoy eût semblé prodigieusement immoral s'il avait fait mine de se marier. Quand Jacques chassait aux environs, chacun lui demandait des nouvelles de Francis, et il racontait les petites indispositions de son intendant volontaire en lui donnant le pas sur sa femme. Cet aveuglement paraissait si curieux chez un homme jaloux, que ses meilleurs amis s'amusaient à le faire poser, et l'annonçaient à ceux qui ne connaissaient pas le mystère afin de les amuser. Monsieur du Hautoy était un précieux dandy dont les petits soins personnels avaient tourné à la mignardise et à l'enfantillage. Il s'occupait de sa toux, de son sommeil, de sa digestion et de son manger. Zéphirine avait amené son factotum à faire l'homme de petite santé: elle le ouatait, l'embéguinait, le médicinait; elle l'empâtait de mets choisis comme un bichon de marquise; elle lui ordonnait ou lui défendait tel ou tel aliment; elle lui brodait des gilets, des bouts de cravates et des mouchoirs; elle avait fini par l'habituer à porter de si jolies choses qu'elle le métamorphosait en une sorte d'idole japonaise. Leur entente était d'ailleurs sans mécompte: Zizine regardait à tout propos Francis, et Francis semblait prendre ses idées dans les yeux de Zizine. Ils blâmaient, ils souriaient ensemble, et semblaient se consulter pour dire le plus simple bonjour.

      Le plus riche propriétaire des environs, l'homme envié de tous, monsieur le marquis de Pimentel et sa femme, qui réunissaient à eux deux quarante mille livres de rente, et passaient l'hiver à Paris, vinrent de la campagne en calèche avec leurs voisins, monsieur le baron et madame la baronne de Rastignac, accompagnés de la tante de la baronne, et de leurs filles, deux charmantes jeunes personnes, bien élevées, pauvres, mais mises avec cette simplicité qui fait tant valoir les beautés naturelles. Ces personnes, qui certes étaient l'élite de la compagnie, furent reçues par un froid silence et par un respect plein de jalousie, surtout quand chacun vit la distraction de l'accueil que leur fit madame de Bargeton. Ces deux familles appartenaient à ce petit nombre de gens qui, dans les provinces, se tiennent au-dessus des commérages, ne se mêlent à aucune société, vivent dans une retraite silencieuse et gardent une imposante dignité. Monsieur de Pimentel et monsieur de Rastignac étaient appelés par leurs titres; aucune familiarité ne mêlait leurs femmes ni leurs filles à la haute coterie d'Angoulême, ils approchaient trop la noblesse de cour pour se commettre avec les niaiseries de la province.

      Le Préfet et le Général arrivèrent les derniers, accompagnés du gentilhomme campagnard qui, le matin, avait apporté son mémoire sur les vers à soie chez David. C'était sans doute quelque maire de canton recommandable par de belles propriétés; mais sa tournure et sa mise trahissaient une désuétude complète de la société: il était gêné dans ses habits, il ne savait où mettre ses mains, il tournait autour de son interlocuteur en parlant, il se levait et se rasseyait pour répondre quand on lui parlait, il semblait prêt à rendre un service domestique; il se montrait tour à tour, obséquieux, inquiet, grave, il s'empressait de rire d'une plaisanterie, il écoutait d'une façon servile, et parfois il prenait un air sournois en croyant qu'on se moquait de lui. Plusieurs fois dans la soirée, oppressé par son mémoire, il essaya de parler vers à soie; mais l'infortuné monsieur de Séverac tomba sur monsieur de Bartas qui lui répondit musique et sur monsieur de Saintot qui lui cita Cicéron. Vers le milieu de la soirée, le pauvre maire finit par s'entendre avec une veuve et sa fille, madame et mademoiselle du Brossard qui n'étaient pas les deux figures les moins intéressantes de cette société. Un seul mot dira tout: elles étaient aussi pauvres que nobles. Elles avaient dans leur mise, cette prétention à la parure qui révèle une secrète misère. Madame du Brossard vantait fort maladroitement et à tout propos sa grande et grosse fille, âgée de vingt-sept ans, qui passait pour être forte sur le piano; elle lui faisait officiellement partager tous les goûts des gens à marier, et, dans son désir d'établir sa chère Camille, elle avait dans une même soirée prétendu que Camille aimait la vie errante des garnisons, et la ville tranquille des propriétaires qui cultivent leur bien. Toutes deux, elles avaient la dignité pincée, aigre-douce des personnes que chacun est enchanté de plaindre, auxquelles on s'intéresse par égoïsme, et qui ont sondé le vide des phrases consolatrices par lesquelles le monde se fait un plaisir d'accueillir les malheureux. Monsieur de Séverac avait cinquante-neuf ans, il était veuf et sans enfants; la mère et la fille écoutèrent donc avec une dévotieuse admiration les détails qu'il leur donna sur ses magnaneries.

      — Ma fille a toujours aimé les animaux, dit la mère. Aussi, comme la soie que font ces petites bêtes intéresse les femmes, je vous demanderai la permission d'aller à Séverac montrer à ma Camille comment ça se récolte. Camille a tant d'intelligence qu'elle saisira sur-le-champ tout ce que vous lui direz. N'a-t-elle pas compris un jour la raison inverse du carré des distances?

      Cette phrase termina glorieusement la conversation entre monsieur de Séverac et madame du Brossard, après la lecture de Lucien.

      Quelques habitués se coulèrent familièrement dans l'assemblée, ainsi que deux ou trois fils de famille, timides, silencieux, parés comme des châsses, heureux d'avoir été conviés à cette solennité littéraire. Toutes les femmes se rangèrent sérieusement en un cercle derrière lequel les hommes se tinrent debout. Cette assemblée de personnages bizarres, aux costumes hétéroclites, aux visages grimés, devint très-imposante pour Lucien, dont le cœur palpita quand il se vit l'objet de tous les regards. Quelque hardi qu'il fût, il ne soutint pas facilement cette première épreuve, malgré les encouragements de sa maîtresse, qui déploya le faste de ses révérences et ses plus précieuses grâces en recevant les illustres sommités de l'Angoumois. Le malaise auquel il était en proie fut continué par une circonstance facile à prévoir, mais qui devait effaroucher un jeune homme encore peu familiarisé avec la tactique du monde. Lucien, tout yeux et tout oreilles, s'entendait appeler monsieur de Rubempré par Louise, par monsieur de Bargeton, par l'Évêque, par quelques complaisants de la maîtresse du logis, et monsieur Chardon par la majorité de ce redouté public. Intimidé par les œillades interrogatives des curieux, il pressentait son nom bourgeois au seul mouvement des lèvres; il devinait les jugements anticipés que l'on portait sur lui avec cette franchise provinciale, souvent un peu trop près de l'impolitesse. Ces continuels coups d'épingle inattendus


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