Voyages loin de ma chambre t.1. Dondel Du Faouëdic Noémie

Voyages loin de ma chambre t.1 - Dondel Du Faouëdic Noémie


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XVI.

      Quelques parties de la Suisse, comme la belle et riante vallée de Schwitz nous présentent, en plein dix-neuvième siècle, des familles quasi primitives, ayant échappé jusqu’ici au progrès d’une civilisation vraiment effrénée par certains côtés. Ce n’est pas sans une très douce émotion que j’ai pénétré dans la pittoresque demeure d’une vieille famille de paysans, demeure qui a gardé le type bien connu des chalets suisses.

      «Soubassements en maçonnerie, étages supérieurs en madriers de sapin, escaliers et balcons en bois découpé, le tout coiffé d’une large toiture qui surplombe d’un à deux mètres sur la façade du bâtiment.» Cette construction rustique est aussi souriante qu’originale, avec l’ombrage de ses grands arbres, les verdures reposantes de ses tapis d’herbes et le cristal limpide de sa fontaine qui se termine en ruisseau.

      La famille au complet, lorsque je suis entrée, se groupait autour du père, le chef vénéré. L’intérieur m’a paru fort simple mais d’une grande propreté, la propreté c’est la coquetterie des maisons simples et modestes, cependant le plafond et les lambris sont en bois artistement sculpté, l’autre luxe de cette salle, c’est le poële de faïence brillante, aux formes rectangulaires et monumentales, sur l’un de ses carreaux de faïence, je lis incrustée dans son émail cette belle sentence.

      «Mit Gott fang an,

      Mit Gott hor auf,

      Das ist der schonste Lebenstauf.»

      Ce qui peut se traduire en français:

      «Commencer avec Dieu, finir avec Dieu, voilà le meilleur emploi de la vie.»

      Un vaisselier, une grande table au milieu, un beau crucifix entouré d’images pieuses, un bénitier fleuri d’un rameau de buis, suspendu près de la porte d’entrée composent le mobilier, quelques chaises de bois découpé entourent la table, mais on leur préfère le banc adossé à la muraille.

      On ressent dans cet heureux intérieur une sensation de calme inexprimable.

      Ah! que je me sens loin du brouhaha des grandes villes et de la vie à outrance qu’on y mène. C’est dans ces intérieurs paisibles qu’il faut venir puiser les plus hauts enseignements de la pure morale et le sentiment qui est la force et le salut des nations. L’amour et le respect de la famille et de Dieu.

      «Heureuses les vieilles races, sur lesquelles ne pèsent pas le poids des révolutions.»

      Schaffhouse est une ancienne ville forte, située au bord du Rhin, sur l’extrême frontière Suisse.

      Ma première pensée à Schaffhouse est pour la cascade de la Lauffen, la plus belle de l’Europe. – En y arrivant, mon imagination a d’abord été désappointée de ne pas voir les eaux tomber d’une plus grande hauteur; elles descendent graduellement en nappes d’une immense largeur jusqu’à l’énorme rocher planté au milieu du fleuve contre lequel elles se précipitent l’une par dessus l’autre avec un fracas épouvantable. Malgré la déception du premier moment, mes yeux ne peuvent se détacher de ce spectacle étourdissant. Je reste là comme pétrifiée, regardant et écoutant, pendant que Georgette remplit ses poches de charmants petits cailloux qu’on trouve sur les bords du fleuve.

      Pour compléter le tableau, je vois un train s’engouffrer dans le tunnel du château de la Lauffen, tout cela devient vertigineux!

      J’ai visité à Schaffhouse l’énorme et vieille forteresse près de laquelle se trouve le cimetière. En sortant, nous avons entendu des détonations; c’était les derniers honneurs que l’on rendait à l’un de nos pauvres soldats mort de la petite vérole à l’hôpital.

      Départ pour Strasbourg par le chemin de fer badois qui nous laisse en route de bonne heure et nous couchons à Waldshut, charmante ville, assise sur les bords du Rhin. Aujourd’hui dimanche, par un temps splendide, nous reprenons le chemin de fer qui côtoie le Rhin jusqu’à Bâle, il n’y a pour moi qu’une ombre, une ombre bien noire, au splendide tableau qui se déroule devant nous. C’est la vue de toutes ces gares enguirlandées de tous ces drapeaux aux couleurs prussiennes et badoises flottant au vent. Les campagnards débordaient sur le parcours avec des airs de fête. C’était une griserie de chants patriotiques, à l’occasion de la paix signée, une orgie de victoire qui me jetait des bouffées de rouge au front et de rage au cœur.

      Ah! comme tous ces chants résonnaient lugubrement à mes oreilles!

      Voici du reste la traduction des hurlements militaires d’outre-Rhin, qui se vocifèrent en ce moment dans toute l’Allemagne.

REFRAIN

      Les hussards chantent, la poudre gronde,

      Suivons tous nos généraux qui, pour nous,

      Ont déjà gagné mainte bataille.

      Frères, si nous n’avons pas un sou entrons en France, nous trouverons de l’argent là-bas.

      Frères, si nous n’avons pas de souliers, allons en France pieds nus; là-bas on trouve à se vêtir et à se chausser.

      Frères, si nous n’avons pas de vin à boire, il y en a en France, allons là-bas, nous défoncerons les tonneaux et viderons les bouteilles.

      Frères, ne craignez pas de tirer et de frapper toujours en avant, toujours contre la France et les Français!

      J’entendais ces chants avec une intensité de douleur que je ne puis rendre, j’avais les yeux pleins de larmes, et je suffoquais en pensant à ce qui se passait sur l’autre rive du Rhin. Quel contraste!

      Bâle, malgré ses monuments, son église du Munster, ses remparts imposants me semble une belle, grande, mais triste ville.

      Elle est cependant le grand entrepôt du commerce, entre la Suisse, la France et l’Allemagne.

      Jusqu’en 1833, Bâle a été la seule ville Suisse qui ait eu une université, elle avait été fondée dès 1459.

      C’est vers la même époque que Bâle vit le fameux concile qui menaça de tourner en schisme sous le pape Eugène IV.

      Plusieurs traités célèbres y ont été signés.

      Erasme y mourut.

      Le Musée renferme des toiles remarquables. Les chefs-d'œuvre de Hans Holbein m’ont vivement frappée, son christ particulièrement. C’est une admirable conception. L'âme se sent toute en pleurs, devant cette indicible figure, qui semble résumer toutes les douleurs. L'œil ouvert qui ne regarde plus, conserve le suprême et dernier éclat des visions funèbres. La blessure du côté est béante et profonde.

      Oh! oui, dans ce corps tourmenté, cette tête sanglante, le peintre s’est inspiré des réalités de la mort. C’est d’une vérité absolue, effrayante. Il manque seulement un peu d’idéal si l’on songe que ce n’est pas seulement un homme, mais Dieu même qui vient de mourir-là!

      C’est à Bâle que nous faisons nos adieux à la Suisse.

      Adieu, belle Helvétie, adieu pays grandiose aux aspects saisissants et variés, adieu montagnes vêtues de forêts et couronnées de glaciers, rochers découpés en figures fantasques, cascades et torrents dont les eaux se fondent en écume de neige, se brisent en flèche d’argent, s’étalent en nappe de cristal.

      Adieu et je répète avec le poète: Tout dans ce beau tableau sert à nous enchanter! J’ai presqu’envie d’ajouter que la seule ombre à ce merveilleux tableau c’est l’homme qu’ici la grandeur de la nature semble écraser.

      Oui adieu, Suisse hospitalière, Suisse généreuse, ce n’est pas sans émotion que je te quitte, terre bénie, qui t’es montrée si compatissante à nos pauvres soldats.

      C’est à Verrières dans une maisonnette que fut signée, entre le général Suisse Herzog et le général Clinchamp, le dernier général de l’armée de l’Est (oubliée par nos gouvernants lors de l’armistice) la Convention qui arrachait quatre-vingt-cinq mille Français aux mains de l’ennemi.

      L’armée


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