Voyages loin de ma chambre t.1. Dondel Du Faouëdic Noémie
revit.
«Charlemagne, touché de ce cadeau, témoignage de la reconnaissance du serpent pour ses bons offices, fait monter la pierre en bague. On s’aperçoit alors qu’elle avait une puissance magique et qu’elle attachait indissolublement le cœur de l’empereur à la personne ou à l’objet qu’elle touchait. L’impératrice désirant comme toute bonne épouse être aimée seule de son mari, se fit donner la bague. A ses derniers instants, elle eût le soin de dissimuler ce talisman sacré dans sa bouche, et après sa mort, l’empereur lui resta tellement attaché que pendant longtemps il ne permit pas qu’elle fût inhumée, ne pouvant supporter l’idée d'être séparé d’elle.
«Un jeune étudiant en médecine de Zurich ayant été consulté par un chevalier de la suite de l’empereur, finit par découvrir l’artifice auquel avait eu recours l’impératrice. Le chevalier s’empara de la bague et bientôt l’empereur renonça à garder le corps de sa défunte épouse, mais alors son affection excessive se reporta tout entière sur le chevalier détenteur de l’anneau. Au bout de quelque temps celui-ci, fatigué de l’attention que le public accordait à la moindre des actions du favori de l’empereur, jeta l’anneau dans un terrain marécageux. On était loin de Zurich alors, mais cela suffit pour que l’empereur se sentît attiré vers cet endroit.
Il y construisit une église qu’il dota richement, éprouvant toujours une attraction invincible pour ce monument, lui qui avait fait construire tant d’autres églises, il voulut y être inhumé. C’est ainsi que fut fondé Aix-la-Chapelle. Telle est la légende que racontent les vieilles chroniques et que respectent encore aujourd’hui les bons habitants de la ville.»
L’épisode du serpent sonnant la cloche est rappelé par un bas-relief que l’on admire aux angles de la maison qui se trouve au-dessous de la cathédrale. (Münsterhaus).
Aimez-vous les légendes? Allez en Suisse et en Allemagne, de l’autre côté des Alpes et du Rhin on en a mis partout. Ainsi la création de Soleure remonte à Abraham. On retrouve donc en cette belle Helvétie, Jésus-Christ, Pilate, Abraham et un bon serpent; moi qui avais toujours pensé qu’il n’y avait que de mauvais serpents, à commencer par celui du Paradis terrestre, quelle erreur!
Soleure possède la plus belle église de Suisse, et passe pour être avec Trêves la ville la plus ancienne.
In celtis, nihil est Solodoro antiquius, unis exceptis Treveris, dit une inscription gravée sur la tour burgonde qui y commande la place du marché.
Aussi, un Soleurois malin, l’artiste Schwaller, avait-il imaginé de peindre une vue de la cité, où il montrait sur les remparts, Dieu le Père, occupé à la création d’Adam et d’Eve! en bas, les bourgeois contemplant curieusement le Père Eternel et le premier homme.
C’est hier qu’a eu lieu à Zurich, entre les résidents allemands et nos français internés, une bagarre qui a mis toute la ville en émoi. Le sang a coulé de part et d’autre. C’est le sujet de toutes les conversations; les sentiments à cet égard me paraissent très partagés, et il m’est impossible de savoir de quel côté sont les plus grands torts, en tous cas, nos vainqueurs ne se sont pas montrés généreux.
Nous avons fait un pieux pèlerinage à l’abbaye d’Einsiedeln, non loin de Zurich, cent cinquante mille pèlerins la visitent chaque année.
Elle appartient aux Bénédictins. Le monastère entouré de pics et de montagnes apparaît dans un cadre majestueux, digne de lui.
A ses pieds s’agite un torrent tumultueux. Les religieux bénédictins, dont on connaît la science et la vertu ont ici un séminaire et un collège renommés. Leur magnifique bibliothèque renferme de précieux manuscrits, leurs archives ont une grande valeur.
L’église moderne est au centre de la façade du monument actuel, qui forme un vaste carré; elle fut détruite par un incendie, en 1798, et reconstruite sur les plans anciens.
La nef principale enveloppe la Sainte-Chapelle, où se trouve la Vierge miraculeuse.
Cette chapelle est en marbre noir. Sur l’autel, on aperçoit à travers une grille la statue en bois noir de la Vierge tenant l’enfant Jésus. Tous deux sont revêtus de splendides vêtements, et portent des couronnes d’or ornées de pierreries. Quelques écrivains disent que cette vierge fut volée par les Français, ainsi que le trésor du couvent en 1798. Les religieux assurent au contraire qu’ils sauvèrent la vierge du pillage, qu’elle fut cachée dans le Tyrol, d’où les bons pères la rapportèrent en 1803.
L’intérieur est orné de plusieurs objets d’art. Au-dessus du maître-autel, voici un splendide tableau représentant l’Assomption de la Vierge.
J’admire dans la nef latérale un superbe crucifix et sur le marbre du chœur une Cène en bronze qu’on me dit coulée d’un seul jet par Pozzi.
L’aspect général d’Einsiedeln rappelle Notre-Dame-de-Lorette.
Entre les deux tours, on compte onze cloches: une pèse cent vingt quintaux. Lorsqu’elles chantent ensemble, leur voix grandiose est comme le prélude des célestes harmonies et des chants magnifiques qui attendent le pèlerin aux offices. L'âme écoute frémissante ces concerts du ciel, et comme on prie ensuite avec ferveur, les uns debout tout haut, les bras en croix, les autres prosternés, s’absorbant dans une muette contemplation qui tient de l’extase. Des centaines de bougies s’allument de tous côtés, image de l’ardeur des prières et des vœux.
Entre le bourg et le couvent, sur une vaste place, se trouve une fontaine en marbre noir.
Pour que le pèlerinage soit complet, il faut boire à cette fontaine, parce que la tradition rapporte que Notre Seigneur Jésus-Christ s’y désaltéra. Or, quatorze filets d’eau y jaillissent à la fois, et la tradition ne disant pas auquel bu Notre-Seigneur, les pèlerins consciencieux boivent aux quatorze petites sources pour être bien sûrs de ne pas se tromper.
Au-dessus des arcades se dressent les statues d’Othon Ier et d’Henry Ier, protecteurs du monastère.
«Quelle admirable légende que celle de saint Meinrad! Après avoir été la gloire du couvent de Reichenau, il chercha la perfection dans la vie solitaire de ce désert situé à deux mille neuf cent quatre-vingt-dix pieds au-dessus du niveau de la mer.
«Ce noble Germain vivait au neuvième siècle; il périt sous le fer de deux misérables, qui s’enfuirent à Zurich, poursuivis par les corbeaux familiers du cénobite; leurs clameurs les désignèrent à la justice, et les firent arrêter.
«Ce miracle et les hautes vertus du saint martyr sanctifièrent le désert d’Einsiedeln; la vénération des peuples s’y attacha.
«Ainsi fut fondé le sanctuaire de Notre-Dame-des-Ermites. Une pieuse et universelle croyance ajoute que le ciel présida à la consécration du sanctuaire; le Christ lui-même, la Vierge et les anges bénirent le lieu merveilleux. On entendit les harmonies célestes, et dès lors ce fut une tradition sacrée.»
A peu de distance du bourg, sur l’emplacement de la première cellule de saint Meinrad, la vue s’étend sur le lac de Zurich, dont les perspectives, d’abord riantes, se transforment, s’accentuent, et les glaciers éternels apparaissent dans leurs beautés dramatiques.»
Que de légendes religieuses, que de légendes naïves ont pris leur essor de ce lieu privilégié!
En voici une bien triste et qui reste à l’état de tradition consacrée dans une des familles les plus distinguées de la Suisse allemande.
«A la fin du siècle dernier, le comte et la comtesse de R… avaient leurs deux fils dans la garde suisse à Paris. Les nuages s’épaississaient, la tempête révolutionnaire grondait. Les échos, de plus en plus lugubres, n’arrivaient qu’à demi dans ce canton lointain, aucunes nouvelles précises n’étaient venues confirmer les anxiétés des parents. Le 10 août 1792, la mère éplorée vint confier sa peine à Notre-Dame-des-Ermites; elle priait devant l’autel, plus inquiète que de coutume, lorsqu’elle vit tout à coup ses deux fils, en uniforme, franchir sans bruit la porte du sanctuaire, une épée