Voyages loin de ma chambre t.1. Dondel Du Faouëdic Noémie
de fée, transportée dans un palais enchanté, au milieu de merveilleuses montagnes. L’orchestre villageois, quoique monotone, avait un charme tout particulier.
Après cette nuit fantastique, nous nous sommes fait transporter dans les glaciers où nous avons visité la grande grotte; les effets de lumière à travers ces épais blocs de glace sont quelque chose d’idéal; nous y avons été assaillies par une avalanche… d’officiers français utilisant leurs loisirs en excursions. En qualité de compatriotes, la connaissance a été vite faite. Quoique le champagne soit le vin des toasts gais et des cœurs joyeux, ce qui n’était pas le cas pour nous, il a fallu boire un verre de champagne; nulle part on ne le frappe mieux à la glace qu’ici, c’est du reste de Grindelwald que s’exporte la plus grande quantité de glace, de qualité absolument supérieure, elle sort pure, transparente des glaciers immaculés.
Nous sommes revenus ensemble à Interlaken, où nous eussions dîné gaîment en tout autre temps, mais la pensée de nos défaites et de la Patrie en deuil jetait une ombre douloureuse sur les cœurs et les esprits. Georgette surtout a trouvé cette rencontre charmante, elle a été comblée de gâteries.
Je n’ai pas voulu quitter Bœdeli, le nom primitif d’Interlaken, et qui veut dire: «lieu délectable,» sans en emporter un souvenir. J’ai visité les bazars et acheté une nature morte, artistement fouillée, et venant directement du village de Brienz, le chef-lieu des bois sculptés.
Adieu! Interlaken, Adieu! superbe et poétique nature, en vous saluant une dernière fois les vers d’Alex Guiraud me reviennent à la mémoire:
«Avec leurs grands sommets, leurs glaces éternelles,
Par le soleil couchant que les Alpes sont belles!
Tout dans leurs frais vallons sert à nous enchanter,
La verdure, les bois, les eaux, les fleurs nouvelles;
Heureux qui, sur ces bords peut longtemps s’arrêter,
Heureux qui les revoit, s’il a dû les quitter!»
Nous avons traversé de nouveau le lac de Thoune. Sur le bateau se trouvaient des francs-tireurs bretons, l’aide-de-camp du commandant Domalain et son lieutenant, patriote un peu trop enthousiaste, qui s’est pris de querelle avec un docteur allemand, à l’air bien inoffensif; il a fallu les séparer pour empêcher le Breton de jeter le Prussien à l’eau. Nous sommes montés dans le même wagon pour revenir à Berne, et tout en admirant la crête de la Jung-Frau, dorée par les rayons du soleil couchant, nous avons causé avec bonheur de la Bretagne, où ces messieurs vont rejoindre le corps de Charette.
Georgette, désirant vivement revoir ses bons amis les ours, nous nous sommes arrêtées un jour franc à Berne. J’ai eu la chance d’assister à deux spectacles très différents, mais très intéressants, et que nous n’avions pas eu l’occasion de voir avec M. Fiwaz; le défilé d’un cortège et un coucher de soleil. Quand le jeu des rayons lumineux et des ombres dessine la croix fédérale contre la cime de la Jung-Frau, et que les sommets neigeux resplendissent des feux empourprés de ce phénomène connu sous le nom de Alpenglühen, on peut dire qu’on a assisté à un spectacle unique au monde.
Georgette et moi aussi, je l’avoue, nous avons regardé les yeux grands ouverts et jusqu’au dernier personnage, le défilé du cortège, tout imprégné de couleur locale. En tête marchait un ours (un homme revêtu d’une peau d’ours), il paraît qu’il en est ainsi en maintes circonstances, et comme Berne est le centre de la vie politique, que c’est là qu’habitent les représentants des autres puissances, il y a souvent des cérémonies et l’on y voit toujours figurer l’ours traditionnel. Du reste, sans parler des ours vivant dans leur fosse, on retrouve leur image partout; en bronze aux pieds des statues, en pierre au bas des monuments, et enfin en bois, en métal, en plâtre, en chocolat, en sucre, dans tous les magasins de la ville.
Les prétentions de Georgette ne se sont pas élevées jusqu’à l’airain, elle s’est contentée d’un ours en chocolat, dont la durée a été… fort éphémère.
L’après-midi nous avons visité la Grande Cave et le Musée historique, que nous n’avions pas eu le temps de voir à notre premier séjour.
La Grande Cave renferme les célèbres fûts qui pourraient contenir ensemble neuf mille hectolitres, d’où l’ancien dicton: «Si Venise règne sur les eaux, Berne règne sur le vin.» Tel était la prévoyance du gouvernement à cette époque, qu’il ne voulait pas que le peuple manquât non-seulement de pain mais encore de vin.
Le Musée Historique est très remarquable par la beauté, la richesse et le nombre des objets qui le composent: sculptures, tapisseries, trophées d’armes, etc.
En sortant du Musée nous est apparue la rue des Chaudronniers, une vieille rue du plus pur style moyen-âge, un rêve du passé prenant forme soudain. Un instant je me suis crue transportée à trois ou quatre siècles en arrière. Cette rue était très animée à cause du marché, ce qui complétait son aspect si pittoresque et si particulier. Avant de prendre le train, nous avons voulu prier une dernière fois à l’église Française. Elle date de 1265, et appartenait autrefois aux dominicains; son architecture n’a rien de remarquable, mais ce qui l’est davantage, c’est qu’elle sert tout à la fois aux protestants français et aux catholiques romains.
CHAPITRE V
Lucerne, Zurich, Soleure, l’abbaye de d’Einsiedeln, une famille de paysans dans la vallée de Schwitz schaffhouse Bâle, adieux à la Suisse
Lucerne est une très jolie ville, aux rues larges et droites, située au bord du lac des Quatre-Cantons, le plus beau de la Suisse. A proprement parler, ce lac des Quatre-Cantons, divisé par deux rétrécissements, forme trois lacs: lac d’Uri, de Bouchs et de Lucerne. Ses bords sont entourés de rochers à pic, d’un effet saisissant. Comme l’Océan, il connaît les caprices de la vague et les émeutes de la tempête; comme l’Océan, il ne gèle jamais dans toute son étendue.
Les habitants de Lucerne, ville catholique de vingt mille âmes, passent pour avoir l’esprit vif, le caractère gai et le goût du plaisir. Les femmes se distinguent en général par la finesse de leurs traits et l’élégance de leur tournure.
Cette ville, qui fut un instant capitale de toute l’Helvétie, est fière de son nom Lucerna la ville qui resplendit au loin, les uns disent qu’elle doit son nom à un énorme fanal (Lucerna) élevé jadis sur son emplacement pour guider les voyageurs, les autres, à un miracle de Saint Nicolas, je préfère cette dernière hypothèse et je m’en tiens au miracle.
Dans les légendes, c’est un peu comme dans les contes de fées, les choses se passaient autrefois. Il y a bien longtemps, une chapelle s’élevait sur les bords de la rivière de Reuss, à sa sortie du lac. Cette chapelle était dédiée à Saint Nicolas, qui est non seulement le patron des célibataires, mais aussi celui des bateliers. La légende raconte donc que lorsque des bateliers étaient surpris sur le lac par l’orage et se trouvaient en danger de périr, une lueur visible de très loin apparaissant au-dessus de la chapelle, leur indiquait la route du port.
Cet endroit fut bientôt réputé comme un lieu sacré, et devint non seulement un but de pèlerinage pour les mariniers, mais aussi pour les voyageurs qui devaient affronter le passage effrayant des montagnes.
Le quai, corso de Lucerne, offre un splendide panorama, celui du lac et des Alpes! Nous y sommes allées par un temps admirable, il y avait un monde énorme. Cette foule m’a fait penser à la tour de Babel. Sous l’ombrage de grands marronniers, j’ai trouvé ici, comme dans la vallée de Sennaar, la confusion des langues, et même celle des costumes. C’était un spectacle amusant que celui de centaines de promeneurs, de nationalités différentes, parlant la langue de leur pays, et vêtus de robes et d’habits qui faisaient honneur aux excentricités de la mode, bigarrures de nuances, chamarrures d’ornements, vêtements fantaisistes, coiffures ébouriffantes, rien ne manquait à l’ensemble de cette arlequinade de formes et de couleurs, quoiqu’à vrai dire, plusieurs de ces toilettes prises séparément ne