Voyages loin de ma chambre t.1. Dondel Du Faouëdic Noémie
plumer les poules, pardon, je veux dire les étrangers, sans les faire crier. Comment se regimber sur le prix, quand on est si bien traité? cela arrive cependant quelquefois3.
La race des hôteliers écorcheurs n’est pas nouvelle.
Voici à ce sujet, une petite histoire qui ne date pas d’hier cependant. Le condamné a, dit-on, vingt-quatre heures pour maudire son juge, le voyageur dont il va être question prit plus de temps pour maudire son hôtelier.
Un Anglais, voyageant en Suisse, demanda dans un hôtel un bol de bouillon qu’on lui fit payer dix francs. Quelques jours après, d’un pays éloigné, il écrivit à l’hôtelier sans affranchir sa lettre, et la poste était chère à cette époque:
«Monsieur, votre bouillon était bon, mais un peu cher.»
A des mois d’intervalle, il renouvela sa vengeance par les moyens les plus imprévus et les plus divers. Une bourriche arrivait, d’où l’on voyait sortir des pattes de gibier, mais il n’y avait que de la paille et une lettre, toujours la même:
«Monsieur, votre bouillon était bon, mais un peu cher.»
Un jour, l’hôtelier reçoit des colonies une caisse avec cette étiquette: Café superfin. Il paie le port, ouvre, trouve des graviers et la sempiternelle lettre:
«Monsieur, votre bouillon, etc.»
On écrivait au susdit hôtelier pour retenir des appartements, il ne pouvait, sans risquer de perdre sa maison, refuser les lettres et il était continuellement attrapé.
Comme on le voit, les fils d’Albion ont la rancune tenace. La chose avait été racontée dans quelques journaux anglais, beaucoup de voyageurs, les Anglais surtout, évitaient cet hôtel. Bref, le malheureux hôtelier courait à sa ruine; il fut forcé de vendre, et l’acquéreur, pour ramener la fortune, s’empressa de changer d’enseigne.
En fait de note à payer, une de mes amies, qui voyageait aussi en Suisse, eut un jour une agréable surprise. Elle venait de parcourir la carte de l’hôtel et de commander deux portions de prix fort raisonnables pour son déjeuner, cependant le dernier plat inscrit sur cette liste l’intriguait beaucoup:
Etait-ce une vulgaire chou croûte allemande, était-ce un mets national, en tout cas, ce devrait-être un gâteau, l’ordre de son inscription indiquait un dessert. Mon amie, un tantinet curieuse de son naturel, ne put résister à la tentation, elle demanda une caléïche à la choute.
Il y avait une demi-heure qu’elle attendait, sa patience était à bout. A chaque demande: Est-ce prêt! on lui répondait: Tout de chuite! Tout de chuite!
Ah! se disait-elle, je me suis joliment fait attraper, c’est un plat sans doute fort long à confectionner, qu’on ne demande que rarement, vu son prix; on va me servir quelque chose de détestable. Elle en était là de ses lamentations, quand un joyeux carillon de grelots lui fit lever la tête. Une voiture venait d’entrer dans la cour, les chevaux piaffaient, le conducteur claquait du fouet, un domestique parut: «Madame peut venir!» et mon amie seulement alors comprit la chose. C’était l’itinéraire, après déjeûner, de se promener en voiture, et la caléïche à la choute, c’était une calèche pour aller visiter la chute et les cascades, le plus joli site des environs.
Ah! cette même amie était bien amusante quand elle racontait ses impressions de voyage et principalement ses violentes émotions et ses démêlés avec la foudre, à l’hôtel du Righi. Elle y était arrivée un soir de grande chaleur. Vers le matin, l’orage éclate; un orage dans la montagne, c’est tout ce qu’il y a de plus formidable au monde, les éclairs vous aveuglent et le tonnerre, aux rugissements sinistres, est partout sous vos pieds, sur votre tête…
Mon amie épouvantée, se lève et sort de sa chambre. Dans le vestibule, elle aperçoit, d’un côté un domestique, de l’autre une boule de feu qui, en passant effleure sa robe, une robe de soie, Dieu merci.
Qu’est-ce? s’écria-t-elle affolée.
– Faites pas attention, Madame, répond le domestique imperturbable, c’est le tonnerre qui se promène et pour la rassurer il ajoute: Ça lui arrive souvent.
Mon amie ne déjeûna pas tranquille, et partit aussitôt. Au retour, elle eût des démêlés avec son cocher, mais ce n’était rien en comparaison de ceux du matin.
Il est certain que les cochers ici doivent faire de bonnes affaires, ils n’ont point à craindre une trop grande concurrence de la part des chemins de fer, qui ne peuvent gravir le flanc des montagnes ni courir sur leur front. Ils ne seront jamais réduits au rôle passif du Collignon mélancolique à propos duquel Scarron écrivait:
Assis à l’ombre d’un rocher,
J’aperçus l’ombre d’un cocher,
Qui frottait l’ombre d’un carrosse,
Avecque l’ombre d’une brosse.
Dans le beau livre de Victor Hugo, intitulé: En voyage, le grand poète raconte une amusante anecdote de son voyage aux Pyrénées. Voulant aller de Bayonne à Biarritz, il fut entouré par la cohue des cochers, qui lui proposèrent de lui faire faire cette excursion pour un prix des plus modiques. «Quinze sous!» criait l’un, «Douze sous!» criait l’autre. Enfin, on lui offrit pour trois sous (il y a cinquante ans de cela), une place dans une voiture neuve et fort bonne. En moins d’une demi-heure, on atteignait Biarritz.
«Arrivé là, dit Victor Hugo, et ne voulant pas abuser de ma position, je tirai quinze sous de ma bourse et je les donnai au cocher. J’allais m’éloigner, il me retint par le bras:
– Monsieur, me dit-il, ce n’est que trois sous.
– Bah! repris-je, vous m’avez dit quinze sous d’abord, ce sera quinze sous.
– Non pas, monsieur, j’ai dit que je vous mènerais pour trois sous. C’est trois sous!
Il me rendit le surplus et me força presque de le recevoir.
– Et je me disais, en m’en allant, voilà un honnête homme!
Le poète se promena tout le jour sur la plage. Le soir venu, il songea à regagner Bayonne. Il était las et ne pensait pas sans quelque plaisir à l’excellente voiture du matin et au vertueux cocher qui l’avait amené. Il le rencontra.
– Je vous reconnais, lui dit-il, vous êtes un brave cocher, et je suis aise de vous revoir.
– Montez vite, Monsieur, lui répond l’homme.
Victor Hugo s’installe en hâte dans la calèche. Quand il est assis, le cocher, la main sur la clef de la portière, lui dit:
– Monsieur sait que l’heure est passée?..
– Quelle heure?
– Huit heures.
– C’est vrai, j’ai entendu sonner quelque chose comme cela.
– C’est que passé huit heures, le prix change.
– A merveille, combien est-ce?
L’homme répond avec douceur:
– C’est douze francs.
Victor Hugo comprit sur le champ l’opération. Le matin, on annonce qu’on mènera les curieux à Biarritz pour trois sous par personne. Il y a foule. Le soir, on ramène cette foule à Bayonne pour douze francs par tête.
Le poète paya sans mot dire, tout en songeant que l’on eût pu écrire sur la calèche: VOITURE POUR BIARRITZ. – Prix: par personne, pour aller: trois sous; pour revenir: douze francs, mais alors le nombre des voyageurs eût été moins grand et le bénéfice des cochers aussi.
Très cher également les edelveiss que de jolies petites filles bien costumées vous offrent, c’est une manière de parler, car elle se paie un bon prix la flore des hautes altitudes.
A Grindelwald, nuit
3
Autrefois on disait: «Pas d’argent pas de
De plus, on compte que les mêmes touristes ont dépensé environ quarante millions pour leurs voyages en chemin de fer, bateau à vapeur, voie funiculaire et à crémaillère, tramways, etc. C’est un beau denier pour un si petit pays.