Politik – Kirche – politische Kirche (1919–2019). Группа авторов

Politik – Kirche – politische Kirche (1919–2019) - Группа авторов


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      Pour les Stoïciens, si le vide est présent, et est incorporel, il lʼest hors du monde, il est de fait partout autour du monde ; il est, pour ainsi dire, pour le monde, à sa disposition, puisque sa caractérisation consiste précisément en ce quʼil est là prêt à être occupé par le cosmos le jour de sa destruction. Il est ainsi par définition « ce qui peut être occupé » et donc ne lʼest pas encore11. Il ne sera, dʼailleurs, jamais occupé entièrement, car il est infini, mais permettra au monde de se régénérer en lui fournissant un lieu pour le faire.

      Il y a donc pour les Stoïciens une évolution du monde, ainsi quʼune fin et une régénération anticipées, grâce à la relation du cosmos au vide, et même, devrions-nous dire, en vertu même de cette relation. Cela est important pour les Stoïciens : car cette relation garantit le rationalisme du cosmos, qui est un monde clos parfaitement agencé et qui, parce que les choses ne peuvent pas être autrement, recommencera à partir de ses cendres dissoutes dans le vide exactement comme la fois précédente (cʼest le principe de lʼéternel retour). Les possibilités de réalisation des corps sont donc finies, limitées par le vide infini qui les encercle. Il nʼy a cependant pas de vide à lʼintérieur du cosmos : là, tout touche tout.

      Épicure pointe le doigt sur ce qui permet cette vision close et rationnelle des Stoïciens : cʼest le vide avec qualité, même sʼil nʼen a quʼune : celle de pouvoir être occupé.

      Mais en faisant de lʼincorporéité, non pas la marque dʼune indépendance ontologique, mais la qualité du vide qui correspond justement à la négation du fait dʼavoir des qualités, Épicure retire lʼobstacle (ou la garantie, selon les points de vue) qui maintient, chez les Stoïciens, le vide hors du monde. Le vide existant fait irruption dans le monde, et avec lui lʼinfini des possibles, car sa présence libère la matière.

      Le débat est donc métaphysique dʼabord, cʼest-à-dire concentré sur la structure cosmologique, avant que dʼêtre une question de physique. Si le vide se distingue des corps par sa nature intangible, tandis que les corps ont une nature tangible, ce ne sont là que des différences de manière dʼêtre au monde, et non de structure ontologique.

      3. Lucrèce : présence du vide

      Quand il arrive que ce point de doctrine essentiel passe au monde latin dans la langue innovante et imagée de Lucrèce, le double niveau (le statut ontologique indépendant et ses qualités) se voit traduit de façon surprenante. Lʼélève et passeur de la philosophie dʼÉpicure choisit, pour traduire la pensée de son maître sur le vide, le terme augmen, dont la traduction et lʼinterprétation deviennent un vrai terrain de bataille. Car augmen en latin, comme les mots français qui en dérivent étymologiquement, appartient au champ lexical de la masse, de lʼaugmentation, et ainsi semble sʼapparenter naturellement au corporel. Lucrèce écrit :

      Car toute chose, quoi quʼelle soit, devra être une chose en soi

      Par son augmen, grand ou petit, du moment quʼelle existe.

      Sʼil sʼagit dʼune chose tangible, toute frêle et ténue quʼelle soit,

      Elle fera croître la quantité de corps, et ajoutera à la somme totale.

      Sʼil sʼagit dʼune chose intangible,

      Elle sera incapable dʼempêcher que tout corps mouvant la traverse de tous les côtés,

      Il sʼagit alors de cet espace vacant que lʼon appelle le vide.

      ₁ Nam quodcumque erit, esse aliquid debebit id ipsum

      ₂ augmine vel grandi vel parvo denique, dum sit;

      ₃ cui si tactus erit quamvis levis exiguusque,

      ₄ corporis augebit numerum summamque sequetur;

      ₅ sin intactile erit, nulla de parte quod ullam

      ₆ rem prohibere queat per se transire meantem

      ₇ scilicet hoc id erit, vacuum quod inane vocamus1.

      La bataille dʼincompréhension commence donc avec ce quʼon a pris pour un usage incongru du mot augmen, qui indiquerait quelque chose de quantifiable ; il est dʼailleurs souvent traduit par le mot « masse » en français. Or, il semble bien quʼici Lucrèce octroie aussi bien au corps tangible quʼau vide intangible un augmen.

      Comment peut-on concevoir un vide avec de lʼaugmen ? Cela semble, et a semblé être, un oxymore, et même un contresens, tant et si bien que dans les éditions modernes du texte, depuis la fameuse grande édition de 1850 de Karl Lachmann, on a imprimé le texte de Lucrèce en inversant lʼordre des vers : plaçant le deuxième vers après le troisième pour que augmen décrive exclusivement le corps tangible. Lachmann est suivi par Alfred Ernout dans son édition aux Belles Lettres de 1920 (et toujours réimprimée depuis) ainsi que par Cyril Bailey pour lʼédition dʼOxford. Mais lʼordre donné ci-dessus est bien lʼordre que lʼon trouve dans tous les manuscrits et cʼest lʼordre que choisit dʼimprimer lʼédition de Josef Martin chez Teubner de 1934 ; nous nous proposons de le défendre ici.

      On trouve dans notre passage, tout dʼabord, lʼécho latin de la formule réappropriée dʼÉpicure du kathʼheauto, sous la forme littérale de : « id ipsum ». Le premier vers semble bien avoir une portée compréhensive qui recouvre toute chose qui existe en soi, cʼest-à-dire de façon indépendante. Il est donc attendu que dans le vers suivant, Lucrèce donne la caractéristique fondamentale par laquelle une chose indépendante en soi satisfasse justement ce statut dʼêtre en soi. Le recours emphatique à lʼaugmen joue précisément ce rôle-là. Cʼest un mot difficile et inattendu, mais en même temps, Lucrèce prend beaucoup de précaution autour de lʼemploi du mot, avec une série de pronoms indéterminés, « quel que soit » (aliquid), « quelle que soit la chose » (quodcumque), « du moment quʼelle existe » (dum sit), dont le rôle est dʼatténuer les connotations quantitatives du mot augmen.

      Parmi les interprètes qui ont accepté lʼordre des manuscrits et donc adopté lʼétrangeté de augmen, une proposition de traduction est celle dʼ « extension ». Il sʼagit dʼune extension pure dont les vers suivants énumèrent les possibles manifestations de caractère opposé : une extension qui est tangible pour les corps, une autre, intangible pour le vide. Cʼest David Sedley qui propose cette traduction2 ; il en conclut que posséder cette extension est la garantie que tout autre objet incorporel, tel que les Formes Platoniciennes, ne peut être pris par erreur pour lʼincorporel dont parle Épicure.

      La suggestion de Sedley quant à cette extension pure paraît tout à fait juste. Cependant, alors que Sedley insiste sur le débat avec les Platoniciens, il nʼest pas clair que ce soit encore un débat brûlant pour Lucrèce et quʼil ne soit pas plutôt dépassé, comme une chose entendue. Bien plutôt, son idée de lʼaugmen du vide répond à un souci de corroborer le point philosophique sur lʼindépendance du vide, avec lʼintention de mieux expliquer les paroles du maître. Lʼaugmen est ce qui rend vide le vide (et corps le corps) ; cʼest une visualisation du kathʼheauto, une surenchère typique du style lucrétien qui, non content de la formule technique et littérale « id ipsum », rajoute lʼimage de ce qui ne peut pas être donné en image, lʼaugmen du vide. Lʼaugmen est donc un marqueur dʼexistence et la marque même dʼune présence dans le monde de ses entités constituantes. La traduction que nous proposerions donc pour augmen serait : une présence existentielle3. Il sʼagit dʼune présence qui ne prend pas de place (étant pure extension tri-dimensionnelle), mais fait place (affirmant ainsi son existence, par contraste avec ce qui nʼexiste pas du tout) au vide ou au corps selon les qualités de chacun : addition de qualités pour le corps, absence de qualité pour le vide à travers quoi tout passe. Il sʼagit donc bien dʼune extension sans coordonnées, complétement indéterminée, ancrée dans le monde.

      Toute présence au monde est un plus dans le monde, ce nʼest donc pas rien du tout. La présence existentielle de ce qui a de lʼaugmen (corps et vide) est ainsi contrastée


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