Les enfants des Tuileries. Olga de Pitray
s'attifer de trente-six façons différentes. Quand ce n'est pas elle, c'est sa poupée. Oui, en vérité: jolie ressource que la société d'Irène!
IRÈNE, s'approchant.
Qu'est-ce que tu dis? encore du mal de moi, évidemment! on dirait que tu es une perfection, toi qui te traînes partout d'un air ennuyé, toi qui pourrais t'occuper de pêche, de jardinage, de chasse, et qui ne sais que te pavaner! moi, au moins, je m'amuse avec ma poupée....
JULIEN.
Je te conseille de me dire cela, toi qui passes ta vie à faire la roue....»
Les enfants du jardinier s'échappèrent de la chambre pendant qu'Irène et Julien, rouges et furieux, se disaient des choses de plus en plus désagréables. Ceux-ci finirent par se séparer fort en colère; l'une continua à faire les malles de sa poupée, l'autre alla visiter sa collection de timbres, d'où il espérait bien tirer de quoi acheter une chaîne de montre; cette chaîne était l'objet de tous ses désirs.
Irène avait douze ans et Julien treize ans et demi; leur père était agent de change: leur séjour annuel à Paris développait chaque jour davantage en eux les défauts dont la vanité était le principe. Leur mère était bonne et tendre, mais malheureusement, entraînée dans le tourbillon du monde, elle était peu avec ses enfants. M. de Morville, leur père, les voyait moins encore, quoiqu'il les aimât très-sincèrement; ses nombreuses affaires le retenaient loin de sa famille, et c'est à peine s'il passait avec ses enfants et sa femme une heure chaque jour.
Le lendemain de leur dispute, le frère et la soeur se réconcilièrent d'un commun accord; la mauvaise humeur d'Irène n'avait pu tenir contre un compliment de Julien sur sa robe nouvelle, et la rancune de Julien s'était évanouie à propos d'une exclamation d'Irène sur une cravate rose.
JULIEN.
Eh bien, Irène, nous partons demain décidément, tu sais?
IRÈNE.
Oui, Dieu merci! Je crois que nous allons voyager avec Élisabeth et Armand de Kermadio.
JULIEN.
Nos petits voisins des bains de mer? Ah!...
IRÈNE.
Papa a dit l'autre jour à maman que M. de Kermadio voulait aller à Paris vers le 15 novembre. Ainsi tu vois....
JULIEN.
Ça m'est assez égal, du reste: il ne me va pas, cet Armand. Jouer, toujours jouer, c'est ennuyeux, et il ne sort pas de là; on ne peut pas causer sérieusement avec lui; d'ailleurs, il est d'une ignorance honteuse sur les timbres, et il hausse les épaules quand on parle de tailleur.
IRÈNE.
Élisabeth aussi est singulière: figure-toi qu'elle ne savait pas ce que c'était que Béreux et qu'elle n'avait jamais été à l'Éclair!...
JULIEN.
Oh!... elle est digne de son frère.
IRÈNE.
C'est dommage, vraiment! car elle est assez bonne fille!
JULIEN.
Toujours de bonne humeur.
IRÈNE.
Et très-complaisante.
JULIEN.
C'est vrai, et Armand aussi; pourtant ce sera très-ennuyeux de les voir aux Tuileries, s'ils n'ont pas bon genre comme nous!
La conversation en resta là. Le lendemain, M. et Mme de Morville quittèrent le château avec Irène et Julien. Les gens attachés à la maison les laissèrent partir sans regret, car ils voyaient à peine leurs maîtres, et les enfants avaient toujours un air dédaigneux ou ennuyé qui choquait ces braves gens.
Léonore et Amable se remirent donc gaiement au travail en se félicitant de voir partir les poupées, les lorgnons et les propriétaires de ces charmants objets, tandis qu'Irène et Julien, nonchalamment installés dans la calèche qui les emportait vers le chemin de fer, prenaient des poses gracieuses et préludaient ainsi avec bonheur aux joies qui les attendaient à Paris et en particulier aux Tuileries. Laissons-les à leurs occupations et à leurs pensées frivoles pour faire connaissance avec les petits de Kermadio.
CHAPITRE II.
DEUX PETITS BRETONS.
«Chère enfant, disait Mlle Heiger à son élève, reposez-vous donc un peu: vous savez bien que je vous aiderai à faire cette robe ce soir, et vous vous fatiguez par trop, ce matin: il vaudrait bien mieux faire notre promenade accoutumée.
--Oh! chère mademoiselle, encore un quart d'heure, répondit Élisabeth, d'un ton suppliant. C'est justement parce que vous m'aiderez ce soir, que je me dépêche....
MADEMOISELLE HEIGER, souriant.
Voilà qui est curieux, par exemple!
ÉLISABETH.
Mais certainement: grâce à vous je ferai facilement la camisole qu'il m'eût fallu donner à Marthe sans être faite, et elle ne s'en serait jamais tirée, bien sûr.
MADEMOISELLE HEIGER.
Ah! comme l'ambition vient....
ÉLISABETH, riant.
En cousant! Chère mademoiselle, que vous êtes aimable de m'aider dans cette bonne oeuvre!»
Mlle Heiger se pencha vers Élisabeth et l'embrassa tendrement pour toute réponse.
ARMAND, entrant.
«Ah! ah! on s'embrasse ici?
ÉLISABETH.
Pourquoi pas, quand on s'aime.
ARMAND.
C'est très-bien, mais... il ne s'agit pas de ça.
ÉLISABETH.
Oh! mon Dieu! quel air consterné! qu'est-ce qu'il y a, Armand?
ARMAND, soupirant.
Hélas! il y a que nous partons pour Paris après-demain.»
Élisabeth échangea avec son institutrice un regard désolé.
«Déjà! dit-elle. Ah! mon Dieu, comme c'est tôt! Grand'mère ne revient à Paris que pour Noël: mes cousins de Marsy, de même. Nous serons donc seuls à Paris, jusque-là?
MADEMOISELLE HEIGER.
Que voulez-vous, chère petite! votre père a évidemment un besoin sérieux d'y retourner; nous avons, comme consolation, la perspective de visiter les nouveaux boulevards, qui sont, dit-on, magnifiques.
ARMAND.
C'est vrai, mademoiselle, mais je suis comme Élisabeth: j'aimerais mieux rester encore ici très-longtemps. C'est si amusant, la campagne! Je viens à peine de tout arranger dans mon jardin. J'espérais y récolter moi-même les salades d'hiver, et puis voilà mes autres projets dans l'eau.
ÉLISABETH.
Qu'est-ce que tu voulais faire, mon pauvre ami?
ARMAND.
Préparer avec Daniel des piéges à loups, faire une pêche de beaux coquillages pour augmenter ta collection, et enfin, organiser ma bande d'enfants bûcherons.
MADEMOISELLE HEIGER.
Comment! des enfants bûcherons? que voulez-vous dire,