Les enfants des Tuileries. Olga de Pitray

Les enfants des Tuileries - Olga de Pitray


Скачать книгу
plus, papa! (Il se disait à part lui: Comme Armand est sale, je serais comme lui si j'aidais aussi.)

      --Paresseux! dit son père, l'exemple de ton ami devrait t'encourager, au contraire! Il a le même âge que toi, et vois comme il nous aide!

      --Je crois bien! s'écria le chef du train; ce petit monsieur-là a déjà un solide poignet et une rude intelligence: avec ça, serviable et gai. Son père doit être fier de lui!»

      Les derniers préparatifs se terminèrent enfin, à la joie générale. On remonta dans le train, et les deux familles, arrivées à Paris, se séparèrent en se disant à revoir; Irène et Julien, très-honteux d'eux-mêmes et jaloux intérieurement de la supériorité de coeur, de courage et d'intelligence que venaient de montrer les petits de Kermadio.

       Table des matières

      AUX TUILERIES.

      «Êtes-vous prête, mademoiselle Irène?

      --A l'instant, Zélie. Mon toquet? bien; attendez! mon chignon penche trop à gauche. Qu'il est désagréable, ce Leroy, de ne pas me l'avoir fait à boucles! J'en demanderai un à boucles à maman. Les coques de celui-ci sont trop sérieuses, trop lourdes pour ma figure. Mes gants, Zélie; non, pas les foncés, les gris clair tout neufs: oui, ceux-là; dépêchez-vous donc, vous êtes d'une lenteur qui me porte sur les nerfs.»

      Irène mit ses gants, les boutonna avec soin, puis jeta un regard triomphant sur l'armoire à glace qui lui montrait sa petite personne tout entière.

      Toque de velours vert, ornée de grèbe, robe et casaque pareille à la toque, gants gris, bottes vernies à glands d'or, manchon de grèbe, telle était la toilette d'Irène: elle avait de plus une coiffure des plus savantes, compliquée de cet énorme chignon à coques bouffantes qu'elle trouvait trop sérieux. Ainsi arrangée, Irène avait perdu la grâce et la naïveté de son âge: elle paraissait si peu naturelle et même si ridicule, que Zélie ne put s'empêcher de marmotter entre ses dents:

      «Quelle pitié de laisser ainsi des enfants s'attifer en chiens fous!»

      Au même instant, Julien fit son entrée dans la chambre. Il était aussi pimpant que sa soeur, et jouait négligemment avec son fameux lorgnon.

      «Allons donc, lambine, s'écria-t-il, en route pour les Tuileries; j'ai des rendez-vous d'affaires, et mes acheteurs de timbres doivent s'impatienter.

      --Je suis prête. Zélie, ma poupée! Partons maintenant,» dit Irène, se regardant une dernière fois avec complaisance dans la glace.

      En disant ces mots, elle prit le bras que lui offrait son frère et se dirigea avec lui vers ces chères Tuileries, où leur vanité devait être satisfaite. Il y avait déjà beaucoup de monde quand ils arrivèrent: leurs riches toilettes, leurs charmantes figures, leurs tournures élégantes firent sensation. Julien, que ce succès évident gonflait d'orgueil, se mit à pérorer dans un groupe de petits garçons, tandis qu'Irène allait échanger des poignées de main et de gracieuses révérences avec quelques élégantes qui l'accueillirent avec empressement, quoique sa toilette excitât visiblement leur jalousie.

      JULIEN.

      Bonjour, Jordan; où est votre frère?

      JORDAN.

      Chut! il fait une rafle de timbre Guatemala à un petit imbécile qui n'en connaît pas la valeur. Le voyez-vous en conférence là-bas?

      JULIEN.

      Bravo! part à trois, n'est-ce pas?

      JORDAN.

      Bien entendu! Il y a de nouveaux venus aujourd'hui qui veulent faire les fendants; il s'agit de leur colloquer tous nos fonds de magasin. Chargez-vous donc de ça, Julien; vous vous y entendez comme pas un.

      JULIEN.

      Compris! (Il s'approche des arrivants.) Bonjour, messieurs; vous me voyez ravi: je viens de recevoir quelques timbres allemands fort rares. Voulez-vous les voir?

      --Certainement, voyons donc ça! s'écrièrent les pauvres innocents.

      Julien ouvrit avec précaution un portefeuille-album rempli de timbres de toute espèce.

      «Voilà, dit-il.

      UN PETIT GARÇON.

      C'est très-joli, très-curieux! Voulez-vous m'en céder deux ou trois?

      LES AUTRES.

      A nous aussi, n'est-ce pas?

      JULIEN, feignant d'hésiter.

      C'est que... ça ne peut être acheté que par des gens très-riches, vu qu'ils sont très-chers.

      UN PETIT GARÇON.

      Ça nous va; nous avons de l'argent.

      JULIEN.

      Chaque timbre vaut quatre francs. Ce serait de la folie d'en prendre plus d'un.

      LE PETIT GARÇON, avec orgueil.

      J'en prends trois! (Il paye Julien.)

      LES AUTRES.

      Nous aussi. Donnez, voilà l'argent.

      JULIEN.

      Merci. A votre service, mes chers amis. J'en ai d'autres à votre disposition.»

      Les petits garçons s'éloignèrent pour montrer à tout le monde leurs acquisitions.

      «Eh bien, dit Julien à Jordan, ai-je mené ça lestement?

      --Admirable, mon cher, répondit Jordan, vous avez le génie des affaires. Ah! voilà Jules qui arrive. Eh bien, ces Guatemalas?

      --Les voilà, dit triomphalement Jules, en ouvrant son carnet.

      --Sabre de bois! dit Julien, trente-deux! Quel trésor! Et combien avez-vous payé ça, Jules?

      --Devinez, dit Jules en se croisant les bras.

      --Seize francs? dit Jordan.

      --Moins.

      --Je parie, s'écria Julien, qu'il aura échangé ça contre des français!...

      --Juste!» dit Jules en se frottant les mains. Jordan et Julien éclatèrent de rire.

      «Il a été un peu bien enfoncé, allez! continua Jules avec orgueil. Je le voyais compter ses guatemalas quand je l'aborde tout à coup, et je lui dis: «Tiens, vous aussi, vous avez des timbres?

      --Oui, dit Ernest, ils sont rares, n'est-ce pas?

      --Rares, ces timbres-là? pas le moins du monde.

      --Alors je ne trouverai pas à les échanger facilement?

      --Je ne pense pas.

      (Voilà un garçon qui a les larmes aux yeux en m'entendant.)

      --Allons, lui dis-je, vous n'avez donc que cela dans votre bourse pour faire si triste mine?

      --Oui, répondit-il piteusement.

      --Tenez, je suis bon enfant et j'ai de l'argent, par-dessus le marché. Donnez-moi ces saletés-là, je vous offre en échange des timbres français tout neuf. Ça vaut de l'argent comptant ça.»

      Il était ravi, l'imbécile! Nous avons fait l'échange et voilà.

      Jordan et Julien riaient comme des fous à ce récit.

      JULES.

      Ah! voilà Vervins:


Скачать книгу