Les enfants des Tuileries. Olga de Pitray

Les enfants des Tuileries - Olga de Pitray


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être drôle!

      IRÈNE.

      Ah! ah! ah! quelle ignorance! cela veut dire que c'est une étoffe de choix.

      ÉLISABETH, tranquillement.

      Très-bien: voyez-vous, je ne me connais guère en toilettes, je laisse maman s'en occuper pour moi.

      IRÈNE.

      Vous avez bien tort! je reprends:

      Robe de faye bleu de France avec dentelles de Cluny, blanches, sur toutes les coutures; robe de velours vert, garnie de grèbe avec casaque pareille, garnie de même.

      Robe de satin gris avec brandebourgs de velours vert et épaulettes noires.

      Robe de taffetas lilas avec bandes de soie gris chiné, en biais, et gilet gladiateur gris chiné, à manches.

      Robe de....

      ÉLISABETH.

      Mais, mon Dieu, c'est tout un régiment de toilettes! et des robes simples pour les Tuileries?

      IRÈNE

      Mais c'est justement pour les Tuileries, ces toilettes-là.

      ÉLISABETH

      Vous ne pourrez jamais jouer avec ces belles choses?

      IRÈNE.

      Moi, par exemple! jouer sottement pour abîmer mes belles affaires; certes non, je ne jouerai pas; je me promènerai avec ma poupée qui sera aussi bien mise que moi.

      ÉLISABETH, souriant.

      J'ai plusieurs poupées, moi; elles marchent, parlent, rient et sont très-gentilles.

      IRÈNE.

      Tiens, ce doit être une mécanique qui les fait aller! qui est-ce qui vous les a données?

      ÉLISABETH.

      C'est le bon Dieu.

      IRÈNE.

      Ah! Ah! quelle plaisanterie! le bon Dieu vous donne des poupées?

      ÉLISABETH.

      Il me donne mieux que des poupées, puisque celles dont je vous parle et que j'appelle en riant mes poupées, sont des enfants pauvres.

      IRÈNE.

      Ça doit être ennuyeux, je ne ferais jamais.... Ah! mon Dieu! mon Dieu, qu'est-ce qu'il y a? (criant) au secours, je suis morte!

      JULIEN, de même.

      Miséricorde, je suis perdu...»

      Le train venait de dérailler violemment et plusieurs wagons, parmi lesquels se trouvait celui contenant nos petits voyageurs, venaient de verser. Élisabeth et Armand ne criaient pas comme les petits de Morville; leur première idée avait été de rassurer leurs parents qui craignaient pour eux.

      IRÈNE.

      Aïe! Julien m'écrase; je suis blessée: mon sang doit couler... quel malheur! (Elle sanglote.)

      JULIEN.

      Ah! mon Dieu! voilà mon gilet neuf déchiré. Quel malheur!

      M. DE MORVILLE.

      Silence donc, mes enfants; sortez du wagon et ne dites pas de ces sottises-là!

      IRÈNE, pleurnichant.

      Je ne sais par où sortir! nous sommes sens dessus dessous!

      MADAME DE MORVILLE.

      Suis-moi, mon enfant. (Elle sort péniblement par la portière.) Tu peux bien passer par où j'ai passé moi-même, je pense.

      IRÈNE, grimpant.

      Ah là! là! que c'est difficile!

      M. DE MORVILLE, agacé.

      Ne crie pas tant: va toujours.

      «Ah! mon Dieu, se mit à crier Irène, je viens de me couper la main à la glace. Que je souffre, que c'est profond! comme ça saigne! mon sang, mon pauvre sang coule! au secours!»

      Et la frayeur de la petite fille était telle qu'elle tomba en pâmoison dans les bras de sa mère éperdue.

      Pendant cette scène, M. de Kermadio faisait sortir du wagon sa femme et ses enfants, et hissa Julien, qui se montrait gauche et grognon.

      MADAME DE KERMADIO, effrayée.

      Ah! mon pauvre Armand! quelle bosse tu as au front? cela doit te faire grand mal!

      ARMAND.

      Un peu, maman, mais ça se passera; ne vous en tourmentez pas.

      M. DE KERMADIO, inquiet.

      Comme tu es pâle, Élisabeth! souffres-tu?

      ÉLISABETH, sans l'écouter.

      Mon Dieu! où est donc Mlle Heiger? ah! quel bonheur! la voilà qui arrive! elle n'a rien, grâce au ciel. (Elle se jette dans ses bras.)

      Elle tomba en pâmoison. (Page 36).

      MADEMOISELLE HEIGER.

      Quelle joie de nous retrouver tous sains et sauf! (Avec terreur.) Ah!

      MADAME DE KERMADIO, effrayée.

      Qu'y a-t-il donc?

      MADEMOISELLE HEIGER.

      Mais vous êtes blessée, chère Élisabeth? oh! madame, regardez, quelle affreuse plaie au bras! comme elle saigne, mon Dieu! et les éclats de verre qui sont dans la plaie....

      ÉLISABETH.

      Ce n'est rien, chère mademoiselle: n'effrayez pas maman, je vous en prie: en tombant la glace s'est brisée sous mon bras.

      --Comment, dit Mme de Kermadio inquiète, tu es blessée, mon enfant!

      ÉLISABETH, souriant.

      Un peu, mais ce bobo n'est rien auprès de ce qu'ont les autres.

      Sa mère et son institutrice se regardaient avec émotion, tout en pansant avec soin le bras de cette courageuse enfant.

      MADAME DE MORVILLE, tristement.

      Regarde, Irène, compare ta petite coupure à la blessure d'Élisabeth, ta frayeur à son courage, et dis-moi si Mme de Kermadio ne doit pas être aussi fière de sa fille que je le suis peu de la mienne.

      Les pleurs d'Irène s'étaient séchés depuis la découverte de la blessure d'Élisabeth: elle répondit à demi-voix:

      «C'est vrai, maman, mais elle a six mois de plus que moi.»

      Mme de Morville secoua la tête sans rien dire. Élisabeth, une fois pansée, avait pris un petit carré de taffetas d'Angleterre et l'offrit à Irène.

      «Tenez, Irène, lui dit-elle en souriant, mettez cela sur votre coupure, ça empêchera l'air de l'envenimer davantage.

      --Merci, ma bonne, ma chère Élisabeth, dit Irène émue, en l'embrassant: vous êtes bien aimable de songer à moi dans un pareil moment.»

      On venait de relever les wagons, qui n'étaient qu'à demi renversés sur un talus; les voyageurs aidaient de très-bonne grâce les employés du chemin de fer, afin de pouvoir faire repartir le train avec une locomotive de rechange qui venait d'arriver.

      Armand, sans penser à sa meurtrissure au front, aidait de tout son coeur avec son père. Quand il s'agit de relever les wagons, il donna l'idée de mouiller les cordes avec lesquelles on tirait les voitures, afin qu'elles eussent plus de solidité.

      «Julien,


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