Des variations du langage français depuis le XIIe siècle. F. Génin

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vé-u, bé-u, recé-u, etc., etc.

      La difficulté gît bien moins à constater de pareils faits, qu'à en limiter l'étendue et la durée; d'autant qu'il y a toujours eu un moment plus ou moins long où les deux formes étaient en concurrence et subsistaient ensemble.

      Observons donc, puisque l'occasion s'en présente, que Adenes, l'auteur de Berte aus grans piez, était contemporain de S. Louis; qu'ainsi, dès le XIIIe siècle, la diphthongue commençait à s'établir pour le participe passé en u. On la faisait ou on ne la faisait pas, selon le besoin.

      Théodore de Bèze, en 1584, nous apprend que de son temps on conservait religieusement l'habitude de la diérèse dans le pays Chartrain et dans l'Orléanais, comme fait encore le peuple de Paris pour le seul participe .

      Les Picards ont toujours affectionné la terminaison en u, et prononcé Diu, fiu, du fu, le liu, les yus. Or, l'influence picarde ayant été prédominante dans le français, à cause du nombre considérable de poëtes fournis par la Picardie, au moyen âge, il est vraisemblable qu'il faut attribuer à cette influence la forme qui a fini par prévaloir.

      Remarquez aussi qu'Adenes, ménestrel du duc de Brabant, Henri III, vivait dans le voisinage de la Picardie: son langage devait s'en ressentir.

      Saint Sulpice est appelé par le peuple saint Suplice, et c'est comme l'écrit l'auteur du Dit des Moustiers de Paris:

      Apres, saint Pere du sablon

      Et saint Souplis i assemblon.

      Un brelan s'est d'abord écrit un berlan, un berlenc (le c euphonique):

      Un berlenc aporte et trois dés

      . . . . . . . . . . . . . . . . . .

      Lors jete dessus le berlenc:

      —Cis cops ne vaut pas un mellenc!

      (De S. Pierre et du Jongleur.)

      On prononçait un bellan, comme un mellan, ou bien plutôt un brelan, parce qu'il était facile et doux de reporter l'r de berlan, ce qui ne se pouvait faire pour merlan.

      Berbis, formé de vervex, est devenu brebis. Les anciens textes du XIIe siècle, saint Bernard, les Rois, écrivent toujours berbis. On n'a jamais prononcé que brebis.

      Et bergier, par la même raison, se prononçait breger.

      Hernaïs, le neveu de Garin, se rend à l'armée suivi de cent braves chevaliers:

      Il n'i vint pas comme villain bregier,

      Mais comme prou et vigoureux et fier.

      (Garin, t. I, p. 133.)

      Il existe un nom propre Bregé;—c'est Berger.

      Héberger, hébreger:

      Et sachiez bien que nul escamp

      Ne querrons de vous hebregier,

      Que ne semblez mie bregier.

      (La Violette, p. 79.)

      —«Cuens des blans dras, cuens des blans dras, te deust ore avoir nus essoigne tenu que tu… ne l'eusses hebregié et recueilli?» (Villehard., p. 196.)

      Un des plus curieux exemples de la transposition de l'r se trouve dans la chanson de Roland, où le nom de la province de Frise est toujours écrit Fizer; mais on est averti par la rime:

      Li reis serat as meillors pors de Fizer

      S'arrere guarde aurat detres sei mise.

      (St. 43.)

      On voit ici l'r avancer de deux syllabes; c'est comme dans le mot Fontevrault (Fons Ebraldi), qu'on prononçait, du temps de Louis XIV, Frontevault. Ménage a grand soin de nous en avertir. Cependant il n'y avait pas ici nécessité absolue, l'r étant aussi bien liquide après le v qu'après l'f; mais comme l'f est plus forte, l'r s'y appuie mieux.

      C'est le même motif qui a changé boucle en blouque:—«… La grant espée de parement du roy, dont le pommeau, la croix, la blouque… estoient couverts de veloux azuré.»

      (Monstrelet, III, fol. 22, 1572.)

      Lorsqu'il s'agit de transporter en français le mot spiritus, comme il n'y avait pas moyen de garder les deux consonnes consécutives, on usa de la ressource convenue en pareil cas, qui était de les faire précéder d'un e et d'éteindre ensuite l's dans la prononciation, en donnant à l'e le son fermé.—On supprimait la terminaison latine.

      Cela produisit le mot espir, qui est la forme écrite la plus ancienne, la seule à peu près qu'on rencontre dans les textes du XIIe siècle, et qui se montre encore quelquefois dans les manuscrits du siècle suivant.

      —«Cis filh vivent dedans par espir ki defors muerent par char.» (Job, 504.)

      «Ces fils vivent au dedans par l'esprit, qui au dehors meurent par la chair.

      —«La splendors del Saint Espirs.» (Ibid., 513.)

      Mais on transposait l'r, et l'on prononçait comme bientôt on l'écrivit, esprit.

      Amis, de part le Saint-Espir,

      Tos tes voloirs veuil accomplir.

      (De S. Pierre et du Jongleur.)

      «De par le Saint Epri—tous tes vouloirs veuil accompli

      Fierte vient de feretrum. D'après les règles précédentes, vous prononcerez fetre, ie valant é accentué, et l'r se transposant après le t:—La fetre de saint Romain. Ce mot se rapproche de feretrum bien plus que fiere-te.

      Le peuple, fidèle à cette habitude de transposer l'r pour fuir deux consonnes consécutives, persiste à nommer un épervier, un éprevier. C'est l'antique prononciation. Turold nous apprend que Barbamouche, le cheval du Sarrasin Climborins, était plus rapide qu'épervier ni hirondelle:

      Plus est isnels qu'eprever ne arunde.

      (Chans. de Roland, st. 115, v. 10.)

      L'ancien dictionnaire de l'Académie enregistre cette prononciation sans la blâmer ni l'approuver; mais Ménage, de son autorité privée, décide que épervier est la seule prononciation légitime. C'est dans ses Réflexions sur la langue françoise, dans ses Observations il s'était contenté de dire:

      «Celui qui porte les épreuves (d'une imprimerie) s'appelle épervier, par corruption pour épreuvier, ou par allusion à un épervier, à cause qu'il doit voler et voler viste comme un épervier, en portant et rapportant les épreuves. Et à ce propos, il est à remarquer que nos anciens disoient éprevier, au lieu d'épervier.» (Obs., p. 336.)

      Tout le génie étymologique de Ménage brille dans cette conjecture sur l'épreuvier, qui vole comme un épervier.

      De verus on a fait voir, qu'on prononçait vouére, quand l'r finale était suivie d'une voyelle: voir est, verum est. Mais quand le second mot commençait par une consonne, on ne pouvait plus conserver l'r à la fin, ce qui eût ajouté un e muet et donné deux syllabes au lieu d'une. Que faisait-on alors? On transposait l'r en parlant, et, tout en écrivant voir, on prononçait vroi, vroué, et finalement vrai.

      Enfans, ce dist Aymon,


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