Des variations du langage français depuis le XIIe siècle. F. Génin

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      N'estoit si plaisans a entendre.

      (Le lai de l'oiselet, v. 85.)

      «Rossignol, merle ni alouette, n'était si agréable à entendre.»

      Un merlan se prononçait un mellan. Dans le fabliau de saint Pierre et du Jongleur, saint Pierre, en l'absence du diable, descend en enfer, proposer une partie de dés au jongleur commis à la garde des chaudières: Hélas! je n'ai point d'argent, dit le jongleur.—Mets des âmes au jeu, répond saint Pierre, qui avait fait son plan de tricher pour tirer d'affaire les pauvres damnés, comme de fait il y réussit:

      Dist li jougleres: C'est a droit.

      Lors jete deseur le berlenc.

      —Cis cops ne vaut pas un mellenc,

      Dist saint Pierre; perdu l'avez.

      (Barbaz., II, 195.)

      L'auteur de ce joli fabliau était Picard. Le peuple d'Amiens prononce encore un mélan.

      De même le verbe hurler sonnait huller.

      Dans le Renart contrefait, par Jacquemars Gielée, Renart, voyant sa propre image reflétée dans l'eau d'un puits, croit apercevoir sa commère Hersent:

      Lors a hullé une grant foiz.

      Roland, traversant une forêt, entend au loin la chasse du roi:

      Les veneors du roy oï priser, corner,

      Et les chiens d'altre part et glatir et usler.

      (Gerard de Viane, v. 155.)

      La rue du Grand-Hurleur est inscrite, dans le catalogue de l'abbaye Saint-Germain (1450), rue de Hulleu;—rue de Hurleur. Lebœuf a prétendu que le nom de cette rue devait s'écrire Hue-le, parce qu'il y avait probablement une maison de prostitution, et que probablement aussi le peuple huait tous ceux qu'il en voyait sortir. C'est une heureuse imagination!

      Pourquoi écrivons-nous un chambellan, sinon par la tradition de la prononciation ancienne? Vous voyez dans les vieux auteurs chamberlan, ou chambrelan, cambrelanc, etc…

      Antoine de la Salle, l'auteur de ce charmant livre du Petit Jehan de Saintré, le Télémaque du XVe siècle, nous apprend, au chapitre II, que la jeune dame des belles Cousines, depuis le trépas de feu monseigneur son mari, «ne se voult remarier pour quelque occasion que ce feust, pour ressembler aux autres vrayes vesves de jadis, dont les histoires romaines, qui sont les suppellatives de toutes, font tant de glorieuses mencions.»

      Mellusine est pour Merlusine ou plutôt mère Lusine, mère des Lusignan, dont le nom se prononçait Lusinan, témoin ce passage et une foule d'autres de la chronique mal à propos intitulée Chronique de Rains: «Et eschei li roaumes a une siene sereur qui estoit en la terre de Surie, et estoit mariee à monsignor Guion de Lusinan.» (P. 18.)

      Quant à la fée Mellusine, qui épousa Raymond de Lusignan et fut la tige d'une illustre et nombreuse famille, ce n'est pas ici le lieu de raconter sa merveilleuse histoire; il suffit de dire que lorsqu'un de ses descendants devait mourir, elle apparaissait la nuit sur les murs de son château, poussant des cris lamentables; d'où le peuple a dit, en commun proverbe: des cris de Mère Lusine. L'Académie prescrit de dire: cris de Mélusine. Madame de Sévigné écrit Mellusine par deux l.

      TRANSPOSITION.—On usait souvent aussi de la seconde ressource quand l'r suivait une voyelle, étant suivie elle-même d'une consonne; c'était de la transposer en avant de la voyelle. On écrivait formage, à cause de forma, formago, formagium (Du Cange), mais on prononçait fromage;—ferpes (ferpatæ vestes, habits troués, effiloqués, guenilles), et on prononçait frepes, d'où freperie, friperie.

      Apres ne doy oublier mie

      Saint Seurin, pour la ferperie

      Qui est achatée et vendue

      En son carrefour.

      (Le Dit des Moustiers.)

      On dit encore en Picardie flepes, par la substitution d'une liquide à l'autre. Aller à flepes, c'est porter des guenilles. Un manteau efflepé.

      Nos pères faisaient fourmi du masculin: li formiz. Le peuple dit toujours un fremi.

      Pormener ou pourmener, sonnait proumener.

      Quant la porcession fut hors du grant moustier,

      Felix par la main destre a pris le chevalier.

      (Le Dit des trois Moines.)

      C'est la procession.

      Furetière témoigne qu'on disait autrefois porfil (contour), au lieu de profil; c'est-à-dire qu'il a rencontré ce mot écrit porfil. Effectivement, je trouve dans un fabliau du XIIIe siècle:

      Li surcoz fu toz a porfil

      Forrez de menuz escureax.

      (D'Auberée la vielle maquerelle.)

      «Le surcot était tout autour garni d'une fourrure d'écureuil.»

      Mais le changement a eu lieu dans l'orthographe et non dans la prononciation, qui a toujours été profil.

      Fremer, défremer, pour fermer, défermer, se dit encore en Picardie:

      En la grange le moine, si li a defremée

      L'ostesse s'emparti, à la clef frema l'huis.

      (Le Dit du Buef.)

      —«Que vous dirois jou? la pais fu faicte et confremée.» (Villehard., p. 185.)

      Dexter a fait dextre, et sinister, senestre. On prononçait dêtre et senêtre, comme fenêtre. L et r étant deux liquides, ne comptent pas à la seconde place pour des consonnes entières; cependant le désir d'obtenir un mot plus coulant à l'oreille a déterminé quelquefois une transposition superflue en principe. Ainsi l'on a dit, au lieu de dêtre, drète. Ensuite, à cette forme féminine, on a créé le masculin dret, que l'on a écrit plus tard droit, droite; et voilà comment droit dérive de dexter, par métathèse ou transposition.

      Faible vient de même de flebilis, et a existé sous la forme floible (flouèble). Dans le Livre des Rois, dans saint Bernard, dans les Moralités sur Job, on ne rencontre jamais que floibe, afloibir; floibeteit, pour faiblesse, de flebilitas. Jean de Meung, dans sa version d'Abélard, n'emploie jamais que floibe; le roman de Berte aus grans piés nous montre déjà ce mot avec deux l, dont la seconde seule a survécu:

      Mais elle avoit el bois receu trop male rente

      Que de plusieurs meschiefs ot eu plus de trente,

      (Berte aus grans piés, p. 72.)

      La mesure de ces vers prouve qu'il faut prononcer dans le premier receu en deux syllabes, comme il est aujourd'hui; et dans le second, é-u, avec diérèse, c'est-à-dire séparation des


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