L'Ame de Pierre. Georges Ohnet

L'Ame de Pierre - Georges Ohnet


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figure de Laurier se crispa, et avec ironie:

      —Pourquoi as-tu fait, pour lui, une si blessante exception?

      D'un seul élan, Clémence Villa fut sur ses pieds, et, rouge de colère, les yeux étincelants sous ses sourcils froncés, de sa main agitée d'un tremblement, montrant la porte:

      —Mon petit, si tu viens ici pour me dire des insolences, tu peux filer!...

      —Oh! je sais que tu ne tiens guère à moi, tu ne me l'as jamais laissé ignorer, dit le peintre, avec un geste de découragement.

      —Alors pourquoi restes-tu?... Si tu étais aimable encore, je comprendrais ton entêtement. Mais tu passes ton temps à me maudire chez tes amis, ou à m'insulter chez moi. Tout ça, parce que je ne me plie pas à tes fantaisies, et ne m'enferme pas pour vivre avec toi tout seul.... Quelle séduisante perspective...! En somme, tu es un ingrat. J'ai quitté, pour te plaire, Sélim Nuno, qui avait été excellent pour moi, et qui supportait, lui, tous mes caprices.... Je t'ai aimé beaucoup... oh! tu le sais bien...! Car, avant ta folie, tu étais un charmant et agréable garçon.... Mais voilà que, depuis trois mois, tu perds complètement la tête, alors bonsoir! Moi, je ne sais pas soigner les aliénés: va dans une maison de santé.

      Elle s'était adossée à la cheminée en parlant ainsi, et, dans son déshabillé de peluche rubis, le ton ambré de sa peau luisait comme de l'ivoire. Sa petite tête aux boucles frisées, supportée par un cou un peu long, avait une grâce exquise et, par l'échancrure de sa robe, sa-poitrine sertie, comme un bijou, par une précieuse malines, apparaissait voluptueuse, dans son orgueilleuse fermeté.

      Pierre lentement s'approcha, et, s'asseyant sur un tabouret presque aux pieds de la jeune femme:

      —Pardonne-moi, je souffre, car je t'aime et je suis jaloux.

      Elle le regarda durement et d'une voix coupante:

      —Tant pis! Car je ne suis plus disposée à supporter tes soupçons et tes brutalités. Voilà pas mal de semaines déjà que je me tiens à quatre pour ne pas te le dire. Mais j'en ai assez. C'est fini, c'est fini, c'est fini! Tu peux te dispenser de revenir.

      Le peintre pâlit un peu.

      —Tu me renvoies?

      —Oui, je te renvoie.

      Il resta un instant silencieux, comme s'il hésitait à exprimer jusqu'au bout sa pensée. Puis, presque bas, avec la crainte de la réponse méchante qu'il prévoyait:

      —Est-ce que tu en aimes un autre?

      —Qu'est-ce que ça peut te faire? Je ne t'aime plus, voilà ce qui est important pour toi....

      Une rougeur monta au visage du jeune homme, et ses mains tremblèrent. Il mordit sa moustache, et affectant une souriante indifférence:

      —Au moins suis-je bien remplacé? On a son amour-propre...!

      —Rassure-toi, interrompit Clémence avec aigreur. Je ne perdrai pas au change. Il est jeune, il est riche, il est beau.... Et, depuis longtemps, il m'occupe.... Du reste, tu le connais, c'est un de tes amis....

      Et, comme le peintre, stupéfait par tant d'audace, se demandait s'il veillait ou s'il rêvait, la jeune femme poursuivit, distillant chaque parole, avec une atroce cruauté, ainsi qu'un mortel poison:

      —Tu viens de le quitter.... Il dînait ce soir avec toi....

      —Davidoff? s'écria Pierre.

      —Imbécile! ricana Clémence. Ce Russe cynique, qui méprise les femmes, et les conduirait avec un knout? Me juges-tu si sotte? Non! Celui qui m'a plu est un charmant garçon, doux, mélancolique, un peu souffrant, mais qui croit à l'amour et qui s'y donnerait tout entier.

      A ces mots, Pierre fit un bon et, saisissant la comédienne par les poignets, il la fit plier, maigre la résistance qu'elle lui opposait. Leurs deux visages se rapprochèrent, leurs regards se trouvèrent un instant confondus. Ils restèrent ainsi quelques secondes, soufflant la haine et la colère. Enfin le peintre dit d'une voix tremblante:

      —C'est de Jacques de Vignes que tu viens de parler?

      —C'est de lui.

      —Tu sais qu'il est très gravement malade de la poitrine?

      —Il me plaît ainsi.... le le soignerai.... L'amour pur m'a toujours attirée...!

      —C'est pour me torturer que tu as inventé celle histoire...? Avoue-le, il n'y a pas un mot de vrai dans tout ceci?

      —C'est ce que tu verras....

      —Clémence, prends garde...!

      Les yeux de la jeune femme étincelèrent de fureur, elle se dirigea vers la sonnette, mais avec tant de précipitation que ses pieds s'embarrassèrent dans les plis de sa robe. Pierre eut le temps de la retenir par le bras:

      —Tu me menaces, chez moi, cria-t-elle. Eh bien, je le prendrai, ton Jacques.... Oui, je le prendrai, rien qu'à cause de toi!

      Le peintre, d'un geste de dégoût, la repoussa si brusquement qu'elle alla tomber sur le divan. Il prit son chapeau et d'une voix étouffée:

      —Infâme créature! J'aimerais mieux mourir, maintenant, que de m'approcher de toi! Va! continue ton ignoble existence! Peu m'importe! Je ne te reverrai jamais!

      Il ouvrit la porte d'un coup de poing, comme s'il voulait user, contre les choses, une colère qu'il n'avait pas pu assouvir contre les êtres, et, d'un pas rapide, il sortit dans le jardin. Il entendit, derrière lui, la sonnerie électrique retentir sous la pression d'une main irritée, le pas du domestique glisser vivement sur le dallage du vestibule, et la voix rageuse de Clémence qui criait des ordres. Il ne s'arrêta pas pour écouter. Il était emporté par une exaspération qui lui donnait des envies de meurtre. Il s'était sauvé pour ne pas céder à la tentation de frapper Clémence. Et, à l'air libre, sous le ciel rempli d'étoiles, au milieu de la nuit qui sentait bon, rafraîchi par le vent de la mer qui passait dans les orangers en fleurs, il commençait à éprouver une grande honte. Était-ce possible que, pour cette fille, il eût, depuis un an, fait toutes les folies qui lui revenaient, misérables, à la mémoire; qu'il eût subi toutes les humiliations dont il percevait plus vivement l'amertume? Après avoir dépensé tout ce qu'il possédait pour soutenir le luxe de Clémence, il s'était endetté auprès de ses amis; Son talent, énervé par une vie de plaisir absurde, s'était refusé à la production, et il avait passé des jours entiers, dans son atelier, à rêver des tableaux qu'il ne trouvait pas le courage d'entreprendre. Heures mortelles, écoulées dans le doute et l'inquiétude à se demander si la faculté créatrice n'était pas morte en lui, et si, de sa vie, il pourrait recommencer virilement à travailler. Et tout cela, pour cette coquine qui le trompait! Vraiment il était trop bête, elle avait raison de le mépriser, et c'était une chance inespérée pour lui qu'elle eût pris le parti de le renvoyer.

      Il se sentait, en cet instant, maître à nouveau de sa destinée. Il était délivré de la goule qui avait desséché son cerveau, en même temps qu'elle torturait son coeur. Il redevenait lui-même, et il allait prouver, par des oeuvres, qu'il n'était pas fini, comme on commençait à le dire.

      —Oui! oui! elle verra ce que je vais faire, maintenant que je suis débarrassé d'elle. Avant un mois, elle me regrettera, sinon par amour, au moins par vanité!

      Il marchait, en roulant ces pensées dans sa tête, sur la route de Vintimille, et longeait la mer. Il avait fait, sans s'en apercevoir et emporté par son agitation, beaucoup de chemin. Les lumières de Monaco s'étaient perdues dans la nuit, et il était seul, au bas d'une falaise à pic. A ses pieds, s'étendait la plage, sur les rochers de laquelle les flots se brisaient avec un bruit monotone. Quelques nuages, courant au large, cachaient, par moments, la lune, et tout devenait sombre. Pierre s'assit sur une butte de sable, au revers du chemin, et, dans le calme profond qui l'entourait,


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