Modos y maneras de hacer familia. Nancy Konvalinka

Modos y maneras de hacer familia - Nancy Konvalinka


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filles travaillent en usine avant leur mariage, et se retirent du marché de l’emploi lorsque naissent les enfants. Ce modèle dessine un cycle de vie qui voit se succéder une phase consacrée à la naissance des enfants et à leur élevage et éducation, puis une phase assez longue et qui démarre autour de l’âge de 45-50 ans, celle que les démographes ont appelée la phase de «empty nest», le nid vide. C’est une période d’une vingtaine d’années où le couple peut se consacrer à lui-même. Michel Sardou, un chanteur français a fait une chanson qui a eu beaucoup de succès il y a plus de quarante ans (1973):

      On vient de marier le dernier.

      Tous nos enfants sont désormais heureux sans nous.

      Ce soir il me vient une idée:

      Si l’on pensait un peu à nous,

      Un peu à nous.

      L’âge au mariage et à la première naissance recommence à s’élever à nouveau dès les années 1970, en même temps que se développe la cohabitation juvénile, qu’augmentent le nombre des divorces, tandis que les taux de fécondité, encore assez élevés pour assurer le renouvellement des générations en 1960, chutent durablement. Ces sont les prolégomènes d’un bouleversement de l’institution familiale, dus au développement de la contraception moderne, à l’élévation du niveau d’éducation des jeunes filles, à l’ouverture du marché de l’emploi aux femmes, à l’avènement d’une quête d’égalité entre hommes et femmes. Les démographes s’inquiètent alors du décalage dans le calendrier féminin, qui se traduit par une chute de la fécondité. Ce qu’ils n’avaient pas vu, c’est que l’élévation de l’âge à la maternité était le résultat d’un changement de calendrier, d’un report de la procréation. Depuis les années 1960-1980, l’espérance de vie s’allonge: en France, cette espérance était de 67 ans pour les hommes et 73 ans pour les femmes en 1960. En 2009, elle est de 77,8 et 84,5 respectivement (Pison, 2010). De ce fait, tous les âges se décalent dans le temps: la jeunesse dure plus longtemps, la vieillesse survient plus tard. Dans les années 2000, le changement de climat économique contribue à renforcer ce comportement de retard: le chômage important, la difficulté pour les jeunes de trouver un emploi stable, un logement indépendant se conjuguent pour retarder la venue des enfants.

      Ainsi donc, partout en Europe, avec certes des différences, on observe un retard à la formation des familles, soit qu’elles s’établissent par mariage (comme en Espagne, Italie, Pologne) soit qu’elles s’établissent à la naissance du premier enfant. Selon Gilles Pison (2010), l’âge moyen à la première naissance qui s’établissait à 24 ans dans les années 1960-1970 atteint 30 ans en 2009: de toutes les époques auxquelles on peut le calculer, c’est l’âge le plus élevé, si l’on exclut la parenthèse de la première guerre mondiale. Un âge qui a rattrapé et même dépassé ceux que l’on a relevés aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais qui s’inscrit dans un contexte sociologique tout autre. Quant au cycle de la vie du couple, il ne connaît plus la phase précoce du «nid vide», parce que la naissance de deux ou trois enfants conduisent à les voir partir du foyer lorsque les parents auront dépassé la cinquantaine. De plus avec les ruptures d’union et les recompositions familiales suivies de nouvelles naissances, le moment où le couple pourra penser «un peu à lui», se confondra avec le temps de la retraite et de la grand-parentalité (pour les premiers nés). En effet, les unions se fragilisent partout en Europe, et notamment dans les cinq premières années de la mise en couple, plus dans les unions libres que dans les mariages. Séparations et divorces étant plus fréquents, la proportion de reformer une nouvelle union augmente d’autant plus que la rupture survient à un âge jeune (Prioux, 2006). Ce modèle touche toute l’Europe avec des différences sensibles néanmoins du Nord au Sud, et de l’Ouest à l’Est.

      En même temps que changeaient les modèles conjugaux avec la diffusion de la cohabitation sans mariage, les rapports à l’enfance ont été bouleversés. On se mariait tard pour avoir moins d’enfants autrefois, et une fois mariés, on les laissait venir. Aujourd’hui on choisit de les faire arriver tard. Hier ils étaient les enfants de Dieu, aujourd’hui ils sont les enfants du couple; hier, ils étaient des enfants pour la société, aujourd’hui ils sont des enfant pour soi. Hier ils étaient des enfants imposés ou subis bien souvent, aujourd’hui ils sont des enfants désirés et choisis.

      Toujours selon Gilles Pison, se distinguent deux groupes en Europe. D’abord, un groupe à fécondité tardive; hétérogène sur le plan culturel, avec des pays du Nord, comme les Pays-Bas, l’Irlande, la Suède, la France et des pays méditerranéens comme la Grèce et l’Espagne. Un second groupe qui se caractérise encore par une fécondité précoce comprend les autres pays de l’Union européenne, notamment les plus récemment entrés, comme la Roumanie et la Bulgarie. Ce n’est pas le lieu ici de développer le rapport entre âge à la maternité et taux de fécondité, mais si l’on se fonde sur l’exemple de la France, on constate que le recul à l’âge de la maternité ne s’accompagne pas nécessairement d’une chute de la fécondité. Bien au contraire.

      Le but de cette communication est d’analyser les causes et les conséquences de cette mutation importante. Jeunesse et maternité ne sont plus désormais associés et ce retard à l’âge à la parentalité (le fait de devenir parent) redessine de nouvelles relations entre parents et enfants et plus généralement au sein de la famille. Il convient au préalable de distinguer deux situations, selon qu’il s’agit de familles qui se «forment» tardivement (mères âgées de 30 ans et plus), ou bien de familles qui se «reforment» avec des mères encore plus âgées, mais pas toujours, et des pères davantage encore. Ces dernières configurations d’âge élevé ne doivent d’ailleurs pas être confondues avec les âges élevés observés dans les familles dites très nombreuses (six enfants ou plus). Etre père à 60 ans ne répond pas à la même logique, si l’on est dans le cadre d’une seconde union ou d’une union intacte et très féconde.

      La formation des couples a radicalement changé depuis les années 1970. Les jeunes gens d’aujourd’hui forment des couples dès leur jeune âge, parmi toutes les classes sociales: il s’agit du copain, de la copine rencontrée sur les bancs de la fac, à l’usine ou en boite de nuit, dans une soirée entre amis. Très vite s’instaurent des relations sexuelles, puis, la relation peut se stabiliser, alors que le couple conserve des liens étroits avec sa famille d’origine: on habite la même chambre, le même studio, mais on rapporte son linge à laver chez ses parents. De cette mise en couple, autorisée on le comprend bien par la contraception (chimique pour les filles, ou préservatif masculin), le projet et le désir d’enfant est absent. Il s’agit d’abord d’achever des études qui sont de plus en plus longues, de trouver un emploi stable. On ne s’étonnera pas de trouver des âges à la première naissance encore relativement bas parmi les personnes les moins diplômées. Pour les autres, et notamment les femmes, il s’agit d’engager d’abord sa carrière et de la stabiliser. Ce qui conduit à la trentaine dans l’état actuel du marché du travail. Les socio-démographes constatent que ce sont les femmes cadres et appartenant aux professions intermédiaires qui sont les mères les plus tardives (Bessin et al., 2005).

      Le couple doit maintenant prendre le temps d’évaluer sa relation amoureuse et affective, pour éprouver si chacun et chacune y trouvent son compte. Ensuite peut-être, quelques mois ou quelques années plus tard, se formera le désir d’un enfant signe de stabilisation affective et professionnelle du couple, ou pensé comme stabilisateur de la relation. Un PACS sera peut-être signé, un mariage suivra peut-être, ou pas, ou le couple choisira de demeurer en union libre. Il existe donc un long temps de latence entre la mise en couple et la formation du projet d’enfant. Avant l’enfant, il faut d’abord «vivre sa vie», profiter de son statut de «jeune»; il faut «construire» la relation amoureuse, s’assurer que celle-ci est suffisamment gratifiante et qu’en même temps, l’autre sera bien le père ou la mère dont on rêve pour son enfant (Le Voyer, 1999). Tout ce qui était acquis par le contrat du mariage, qui invite à


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