Modos y maneras de hacer familia. Nancy Konvalinka
il faut alors choisir un compagnon pour une relation qui sera peut-être éphémère ou durable.
Avant la contraception chimique, les couples essayaient tant bien que mal de limiter les naissances. Depuis, c’est de tout autre manière que prend forme le désir d’enfant, dans un geste volontariste: la protection contraceptive est arrêtée, le couple se décide à tenter de donner la vie. Le désir d’enfant s’installe, d’autant plus fort que, passé l’âge de 30 ans, la fécondabilité des femmes diminue. Une fois l’enfant désiré, le couple le souhaite tout de suite, sans attendre, d’où la multiplication des consultations de gynécologie pour stérilité et les dérives parfois observées du «droit à l’enfant».
Le couple a examiné les paramètres socio-économiques liés à la naissance de l’enfant, qui sont évidemment sans rapport avec les calculs économiques d’autrefois. Le logement doit permettre d’accueillir l’enfant comme il le faut en fonction des exigences contemporaines. Il lui faut une chambre pour lui seul, et tout le matériel de puériculture qui va avec. Le couple s’emploie à «créer les conditions» de l’accueil avant de se mettre à la fabrication du bébé. Evidemment, la dimension économique n’est pas la seule à intervenir dans cette décision majeure. Ainsi demeure une certaine ambivalence: l’usage de la contraception est devenu si naturel, comme allant de soi, que les couples n’ont pas toujours le sentiment d’adopter une stratégie. La réalité de l’enfant programmé, planifié va à l’encontre de la perception qu’ils se font de ce que doit être la reproduction, acte naturel et désintéressé (Régnier-Loilier, 2007).
Selon les psychanalystes, la décision d’enfanter est fomentée par l’inconscient, le désir d’enfant échappant par conséquent largement aux souhaits rationnels des géniteurs. Ainsi le subconscient explique les oublis de la contraception, les conceptions à une date telle que la naissance aura lieu à un moment symbolique dans l’histoire de la famille, ou pour «remplir un vide» après le décès d’un de ses membres (Le Voyer, 1999: 110). Le désir d’enfant répondrait donc aussi à des aspirations non rationnelles, même si les considérations matérielles comptent: s’inscrire dans la normalité et conformité du groupe, porter une aspiration à la filiation, qui ne se rabat pas nécessairement sur la continuation de la lignée.
Cet enfant qu’on fabrique lorsque c’est le bon moment, on le fait sur la base d’un nouveau contrat. Le nouveau-né aide l’autre, le géniteur, à accéder au stade d’adulte. Porteur des désirs de ses parents, ce que Serge Tisseron (1994) nomme le «contrat narcissique», l’enfant doit réaliser les aspirations de ses parents en échange de leurs soins et de leur amour.
DES PARENTS PLUS ÂGÉS DANS UNE SOCIÉTÉ «BÉBÉPHILE»
Contre Simone de Beauvoir et les mouvements féministes des années 1970, il est aujourd’hui entendu que la maternité est une des composantes centrale de l’identité féminine. Dans les sociétés rurales d’autrefois, la stérilité-toujours attribuée aux femmes-apparaissait comme un grand malheur. Aujourd’hui la procréation est une des formes de l’accomplissement de soi. Sur une femme qui n’a pas d’enfants, on s’apitoie, et on s’étonne encore plus si elle affirme (et ose le faire) que c’est un choix mûrement réfléchi. Elle en a d’autant plus de mérite que la société est «bébéphile», tout au moins dans ses discours et ses représentations. Contrairement aux Etats-Unis, où les couples peuvent afficher publiquement leur choix de rester des DINKS (Double income, no kids-Double revenu, pas d’enfant), le modèle français comporte une incitation à «faire un enfant»: «la femme qui veut mais ne peut pas procréer se considère comme mise au ban de la société, qu’elle se place elle-même en retrait du groupe ou que celui-ci l’exclue de ses rangs. Les femmes elles-mêmes, leur famille et leur groupe d’appartenance vivent la stérilité comme une malédiction» (Flis-Trèves, 1990: 27). Etre enceinte est à la mode.
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le changement radical intervenu dans la garde-robe pour future maman. Jusque dans les années 1960, toutes sortes de sacs tentaient, sans succès, de cacher ce qu’on nommait encore par euphémisme «le doux secret», protubérance qu’on ne souhaitait pas exhiber. Des couleurs ternes, des vêtements amples n’incitaient guère à sortir de chez soi, ce qui était une façon de se protéger contre les dangers censés guetter les futures mères. Aujourd’hui, celles-ci ceignent leurs ventres d’écharpes multicolores qui en soulignent les rondeurs; elles s’exhibent en maillot de bain deux pièces, arborant fièrement leur rotondité, à l’instar de toutes les vedettes dites «people» qui peuplent les magazines du même nom. Les psychanalystes s’inquiètent d’ailleurs de la «fétichisation» de la grossesse, de la célébration d’une sorte de «maternel érotique» dont le premier signe fut la photo par Annie Leibovitz en 1991 de Demi Moore posant, en couverture du magazine américain Vanity Fair, enceinte de sept mois, avec pour unique parure une bague en diamants. Si la photo déclare de façon fracassante la fierté et la beauté du corps gravide, la «Bébé attitude» n’est toutefois pas sans danger lorsque l’enfant réel, ses pleurs nocturnes et ses coliques, sera là pour de bon (Flis-Trèves, 2005). Il existe aujourd’hui d’ailleurs des unités psychiatriques pour soigner le «mal de mère», souvent fréquent chez de jeunes femmes très angoissées face à leur nouveau-né, comme des spécialistes qui tentent de comprendre les pleurs redoublés des nouveaux nés.
DES PARENTS PLUS ÂGÉS FACE AUX NOUVELLES NORMES D’ÉLEVAGE ET D’ÉDUCATION
Sur les épaules de cet enfant qui vient tard, si désiré, si protégé, on fait peser de lourdes charges, celles notamment de fonder le couple et la famille en l’inscrivant dans la lignée familiale. Alors qu’autrefois les enfants étaient mis au monde pour travailler aux côtés de leurs parents et s’occuper d’eux dans leur vieillesse, aujourd’hui on leur demande de les maintenir dans l’état de jeunesse, de leur permettre de rester «dans le coup» des modes et des cultures. De nouveaux rapports parents-enfants s’instaurent.
En même temps que croissait l’âge à la maternité/paternité, les principes d’élevage et d’éducation sont devenus plus normés, «scientifiquement» normés. Ces nouveaux principes pèsent sur toutes les mères et pères, mais ils sont suivis de plus près par les parents plus âgés, soucieux toujours de bien faire. Plus âgées, plus mûres, les mères ont pensé pouvoir appliquer l’efficacité dont elles font preuve en milieu professionnel à l’élevage de leurs enfants, mais cela ne fonctionne pas toujours aussi bien.
Pendant les premiers mois de sa vie, les nouvelles normes spécifient que les parents se doivent à l’enfant presque exclusivement. Les parents primipares ont tant idéalisé l’enfant avant sa naissance que le choc est souvent rude face, par exemple, aux pleurs nocturnes. Selon la nouvelle vulgate de la puériculture, la mère doit le nourrir au sein. Sur-protectives, parfois déboussolées et refusant à tort ou à raison les conseils des mères et grands-mères, les voici soumises à de nouvelles injonctions. Les psychanalystes sont de plus en plus convoqués pour résoudre les difficultés de ces jeunes-vieilles mères: ils font remarquer que ce n’est pas en portant sur soi l’enfant, en allaitant très tard que l’on peut aider l’enfant à grandir, c’est-à-dire à lui apprendre à se séparer d’elle. Travail de l’enfant, mais aussi travail de la mère qui doit renoncer à ne voir en lui qu’une projection narcissique. Autant que les enfants, ce sont les parents qui doivent apprendre à naître et se développer. En même temps, la jeune-vieille mère se trouve tiraillée entre ces injonctions et les conditions de son retour à l’emploi, avec tous les problèmes liés au mode de garde de l’enfant.
A une maternité relativement insouciante, celle des années 1960, celles de mères ayant à peine dépassé l’âge de 20 ans, non encore trop normée par le corps des médecins ou des psy, se substitue une maternité anxieuse, anxiogène, avide de repères, dans une société qui a tendance à de plus en plus étalonner le développement de l’enfant. Car autant que la formation des couples a pu changer, autant le rapport à l’enfant s’est bouleversé