Modos y maneras de hacer familia. Nancy Konvalinka
révèle déjà un jeune être dont on doit surveiller le développement psychique et intellectuel. «Ce qui n’était qu’une période indifférenciée de maturation devient un cursus scientifiquement défini: il y a un âge pour la marche et un âge du langage, un âge du dessin etc. Ceci introduit une rupture profonde dans le rapport à l’enfance. La pratique traditionnelle des performances enfantines s’accomplissait dans un contexte où la norme tenait sa seule force de sa généralité, alors que s’impose maintenant une norme légitime, “scientifiquement” fondée» (Chamboredon et Prévôt, 1973: 313-314). Les conseils de la puériculture, de la psychologie et de la psychanalyse infantiles se sont maintenant vulgarisés dans tout le corps social à travers la diffusion des magazines spécialisés.
Etre parent devient de plus en plus difficile. L’enfant est désormais pensé comme un petit individu autonome. Il n’est plus un être sur lequel imprimer les traditions familiales et auquel imposer l’autorité du père, mais un adulte en devenir dont les parents ont pour rôle de faire advenir ses qualités profondes. Surveiller son évolution, sa croissance, ses acquisitions, les stimuler aussi, telle est la fonction nouvelle des éducateurs de l’enfant, essentiellement la mère. Et c’est une tâche difficile, dans une société de consommation qui fait de l’enfant une cible de choix. Un exemple parmi d’autres: combien de mères féministes n’ont-elles pas capitulé devant le désir de la petite fille d’avoir une poupée Barbie? A cet enfant si désiré, si chouchouté, on demande, dès un âge tendre, son avis sur tout: se vêtir, ce qu’il lui plaît de manger, s’il consent à se coucher. Lorsqu’ils s’adressent à eux, les parents achèvent souvent leur demande par un «c’est d’accord?» interrogatif. A cette aune, l’enfant devient souvent un petit tyran, ce mode d’élevage conduisant souvent à des difficultés relationnelles au sein de la famille. Ce n’est plus l’enfant-roi, mais l’enfant, problème incontrôlable.
Avec l’enfant venu tardivement dans le couple, se fonde un contrat générationnel neuf. Cet enfant désiré, auquel on ne demande plus de seconder ses parents aux champs ou à l’usine, leur doit évidemment un contre-don: l’apport de gratifications affectives et sociales. C’est aussi lui qui, dans les familles unies, est le fabricant et le moteur du couple: il est en droit d’exiger beaucoup en retour.
PARENTALITÉS TARDIVES
Avoir un enfant à 40 ans et au-delà pour les mères, et 45 ans et au-delà pour les pères, ce que les démographes nomment les paternités et maternités tardives, n’est pas un phénomène nouveau. Dans les contextes démographiques anciens, tel était le cas. En Bretagne, par exemple, dans le pays bigouden caractérisé par un âge exceptionnellement bas au mariage, jusqu’aux débuts du XXe siècle, les fratries de huit ou dix enfants étaient chose courante avec des écarts d’âge entre le premier et le dernier de près de 20 ans, de sorte que la fille et la mère étaient parfois enceintes ensemble. On nommait le dernier «vidohicq», petit cochon, et il était élevé par les aînés. Sans aller aussi loin, dans la famille de ma mère, cinq garçons et une fille, il y avait 18 années d’écart entre l’aîné et elle, la petite dernière. De telles situations sont courantes encore aujourd’hui dans les familles immigrées qui continuent à avoir des comportements de grande fécondité (Bessin et Levilain, 2005).
Le phénomène réellement nouveau concerne les personnes qui commencent ou recommencent une carrière procréative sur le tard. Même si elles sont statistiquement peu importantes, ces naissances tardives interpellent la façon de penser la famille car elles contribuent à transformer les relations conjugales, les relations de germanité et de filiation. Selon Gilles Pison, le nombre de naissances issues de mères de 40 ans et plus ne représente que 4 % du total des naissances françaises. C’est peu, mais c’est une image qui s’est inscrite désormais dans l’imaginaire, notamment avec la mise en avant des grossesses tardives et même très tardives de vedettes qui parviennent à procréer grâce aux techniques de l’aide médicale à la procréation. Il ne s’agit plus alors de familles qui se forment tardivement, mais plutôt de familles qui se reforment.
Ce qui manque le plus aujourd’hui, le temps, est offert à ceux qui procréent tardivement, lorsqu’ils sont dégagés de leurs soucis professionnels, voire proches de la retraite. On peut donc penser que les enfants de vieux seront des enfants choyés et suivis par leurs parents, mieux que par leurs parents jeunes.
Ces naissances sont le résultat de stratégies de fécondité qui sont différentes pour les hommes et les femmes. En effet, si la sociologie de la famille ou des rapports sociaux de sexe refuse que l’on naturalise les comportements, on est bien obligé ici de tenir compte des données de la biologie. Cependant, sur ces considérations biologiques se greffent des paramètres qui concernent le rapport au travail et aux relations entre les sexes: hommes et femmes ne sont pas égaux face à ces naissances-là.
Pour les femmes, les naissances autour de 40-45 ans sont généralement associées à une remise en couple. Je rappelle le vieux proverbe populaire: «qu’il neige, qu’il pleuve ou qu’il tombe des glands, les femmes sont bonnes jusqu’à 40 ans». On en comprend le sens lorsqu’on rappelle que le mariage détestait la stérilité. Entre 1901 et 1980, le nombre de naissances vivantes de mères de 40 ans et plus a diminué de 6,5 à 1,1 % des naissance (Daguet, 1999). Or ce chiffre remonte récemment. Il s’agit de refaire famille avec le nouveau compagnon, qu’il y ait ou non des enfants de précédentes unions. Il convient aussi de signaler les parentés tardives par adoption: plus d’un enfant sur deux qui est adopté entre dans un foyer qui est composé d’un père âgé de plus de 45 ans et d’une mère âgé de plus de 40 ans. (Bessin et Levilain, 2005: 22). Ce qui il y a trente ans aurait pu paraître comme un frein à la démarche d’adoption pour des couples stériles ne l’est plus aujourd’hui, compte tenu des nouvelles normes d’âge qui se sont diffusées, notamment à travers les résultats de l’assistance médicale à la procréation. Les bonnes conditions du vieillissement, garanties par une prise en charge médicale adéquate, repoussent les frontières de l’âge acceptable auquel on peut devenir père et mère.
En ce qui concerne les hommes, il n’est pas surprenant de voir de nouveaux pères qui ont 50, 60 ans ou même plus. Les media qui en reproduisent l’image fabriquent ainsi une nouvelle normalité. On connaissait Charlie Chaplin, Anthony Queen qui avaient procréé encore à 80 ans, ou en France, Yves Montand (ce qui avait fait chuter sa cote d’amour, dans la mesure où il semblait ainsi repousser dans l’oubli sa Simone); plus récemment, citons Paul Mac Cartney ou Julio Iglesias qui ont procréé à 61 et 63 ans à nouveau. En Amérique, on les appelle SOD —Start Over Dads—. Prouvant ainsi leur virilité, les hommes continuent de se penser jeunes.
En dehors du milieu des vedettes, les pères âgés sont souvent des pères divorcés. On sait qu’ils ont plus de chances statistiques que les femmes de se remettre en couple, à un âge plus avancé. Ils reforment une union avec une femme nettement plus jeune qui désire souvent un enfant. Cette paternité est alors mûrement réfléchie; elle se situe dans un contexte professionnel probablement plus favorable que pour les jeunes pères qui doivent encore faire leurs preuves professionnelles, tandis que la carrière des pères tardifs est derrière eux. Les relations au sein du couple vont associer, contrairement à la norme actuelle qui veut que les époux aient un faible écart d’âge, un homme plus âgé à une femme plus jeune, ce qui suppose une économie des relations conjugales plus inégalitaire. En même temps, le père s’implique davantage dans son rôle de père, notamment plus qu’il ne l’avait fait lors de la naissance des ses premiers enfants, lorsqu’il était plus jeune et accaparé par son activité professionnelle. De plus, il peut également avoir été frustré dans son rôle paternel, lorsqu’après son divorce, la garde de ses enfants avait été confiée à la mère et qu’il s’en était peu à peu éloigné-cas très fréquent d’après les enquêtes socio-démographiques (près du quart des pères divorcés cessent toute relation avec leurs enfants d’après Villeneuve-Gokalp, 1999). Le voici père beaucoup plus concerné, et maternant que pour ses premiers enfants. Et quand l’enfant sera scolarisé, on observe un investissement dans son suivi, notamment par la participation