Modos y maneras de hacer familia. Nancy Konvalinka
paternité tardive est marquée par une ambivalence: c’est une façon de ralentir son vieillissement, de s’obliger à rester dans le coup par le fait qu’on partage les intérêts et les soucis de personnes plus jeunes, un moyen de se prolonger, de rester plus jeune. D’un autre côté, ces pères tardifs sont des pères soucieux du devenir de leurs enfants, qui savent qu’ils auront peu de chances d’être encore en bonne forme physique lorsque ceux-ci atteindront l’âge de l’adolescence. Les parents âgés ont plus d’inquiétudes pour les enfants, redoutent leur fragilité lorsqu’ils seront plus âgés.
Etre père tardif, c’est donc souvent entamer une seconde carrière de père, c’est-à-dire avoir un ou deux enfants, alors qu’il en existe déjà d’une autre union. Contrairement aux familles nombreuses dont tous les enfants se suivent, dans ces nouvelles configurations, l’écart d’âge entre les premiers et les seconds enfants, loin de les rapprocher, les sépare. Qu’y a-t-il de commun entre un jeune adulte de 18 ans et son demi-frère de deux ans? La relation ne peut être que d’indifférence ou de jalousie lorsque viendra le temps de l’héritage. L’ordre des générations est perturbé d’une part; et l’enfant du nouveau couple, loin d’être élevé en famille, est le plus souvent un enfant seul. Sur cette perturbation dans l’ordre symbolique de la fratrie, se greffent des répercussions plutôt négatives relatives à l’ordre des générations.
Les grands-parents contemporains offrent un soutien considérable aux jeunes générations, notamment à travers la garde des petits-enfants. Ils apportent ainsi un soutien matériel, mais aussi symbolique: ils représentent la stabilité de la lignée qui compense l’instabilité conjugale; ils permettent à l’enfant de construire une identité. Des enquêtes européennes ont bien montré la place considérable qu’ils occupent dans l’institution familiale contemporaine (Attias-Donfut et Segalen, 2001, Heady et Schweitzer, 2010). Entre autres faits sociaux, l’engagement grand-parental est dû à leur bonne santé, un acquis récent qui repousse le grand âge au-delà de 75 ans. Mais lorsque la mère a 45 ans, et le père 55, leurs parents ne peuvent pas offrir le même recours: non seulement ils seront trop fatigués pour s’occuper des petits-enfants, mais encore ils ne donneront pas l’image d’une ancestralité assumée, mais celle plus classique d’une vieillesse entrant peut-être dans le moment de la dépendance.
CONCLUSION
Dans un ouvrage au titre évocateur «The marriage go-round» (par allusion au «merry-go-round», le manège), un sociologue américain observe que les Etats-Unis sont les champions du mariage et du divorce: il en examine le coût pour les enfants, en suggérant que ceux qui ont l’intention de devenir parents devraient y réfléchir à deux fois avant de monter ou de descendre du manège matrimonial (Cherlin, 2009). De même, on peut se demander quel est le coût pour l’enfant d’avoir des parents âgés? Un de mes amis, dont le père s’était marié sur le tard avec une femme plus jeune que lui de vingt ans, me racontait sa gêne et même sa honte, lorsque, enfant, celui-ci venait le chercher à la sortie de l’école; ses petits camarades lui disaient: c’est ton grand-père? Il se sentait nettement stigmatisé.
En dehors de ces cas qui sont finalement relativement rares, la question de l’élévation de l’âge à la maternité et paternité pose d’intéressantes questions à l’histoire, la démographie et la sociologie de la famille. Le regard historique montre qu’il y a eu des fluctuations importantes, avec une situation d’âge élevé qui s’est abaissée avec l’industrialisation et le salariat au XIXe siècle pour augmenter à nouveau dans les années récentes. Nul ne peut prédire si l’on n’observera pas à nouveau une chute de l’âge au mariage et à la maternité, qui serait consécutive à des crises graves. Ainsi, contre toute attente, le babyboom observé en France avait démarré au cœur de la période d’Occupation, même s’il s’est amplifié après la guerre, grâce aux mesures de l’Etat providence. Evidemment on interroge le lien entre âge au mariage et niveau de fécondité. Un âge à la première naissance élevé n’est pas nécessairement signe de la chute de la fécondité. En suivant l’indice de la descendance finale, les démographes ont observé pour la France que le nombre total d’enfant par femme n’avait pas diminué, mais que les naissances avaient été reportées de quatre à cinq ans par rapport au modèle des années 1970. A l’inverse, un âge élevé à la première naissance s’accompagne dans les pays du sud de l’Europe, dont l’Espagne d’un taux de fécondité faible.
L’âge élevé à la première naissance n’est pas davantage associé à une stabilité des unions. On aurait pu penser que ces maternités/paternités réfléchies et planifiées inciteraient les parents à maintenir leur union pour élever ensemble les enfants. Tel n’est pas le cas. Le phénomène des familles monoparentales concerne des mères plus âgées et donc qui auront d’autant plus de mal à retrouver un conjoint ou un compagnon sur le marché matrimonial. Dans le meilleur des cas, s’organise entre les parents une co-parentalité avec partage de la garde et des soins aux enfants. Sinon, comme il a été souligné plus haut, c’est le détachement du père.
Le cycle de la vie dans les sociétés contemporaines connaît ainsi de nouvelles temporalités: le temps de la jeunesse comme le premier âge adulte sont dissociés de la procréation (si l’on exclut le cas particulier des teen age pregnancies observé en Angleterre, Irlande ou Etats-Unis et qui apparaît comme un problème social spécifique). La rupture conjugale pour un tiers des couples (quelquefois la moitié) va induire la formation d’une nouvelle union qui portera, à un âge encore plus avancé, ses fruits. L’âge de la maturité et de la première jeunesse n’est plus celle du nid vide, mais du nid plein, et peut-être trop plein, entre les soucis que donnent les enfants aînés non encore installés de façon indépendante, et les plus petits dont il faut assurer l’éducation. Si d’un côté la pression professionnelle se desserre, pour les hommes en tout cas, la pression familiale ne se relâche pas. Et l’on verra peut-être s’établir un renversement des rôles, les pères âgés seront plus impliqués dans le domaine domestique et parental, tandis que la jeune femme pourra elle s’investir dans son travail professionnel.
Cet exemple nous montre que le choix de donner la vie à un âge élevé montre que hommes et femmes ne sont pas égaux face à ces décisions: outre la différence biologique, c’est dans l’articulation des temporalités conjugales, professionnelles et familiales que l’une et l’autre choisiront ou non de procréer. Le cas des parentalités tardives (ou très tardives) est un révélateur puissant des rapports sociaux de sexe.
BIBLIOGRAPHIE
ATTIAS-DONFUT, Claudine et MARTINE, Segalen (dir.) (2001), Le siècle des grands-parents. Une génération phare ici et ailleurs, Paris, Autrement, coll. Mutations, 210, novembre.
BESSIN, Marc et HERVÉ, Levilain, avec la collaboration de Arnaud Régnier-Loilier (2005), La parentalité tardive. Logiques biographiques et pratiques éducatives, Dossier d’études n.° 67, CNAF.
BESSIN, Marc (2006), «Aspects sociologiques de la «paternité tardive», Gynécologie obstétrique et fertilité, 4, 9, pp. 860-872.
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HEADY,