Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie. Arnauld d' Abbadie
La barbe des Éthiopiens est noire, naturellement bouclée, et n'atteint que très-rarement la longueur de celle de l'Européen. Contrairement à leur peu de goût pour la chevelure plate et longue de l'Européen, ils apprécient beaucoup la barbe noire, longue et droite, et, chose digne de remarque, aux yeux des indigènes observateurs, cette barbe est souvent l'indice d'un esprit plus apte aux spéculations de l'intelligence qu'aux préoccupations de la vie purement matérielle, et qui suit de préférence les voies synthétiques. Ce genre de barbe se rencontre plus souvent chez les ecclésiastiques que chez les hommes de guerre, ou chez les laboureurs. Les chrétiens laissent pousser leur barbe et leur moustache, et la raccourcissent fréquemment au moyen de ciseaux; les musulmans sont les seuls qui fassent usage du rasoir.
Tout Éthiopien chrétien porte au cou, comme signe de sa religion, un cordon en soie bleue. Cet usage vient de ce que le prêtre, en baptisant un enfant, lui passe au cou un cordon tricolore, comme emblème de la Trinité. Presque tous enfilent à ce cordon quelque amulette, quelque pierre d'abraxas, des margaritini ou quelque autre verroterie; d'autres y ajoutent un ou deux colliers formés de périaptes ou petites amulettes renfermées dans du maroquin rouge ou vert et consistant soit en volumens ou longues bandes de parchemin enroulées sur lesquelles sont écrites des formules de dévotion, rappelant les phylactères des anciens Grecs et Hébreux, soit en écorces, feuilles, herbes, racines ou autres substances magiques. Beaucoup d'Éthiopiens sont très-superstitieux; cependant, c'est surtout le désir d'embellir leur personne qui les engage à porter ces périaptes, qui sont relevés de distance en distance par des rassades de couleur éclatante, des grains de corail rouge, de pierre sanguine, d'ambre jaune, par des anneaux d'argent ou d'autres colifichets.
Presque tous portent un anneau au doigt: les pauvres en laiton, les riches en argent; ces derniers en mettent ordinairement de quatre à huit à la première phalange du petit doigt de la main gauche. Les princes seuls sont reçus à avoir ces anneaux en or.
L'habillement des femmes consiste en une stole ou tunique en étoffe de coton blanc, fort ample, traînante, à manches larges du haut et ajustées aux poignets, et en une toge semblable à celle des hommes, qu'elles revêtent par dessus et drapent de façon à lui donner tous les aspects de la toge ou péplum antique portée en Grèce par les deux sexes et souvent sans boucle par les femmes. Comme le dit Homère pour les femmes du haut rang dans l'antiquité, les Éthiopiennes riches portent leur toge traînante à terre. Les jeunes filles appartenant aux familles aisées ne portent en général que la tunique seule ou la toge seule, rappelant et justifiant ainsi les épithètes grecques μονοπεπλος et μονοχιτωνες appliquées aux jeunes filles Spartiates. Comme à Rome, les femmes mariées qui se respectent ne paraissent point en public sans une stole sous leur toge, rappelant ainsi l'épithète de stolata indiquant les matrones romaines par opposition aux mérétrices. Les Éthiopiennes qui accomplissent habituellement les travaux du ménage, mettent une petite ceinture au-dessous des seins, à la taille ou sur les hanches, correspondant à la position que les antiquaires donnent au cingulum, au zona et au cestus: ceintures des femmes antiques; quelquefois même, elles mettent deux ceintures, une sous les seins et l'autre sur les hanches4. Celles des classes riches portent des tuniques brodées en soie de diverses couleurs, rappelant aussi la tunica picta et la tunica palmata des anciens.
Note 4: (retour) Voir la note 2, à la fin du volume.
Les femmes montent à mule, à chevauchons, et mettent alors sous la stole des pantalons étroits du bas et descendant jusqu'aux talons; le bas de ces pantalons est souvent brodé en soie de diverses couleurs.
Lorsque les femmes de condition se présentent en public, elles s'encapuchonnent et se voilent d'un pan de la toge, de façon à ne laisser paraître que les yeux. Quelquefois, au lieu d'un pan de la toge, elles enroulent sur la tête une écharpe, de façon à couvrir le front et à laisser pendre les bouts par derrière; elles se tiennent alors le bas du visage caché dans un pli de la toge.
Les femmes de chefs mettent ordinairement par dessus la toge un petit burnous en soie richement brodé et souvent orné de bossettes en vermeil.
Les femmes disposent leurs cheveux de la même façon que les hommes et, à cet égard, ne sont point soumises comme eux aux restrictions qu'entraînent les diverses positions sociales. Les paysannes, les femmes d'artisans ou d'ecclésiastiques, les esclaves mêmes font tresser leurs cheveux aussi bien que les grandes dames. De même que les hommes, elles aiment à mettre dans leurs cheveux une longue épingle en corne de buffle ou en bois, à tête sculptée; les riches ont cette épingle en argent ou en vermeil, surmontée quelquefois d'une grosse tête en filigrane d'or. Elles portent aux mains une quantité de minces anneaux en argent, qu'elles disposent, comme les femmes de l'antiquité, à chaque phalange et phalangette; pour les faire ressortir davantage, elles les entremêlent d'anneaux en corne de buffle. Elles portent des anneaux, des boutons ou des pendants d'oreille à l'italienne. Elles mettent aux chevilles des périscélides formés d'une quantité de pendeloques en argent, de petits grains lenticulaires en argent également ou de menus grains de verroterie, et font usage de bracelets aux poignets et à la partie charnue du bras. Au beurre frais qu'elles prodiguent sur leur chevelure, elles mêlent de grossières essences venues d'Arabie, et elles mettent aussi des essences dans leurs amulettes. Les plus expertes en thymiatechnie se parfument le corps au moyen de fumigations savantes; d'autres remplacent quelquefois un bouton d'oreille par un clou de girofles. Beaucoup d'entre elles se peignent le bord des paupières avec de l'antimoine.
Comme on le pense bien, le costume des enfants est fort élémentaire. Un pan de la toge de la mère leur sert de langes, et lorsqu'ils peuvent se tenir debout, on leur met une tunique atteignant aux genoux. Dès quatre ou cinq ans, les enfants pauvres remplacent ce vêtement par une petite pièce d'étoffe rectangulaire, suffisant à peine quelquefois à leur couvrir le tronc, et pour la liberté de leurs jeux ils se drapent de préférence en suffibulum ou en chlamide; souvent même, comme dans les bas-reliefs antiques, ils vont tout nus, portant leur vêtement sur une épaule ou sur le bras comme un manipule. Les enfants des riches gardent la tunique plus longtemps et mettent par dessus une toge à liteaux, qui serait la toge prétexte s'ils la quittaient lorsqu'ils atteignent l'âge d'homme, d'autant plus qu'ils portent au cou la bulla en argent, comme les enfants des patriciens romains, et comme ceux-ci cessent de la porter lorsqu'ils deviennent pubères, justifiant jusqu'à ce jour l'appellation de hæres bullatus que Juvénal donnait aux enfants riches. Quelques-uns portent avec la bulle, une clochette et un collier formé de pendeloques en argent, au milieu desquelles se trouve toujours la bulla. Les enfants des classes inférieures portent un ornement du même genre fait en cuir, comme la bulla scortea de leurs pareils à Rome.
Le costume des ecclésiastiques consiste en un caleçon flottant, arrivant jusqu'à mi-jambe, fixé aux hanches par une ceinture étroite et longue seulement de quatre à cinq coudées; en une sorte de tunique étroite descendant jusqu'aux chevilles, à manches larges, sans poignets, dont le collet très-étroit tombe en deux pointes jusqu'à la ceinture, et en une toge dont la qualité varie selon leur état de fortune. Leur cordon de chrétienté est sans périaptes et sans amulettes. Ils se rasent fréquemment la chevelure et portent un turban volumineux et de forme particulière, par dessus une calotte de cotonnade. Les hauts dignitaires ecclésiastiques et les titulaires d'abbayes importantes portent par dessus la toge une espèce de burnous en drap bleu ou en soie brodée, semblable à celui des femmes de haut rang.
Tel est d'une façon générale, le costume du peuple éthiopien; la toge en est la pièce principale et fondamentale; quant aux pièces accessoires, elles varient selon les provinces et les exigences locales.
Il ne faut pas croire que ces vêtements, qui semblent calqués sur ceux de la plus haute antiquité, soient immutables et refusent satisfaction au goût de changement, grain de folie inné dans l'homme, qui fait en partie sa noblesse, son charme