La Nation canadienne. Ch. Gailly de Taurines

La Nation canadienne - Ch. Gailly de Taurines


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doter cet établissement d'un titre nobiliaire si Sa Majesté y consentait, et on pourrait même annexer à ce fief, avec les noms qui pourront lui convenir, les trois villages que je désirerais y créer. On arriverait ainsi, en commençant par mon exemple, à faire surgir une certaine émulation parmi les officiers et les plus riches colons à s'employer avec zèle à la colonisation de leurs terres, dans l'espoir d'en être récompensés par un titre.

      Voici la réponse de Colbert: «Sur le compte que j'ai eu l'honneur de rendre au Roi du défrichement considérable que vous avez fait d'une terre au Canada, Sa Majesté a estimé à propos de l'ériger en baronnie, et j'en ai expédié suivant ses ordres les lettres patentes... Je ne doute pas que cette marque d'honneur ne convie non seulement tous les officiers et habitants du pays qui sont riches et accommodés, mais même les sujets du Roi de l'ancienne France, à entreprendre de pareils défrichements et à pousser ceux qui sont commencés, dans la vue de recevoir de pareilles grâces de Sa Majesté. C'est à quoi il est bien important que vous les excitiez fortement en poussant encore plus avant celui que vous avez fait.» Dépêche de Colbert à Talon, 11 février 1671. (P. Clément, Correspondance administrative de Colbert.)

      La concession demandée par Talon lui avait été accordée. Elle porta d'abord le nom des Islets, avec le titre de Baronnie, puis celui d'Orsainville, avec celui de Comté, et c'est là qu'il avait établi ces villages modèles de Charlesbourg, Bourg-Royal et la Petite-Auvergne.

      Il ne paraît pas qu'il ait été accordé d'autres seigneuries titrées. On continua seulement à concéder de simples seigneuries, soit à des gentilshommes, soit à des bourgeois. Talon, en faisant cette proposition, n'agissait d'ailleurs qu'en vue du bien de la colonie, et croyait donner un exemple utile, sans aucune arrière-pensée de vanité. Vanité d'ailleurs qui eût été bien aveugle, car le nom de Talon, porté par de célèbres magistrats, était aussi respecté, aussi illustre même, que celui d'Orsainville était obscur et nouveau. En quittant en 1672 ses fonctions d'intendant du Canada, Talon abandonna son comté d'Orsainville, qui put être concédé de nouveau aux religieuses de l'hôpital de Québec.

      Outre qu'il favorisait l'émigration de la classe riche, le système seigneurial avait encore, dans la colonie même, cet avantage d'intéresser d'une façon puissante le seigneur au peuplement et à la mise en culture de ses terres.

      Tous les avantages que le seigneur pouvait retirer de sa seigneurie étaient subordonnés à l'établissement et même à la réussite de ses censitaires. C'est gratuitement, en effet, qu'il devait leur concéder les lots qu'il taillait dans son domaine; son principal revenu consistait seulement en droits de mouture dans le moulin banal qu'il était obligé de construire. Ainsi, pas de récolte chez le censitaire, point de revenus chez le seigneur; la richesse de l'un dépend de la prospérité de l'autre. Mais pour que de son côté le censitaire n'ait pas la tentation de laisser ses terres incultes, il doit, tant qu'il les occupe, payer au seigneur une légère redevance annuelle.

      Le seigneur canadien était loin de jouir de privilèges exorbitants. La somme de ses devoirs était au moins équivalente à celle de ses droits. Pour tirer parti de son domaine, il était nécessaire qu'il y résidât lui-même et en cultivât pour son compte une portion; il n'était pas assuré d'arriver à la richesse, et les rapports des gouverneurs nous montrent plusieurs familles de seigneurs canadiens,--même parmi celles qui appartenaient à la noblesse,--obligées de prendre part elles-mêmes au travail des champs: «Je dois rendre compte à Monseigneur, écrivait au ministre le gouverneur M. de Denonville, en 1686, de l'extrême pauvreté de plusieurs familles... toutes nobles ou vivant comme telles. La famille de M. de Saint-Ours est à la tête. Il est bon gentilhomme du Dauphiné (parent du maréchal d'Estrade) chargé d'une femme et de dix enfants. Le père et la mère me paroissent dans un véritable désespoir de leur pauvreté. Cependant les enfants ne s'épargnent pas car j'ai vu deux grandes filles couper les blés et tenir la charrue.»


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