La guerre au château. Mme E. Thuret

La guerre au château - Mme E. Thuret


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assiégeaient sa porte. En vain voulut-il en rire, en vain voulut-il faire le don Juan, les railleries, les menaces, la politesse, tout fut inutile: il fallait payer.

      Herbert songea alors à son frère, quoiqu’il en coûtât infiniment à son amour-propre, il se résolut à lui faire l’aveu de sa situation, et comme cela ne l’engageait en rien, il témoigna un tel repentir, un tel désespoir, que le comte Frédéric, redoutant quelque malheur, arriva immédiatement à Paris.

      Le vicomte, depuis le mariage de son frère, avait été rarement à Béyanes. Mais, tout en trouvant sa belle-sœur laide et déplaisante, il ne s’était pas moins mis en frais d’amabilité pour elle, pensant qu’un jour cela pourrait lui servir.

      Jamais il n’oubliait ni la fête ni le jour de l’an. Il se rappelait toujours à elle par une magnifique attention. Aussi Charlotte trouvait-elle son beau-frère tout à fait charmant, et se sentait-elle on ne peut mieux disposée en sa faveur.

      Le comte, naturellement porté à l’indulgence envers son frère, fut heureux de voir que sa femme partageait ses sentiments. Il se chargea donc d’arranger les affaires d’Herbert, posant toutefois pour condition qu’il ne s’en mêlerait pas.

      Cette pénible tâche le mit tristement à même de se convaincre que le vicomte avait non-seulement compromis presque toute sa fortune; mais que, moralement, – afin de prolonger ce genre de vie qui lui plaisait et flattait son orgueil, – il s’était abaissé au point de faire avec sa conscience des compromis qui l’avaient conduit jusqu’à l’indélicatesse.

      M. de Béyanes fut bien plus affligé et effrayé par ces découvertes que par les folies d’argent.

      Quand tout eut été liquidé, la terre de Séris, qui formait le principal de la fortune du jeune homme, se trouva engagée pour la presque totalité de sa valeur.

      Le comte, sans adresser d’inutiles reproches à son frère, qui, les choses arrangées, se disposait à reprendre son train de vie habituel, se borna à le prier d’examiner auparavant ce qui lui restait. Herbert ne se doutait pas de l’extrême limite à laquelle il était arrivé.

      L’impérieuse nécessité de réduire son luxe fut si insupportable à sa vanité, qu’il se décida immédiatement à partir pour l’Italie. Il se mit en tête d’y faire un beau mariage, et se prit à rêver d’une princesse russe.

      Comme tous les prodigues, après avoir cru que jamais il ne verrait la fin de sa richesse, il en arriva à s’imaginer, ainsi que le font toujours ceux que la fortune a gâtés, qu’elle ne pourrait l’abandonner. Il sentait la nécessité de se réformer, mais il n’était pas, au fond, décidé à le faire, car il nourrissait l’espoir insensé que quelque chose de miraculeux viendrait lui rendre sa position perdue. Un homme comme lui pouvait-il être tout à fait ruiné!

      Aussi la résolution qu’il avait prise de se ranger, ne put-elle tenir devant le besoin de paraître, et à Florence, de même qu’à Paris, il chercha encore à occuper de lui et y réussit.

      Mais, comme dans tous les pays il faut finir par compter, il fut forcé de voir qu’il s’endettait de plus belle, que la princesse russe millionnaire ne se présentait pas, et que celles qu’il rencontrait étaient, au contraire, en quête d’un riche mari. Il lui prit alors subitement une aversion pour le monde, et il se résolut à aller, dans quelque solitude, vivre en ermite.

      Il disparut donc de Florence, au beau milieu du carnaval, trouvant ainsi le moyen de faire encore parler de lui. Il traversa Naples sans s’y arrêter, tant il se défiait des tentations et de sa facilité à y céder, et il fut s’ensevelir, s’enterrer, ainsi pensait-il, à la Cava.

      La grande solitude, l’imprévu des aspects, la beauté du pays, réagit salutairement sur son imagination qui se calma et lui permit enfin de réfléchir et d’accepter résolûment la position qu’il s’était faite.

      Sa petite villa, qui ressortait toute blanche au milieu d’un bouquet d’orangers et de citronniers, dominait la route qui, de la Cava, conduit à Vietri, en descendant vers la mer. La vue était splendide: il découvrait au loin la Méditerranée; un paysage éblouissant l’entourait, et la luxuriante végétation qui couvre le pied du mont Finestra reposait ses yeux fatigués par l’éclat du ciel et du soleil qui poudrait d’or le sable des chemins.

      Il était cependant en plein accès de misanthropie. Ce qui était gai lui faisait mal; la vue des heureux lui était odieuse, car il faisait alors de désolants retours sur lui-même, et au lieu de s’accuser, il s’en prenait au monde entier du résultat de ses propres folies.

      Peu à peu cette disposition d’esprit se modifia. Son âme se retrempa au contact de cette belle nature qui l’environnait. Il lui trouva bientôt un tel charme qu’il en écrivit des merveilles à son frère. On eût certainement fort étonné Herbert fi on lui eût rappelé cette vie de Paris, dont si peu de temps le séparait, et si on l’eût fait souvenir qu’il l’avait crue indispensable à son bonheur.

      Il avait fait venir des livres; il dessinait; il étudiait l’italien; il faisait de longues excursions sur la mer, et le temps passait si vite qu’il assurait ne pas se sentir vivre.

      L’extrême mobilité de ses goûts, la légèreté de son caractère lui rendaient les nouvelles habitudes faciles et agréables.

      Il y avait environ trois mois qu’il menait cette existence, lorsqu’une famille française vint s’établir dans une des jolies villas qui lui faisaient point de vue.

      Un matin, les jalousies qu’il avait toujours vues baissées, se levèrent, les fenêtres s’ouvrirent. On allait, on venait dans les appartements.

      Il n’y avait que des femmes.

      Le vicomte se sentit d’abord indifférent à cette arrivée, mais insensiblement ses voisines éveillèrent sa curiosité; il voulut savoir leur nom. Il apprit que c’était la marquise de Valby et ses deux filles.

      Paula, l’aînée, se mourait d’une maladie de poitrine. Madeleine, la plus jeune, était ravissante.

      Herbert, qui les rencontrait journellement, ne passait jamais auprès d’elles sans les saluer. D’abord, ce fut un froid salut qui répondit au sien, puis ce fut une gracieuse inclinaison de tête, puis enfin la jeune malade, la première, y joignit un sourire.

      On était à la fin de mai. La chaleur commençait déjà à se faire vivement sentir et à rendre la promenade fatigante. On ne pouvait plus sortir que le soir. Mais une après-dînée, où le soleil s’était voilé de nuages, la marquise et ses filles en profitèrent pour aller s’asseoir sous les épais ombrages qui garnissaient le pied de la montagne. On y tendit un hamac pour Paula.

      Le vicomte, qui dessinait à une certaine distance de l’endroit où s’étaient établies les trois femmes, interrompit son travail pour les regarder.

      Il considérait attentivement ce groupe qui le jeta bientôt dans les plus mélancoliques pensées.

      La marquise avait été belle et l’était encore. Son visage exprimait une profonde tristesse. Paula, malgré sa souffrance et sa maigreur, gardait, elle aussi, de la beauté, mais cette beauté n’avait plus rien de terrestre. Sa pâle et délicate personne, enveloppée de mousseline, avait quelque chose de si aérien, de si diaphane, qu’il semblait que le plus léger souffle dût l’emporter au ciel.

      Herbert n’en pouvait détacher les yeux; c’était pourtant la mort, mais la mort non avec ses horreurs, c’était la mort accompagnée d’une indéfinissable poésie.

      Quel contraste avec Madeleine rayonnante de vie, de jeunesse, et qui était dans tout l’éclat de la beauté!

      Laquelle des deux est à envier, se demanda-t-il tout à coup, est-ce celle qui va mourir ou celle devant qui va s’ouvrir la vie? C’est celle qui va mourir, lui répondit cette voix intérieure qui parfois s’élève en nous. Il frissonna. La


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