La guerre au château. Mme E. Thuret

La guerre au château - Mme E. Thuret


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soins. Elle la veilla comme elle avait veillé Armande qui venait d’avoir la même maladie. Quant à Mlle Smith, elle ne fut plus la maîtresse de retenir son cœur: son affection déborda en mille tendresses et gâteries.

      – Vous m’aimez donc? lui dit l’enfant, pendant une nuit où la souffrance la tenait éveillée.

      La gouvernante, afin d’éviter que la malade s’agitât et se découvrît, demeurait penchée vers elle afin de ne pas déranger sa tête qui reposait sur son épaule.

      – Comme j’en suis heureuse, continua Geneviève; il y a des jours où, excepté mon père, il me semble que personne n’a d’affection pour moi, ici. Pourquoi, ma chère, ma bonne mademoiselle, n’êtes vous pas toujours ainsi? j’en serais si heureuse… Ma chère maman eût été comme cela, elle.

      – Mais, mon enfant, est-ce que je ne prouve pas mon affection bien mieux que par de petits soins et par des paroles, puisque je me donne tout à vous, – la gouvernante était très-émue; – je ne vous quitte pas, je ne vais pas même en vacances, parce que je sais que je vous fais plaisir en restant.

      Geneviève embrassa Mlle Smith, et il se fit dans son esprit, comme il se fait si souvent dans l’esprit des enfants, un jour subit, elle comprit que sa gouvernante ne pouvait lui montrer ostensiblement une tendresse que sa belle-mère lui refusait, et que c’était le retour vers elle de Mme de Béyanes qui avait permis à Mlle Smith de sortir de la réserve qu’il lui fallait s’imposer.

      Tant que dura la convalescence, Charlotte resta la même, et si elle n’eût pas changé, sa belle-fille lui serait certainement revenue. Le cœur, à cet âge, oublie si vite le ma: il a si grand besoin de se donner. Mais la santé ramena la froideur de la comtesse; elle redevint dure et sévère. Geneviève recommença à la craindre, tandis qu’entre sa gouvernante et elle, il s’établit un redoublement d’affection et de confiance, mais contenues; car l’enfant devenait une jeune fille: la maladie, ainsi qu’il arrive souvent, avait avancé ses idées; sa raison s’était développée en même temps que sa taille; elle comprenait d’elle-même maintenant que la réserve était une nécessité.

      La comtesse ayant arrêté que sa fille aurait une gouvernante à elle, maintint sa volonté. Elle fit choix de Mlle Sarah Rébec. Il y avait deux ans qu’elle était installée au château.

      Armande était une grosse fille courte et joufflue dont le grand mérite physique était de se bien porter, et dont la grande qualité morale était d’être une véritable cire molle que chacun pouvait pétrir à son gré.

      Paresseuse, insouciante, étourdie, curieuse, rapporteuse, bavarde, parlant à tort et à travers, inventant plutôt que de rester court; on la rencontrait partout, excepté dans la salle d’étude.

      Cet adorable petit fléau, qui avait plus de grosse méchanceté que de malice, attirait de continuels désagréments à sa sœur et à Mlle Smith.

      Mais un des charmants côtés du caractère de Geneviève était d’aimer Armande, quand même. Celle-ci avait beau rapporter, beau la faire gronder, la faire punir, elle la traitait toujours avec affection, avec douceur, et avait pour elle une inépuisable indulgence. Aussi quand, par hasard, elle retrouvait, sans toutefois le chercher, le chemin du cœur de sa belle-mère, c’était cette affection pour Armande qui le lui ouvrait.

      Cette indulgence, qui était bien plutôt de la générosité. enchantait le comte: Comme elle ressemble à sa mère, se disait-il alors, et son cœur, avec une joie infinie, retournait vivre dans ce cher passé.

      Mlle Sarah Rébec, à qui la comtesse avait confié sa fille, était une petite personne toute mince, toute fluette, toute souriante, toute vive, toute remuante, toute sautillante. Elle avait une mine de fouine, avec des yeux de furet et une bouche de singe.

      Mais, sous les dehors d’une franche étourdie, elle cachait infiniment d’adresse et tout autant de calcul.

      Mlle Rébec avait tout de suite senti de quel côté se levait le soleil et s’était mise à l’adorer. Elle s’était lancée en plein vers la comtesse pour qui elle affectait une admiration et un dévouement sans bornes, qu’elle lui témoignait en la flattant avec une rare habileté.

      Son élève n’avait ni moyens, ni esprit, elle était ignorante à s’en faire remontrer par un âne; néanmoins Mlle Rébec vantait avec assurance à la mère les étonnantes dispositions de la fille et lui parlait même de ses progrès.

      La mère, qui était assez positive pour bien juger les choses, savait pourtant bon gré à la gouvernante de l’encenser une fois de plus dans sa fille, comme le travail d’Armande n’absorbait pas encore tout le temps de Mlle Sarah, elle se multipliait pour se rendre agréable à la comtesse.

      Elle faisait la lecture, elle faisait de la musique, elle faisait de la tapisserie, du crochet, du filet et mille petits ouvrages à l’aiguille; elle imaginait des surprises, elle inventait des petits soins.

      Le contraste entre ces empressements et la conduite mesurée de Mlle Smith frappait tout le monde. On estimait l’une, on observait curieusement l’autre pour savoir où elle en voulait venir.

      Geneviève n’avait aucune sympathie pour cette petite personne si incroyablement agissante, et quand il lui arrivait d’en parler à son père ou à sa gouvernante, elle l’appelait en riant mesdemoiselles Rébec.

      Mlle Sarah avait une langue des mieux dorées, quand il s’agissait de parler d’elle-même; elle savait avec art vanter sa famille, grandir ses amis afin de se grandir elle-même; mais quant à l’entourage de la comtesse, c’était bien différent: la morsure d’une vipère était moins vénimeuse que la sienne.

      Mme de Béyanes, d’ordinaire peu indulgente pour les vanteries, lui passait ses bouffées d’amour-propre en faveur de sa méchanceté. Elle pensait aux services que peut-être un jour la gouvernante pourrait lui rendre.

      Les deux sœurs se réjouissaient vivement de l’arrivée de leur tante. Geneviève, parce qu’on lui avait dit que la vicomtesse était aimable et bonne, et qu’elle sentait que la présence de la jeune femme allait faire sa vie meilleure; et Armande, qui n’en pensait pas si long, s’en réjouissait parce que tout ce mouvement la divertissait. Que de choses à voir! à entendre! à rapporter! Que de commissions amusantes sa mère et Mlle Rébec allaient lui donner! Va voir ceci; courez écouter cela. Et, pendant ces courses, adieu les devoirs. O! le bon temps! Aussi l’attendait-elle avec impatience.

      Enfin, il était venu.

       Table des matières

      Le vicomte de Béyanes avait alors vingt-huit ans.

      Ses débuts dans la vie mondaine avaient été bruyants et brillants. Tout Paris s’était entretenu de ses chevaux, de ses voitures, du luxe princier de son hôtel.

      Il était l’homme à la mode, la célébrité, la coqueluche du jour.

      Les jeunes femmes en avaient la tête tournée. C’était à qui l’attirerait; car l’attention qu’il accordait équivalait à un brevet d’élégance. Elles excusaient ses folies et même les admiraient tout bas; il n’y avait aucune de ses excentricités qui ne trouvât grâce devant elles, ce qui faisait froncer le sourcil à certains maris. Les héritières, elles aussi, le regardaient d’un œil indulgent, ce qui donnait le frisson à leurs mères. Mais les mères pouvaient se rassurer, Herbert ne songeait point au mariage. Il préférait ces relations tapageuses qui posent si tristement un jeune homme. Il prodiguait les dentelles, les diamants, les équipages. Il était ravi quand le Sport consacrait un paragraphe à raconter les splendeurs du trousseau ou du mobilier de quelque Danaé en vogue, et donnait


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