La guerre au château. Mme E. Thuret

La guerre au château - Mme E. Thuret


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      Depuis longtemps son caractère positif lui avait fait apprécier, à sa valeur, l’importance qne lui donnerait son mariage avec le comte. Mais elle avait été assez maîtresse d’elle-même pour ne point se laisser deviner.

      Quand M. de Béyanes venait chez son père, Charlotte n’ajoutait pas un ruban à sa toilette; elle restait la même, ne faisait aucun frais et ne s’occupait pas plus de lui que des autres visiteurs; mais elle ne négligeait aucune occasion de laisser voir, sans paraître les montrer, les qualités essentielles qu’elle savait avoir en partage.

      Le comte lui ayant confié son intention de donner une gouvernante à Geneviève, elle s’intéressa beaucoup à ce projet; elle lui en parla avec un remarquable bon sens; et quand il fallut faire un choix, elle parut y attacher une grande importance, ce dont M. de Béyanes lui sut un gré infini.

      Mlle Legris n’ignorait pas combien le comte avait aimé sa première femme, mais cet amour ne la faisait point rêver. Il l’a aimée de passion, c’est-à-dire sans sa raison, se disait-elle quand ce souvenir lui revenait moi, il m’aimera avec toute la sienne.

      L’un vaut l’autre; vaut mieux que l’autre, lui soufflait son orgueil.

      Elle avait jugé le comte, et, malgré son air de retehue, elle faisait tout ce qu’il fallait pour l’attirer. Lui y allait en toute confiance, et prenait la jeune fille pour ce qu’elle paraissait être. Il la prenait pour une personne toute de devoir, qui serait bonne femme, comme elle avait été bonne fille, et qui serait bonne mère comme elle avait été bonne pour sa jeune sœur, dont elle avait surveillé l’éducation. Les soins qu’elle donnait à Aline, l’affection qu’elle lui témoignait avaient séduit et touché le comte.

      Il ne pouvait savoir tout ce que sa mère avait à en souffrir, et tout ce que, sous le prétexte de reprendre et de diriger sa jeune sœur, elle lui faisait endurer.

      Charlotte était honteuse de sa mère, elle la trouvait vulgaire à un point qui lui était insupportable. Elle ne le lui disait pas, mais elle ne perdait point une occasion de lui faire sentir son infériorité. Mme Legris, dont l’amour-propre était le côté sensible, s’en trouvait humiliée et n’en tenait que davantage à maintenir l’autorité dont sa fille cherchait à s’emparer. La mère résistait et la fille impérieuse et dominatrice persistait à vouloir être la maîtresse. Il en résultait une lutte sourde. Elles vivaient donc mal ensemble, mais à petit bruit: rien ne transpirait au dehors.

      Mlle Legris en agissait tout autrement avec son père: elle le flattait, le craignait, tenait à son estime et s’efforçait de la gagner.

      Les hommes, n’étant pas à même de se rendre compte des difficultés de la vie intérieure, entre femmes, même entre mère et fille, ne jugent que la surface. Ils appellent cela juger d’après leur raison, qui n’est pas toujours raisonnable et qui, en tout cas, pèche la plupart du temps par le manque de cette délicatesse qui seule pourrait leur faire apprécier de quel côté est le bon droit. Ainsi M. Legris, sans précisément donner tort à sa femme, trouvait, à part lui, qu’elle n’appréciait point assez Charlotte.

      Il craignait que sa fille le tyran de la maison ne fût point heureuse, et il était désireux de lui voir faire un bon mariage qui lui donnât la position qu’elle méritait.

      Le comte, de son côté, se fortifiait si bien dans la haute opinion qu’il s’était formée de Charlotte, qu’il était convaincu qu’elle n’accepterait de devenir la belle-mère de Geneviève que si elle se sentait capable d’en remplir les devoirs. Aussi se préoccupait-il uniquement de ceux qu’il allait contracter envers elle et envers la famille Legris.

      Il était trop loyal pour se marier à la légère. Il ne prenait pas Charlotte pour son million de dot, quitte à la délaisser ensuite. Il ne voulait pas non plus accepter M. et Mme Legris comme une nécessité du moment qu’il écarterait plus tard. Il voulait, au contraire, s’il devenait leur gendre, qu’ils fussent et chez lui et par les siens entourés de respects, et qu’ils eussent la première place qui leur était due.

      Le comte de Béyanes appartenait à la meilleure noblesse de France. Sa famille figurait sur l’armorial comme une des plus anciennes du royaume, et quelques rameaux de son arbre généalogique étaient greffés de royales alliances.

      Ses ancêtres avaient sur terre et sur mer versé leur sang pour nos rois; ils les avaient assistés dans leurs conseils, et avaient occupé de hautes dignités dans l’Eglise et dans l’Etat.

      De nos jours encore, les descendants de cette noble lignée portaient dignement et fièrement les titres que leur avaient légués leurs aïeux, et, grâce à leur fortune, menaient encore une grande existence.

      Le comte ne pouvait se dissimuler que le nom plébéien de Legris ferait une pauvre figure au milieu de ces noms historiques; mais ses idées à cet égard étaient nettement arrêtées. Il trouvait que celui qui s’est fait grand a encore plus de mérite que celui qui a trouvé sa grandeur toute faite; il trouvait que l’aristocratie, non des écus, mais du mérite, pouvait marcher de pair avec celle de la naissance, et que l’honorabilité pouvait se passer de quartier. Que s’il n’en était pas ainsi, il romprait avec les membres de sa famille qui en jugeraient autrement.

      Il n’eut pas ce déplaisir.

      Lorsqu’il s’était mis dans les affaires, il n’avait pas hésité à faire part aux siens de sa détermination qui ne rencontra que des approbateurs. Il en fut de même quant à son mariage. La nouvelle comtesse fut adoptée, choyée, patronnée, et M. Legris, dans une famille qui comptait tant de gens d’honneur, trouva sa place toute faite.

      Lorsque le comte fit sa demande, M. Legris l’accueillit avec une vive émotion. Il tenait en haute estime celui qu’il allait nommer son gendre, aussi avait-il les yeux humides de larmes quand il l’assura que cette alliance serait la plus belle récompense des travaux de sa vie. «Il y avait longtemps que je pensais à vous pour ma fille, ajouta-t-il, mais tant que vous avez été un oisif, vous m’avez fait peur; maintenant, vous êtes des nôtres,…» et il lui tendit la main.

      La mère contenait avec peine les transports de sa joie: sa fille comtesse! sa fille grande dame!

      Charlotte, elle, triomphait, mais à froid. L’excès de son orgueil l’empêchait de laisser voir à quel point son ambition était satisfaite.

      Une seule chose, dans ce mariage, lui déplaisait: elle aurait souhaité que le comte fût pauvre. 11eût apporté le nom; elle eût apporté la fortune: il y aurait eu alors une sorte d’égalité.

       Table des matières

      Neuf années s’étaient écoulées depuis le mariage du comte, et il avait trouvé dans cette union la vie calme et bien ordonnée qu’il cherchait.

      La comtesse n’était point, et ne serait jamais, il le sentait, ni une femme du monde, ni une femme aimable, mais c’était une femme remplie de tact et de mesure, qui s’occupait de ses enfants, tenait parfaitement sa maison, et la tenait sur un pied de large et luxueuse hospitalité. Sans en avoir l’air, sans affectation, sans bruit, sans se prodiguer, son coup d’œil embrassait tous les détails. Il suffisait qu’on sût qu’elle pouvait venir, pour que tout se fît avec régularité. Elle rachetait, à force de bon sens, d’attention et de politesse, ce qui lui manquait d’agrément dans l’esprit.

      En famille, elle faisait prévaloir son avis, avec la ténacité qui lui était particulière, mais lorsqu’il y avait du monde, elle ne désapprouvait jamais; elle tenait trop à se faire bien venir. Elle ne cherchait point à briller dans la conversation, mais elle avait l’art de la soutenir et de l’animer. Elle trouvait le mot juste, et savait merveilleusement écouter.

      La comtesse possédait à un degré


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