La guerre au château. Mme E. Thuret

La guerre au château - Mme E. Thuret


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fausse honte. Il se montrait ce qu’il était sans jamais se sentir arrêté par la crainte de ne pas être à la hauteur de sa position. On ne peut me demander d’avoir les façons d’un grand seigneur, disait-il un jour avec bonhomie; tout le monde sait que je suis le fils au grand Lucas; mais on a le droit de me demander d’être poli, d’être sans morgue, d’être bienfaisant, de ne pas éclabousser les autres, et c’est ce que je tâche de faire.

      Le riche manufacturier avait deux filles: Charlotte et Aline. L’aînée avait vingt ans, la cadette en avait douze.

      La nature froide, sérieuse et réfléchie de l’aînée lui donnait l’apparence d’une femme faite: c’était la sagesse de la maison. La nature tendre, vive, aimable, et gaie de l’autre en faisait une délicieuse enfant. C’était la joie, le rayon de soleil de la maison.

      Le père et la mère avaient la plus haute idée de Charlotte. Ils adoraient Aline.

      M. de Béyanes aussi avait souvent, à part lui, considéré Charlotte comme étant une personne supérieure sous le rapport de la raison et de l’entente de la vie de famille. Quant à la femme elle-même, il la voyait telle qu’elle était, tout à fait dépourvue de charme.

      Mais, fidèle à un cher et ineffaçable souvenir, le comte, en laissant la pensée d’un second mariage prendre place dans son esprit, sentait en même temps qu’il ne pourrait jamais avoir pour celle qu’il choisirait comme compagne la vivacité de sentiments, la tendresse passionnée qu’il avait une fois si vraiment donnés qu’il n’en restait plus rien en lui.

      Il sentait qu’il ne pourrait lui offrir qu’une affection calme et sérieuse, accompagnée de ces soins qui font une femme reine dans sa maison.

      Mlle Legris lui plut donc précisément par ce qui, en elle, pouvait déplaire. Elle était laide.

      Une jolie femme de vingt ans eût été insupportable à M. de Béyanes. 11lui eût fallu s’en occuper, il lui eût fallu faire du sentiment, louanger sa beauté, et il se sentait incapable de ces délicatesses, de ces petits soins, de ces mièvreries sans lesquels une jolie jeune femme ne se croit point aimée.

      Charlotte, au contraire, lui paraissait indifférente aux hommages et tout à fait exempte de sentimentalité. Aucune jeune fille ne lui avait jamais paru moins désireuse de commencer le livre de sa vie de femme par quelques pages de roman. Une chaumière et son cœur l’eussent certainement laissée insensible. Mais un beau château, un beau nom, une belle existence, l’affection sûre et dévouée d’un homme honorable devaient infiniment mieux répondre à ses goûts. En un mot, elle était une femme raisonnable, et c’était uniquement une femme raisonnable que le comte cherchait. Aussi médita-t-il les paroles de M. Legris.

      Bientôt d’autres considérations vinrent agir sur lui d’une manière si puissante qu’il n’hésita plus. Geneviève entrait dans sa cinquième année. Jusque-là l’enfant était restée confiée aux soins de la femme de chambre de sa mère qui s’y était dévouée. Mais Justine, après avoir agi en fille de cœur, avait agi en fille de sens. Elle était la première à demander que Geneviève eût une gouvernante. Son affection la rendait ambitieuse; elle voulait, comme elle le disait, que son enfant fût bien élevée.

      Le choix d’une institutrice, toutes les difficultés, tous les inconvénients qu’il pouvait entraîner effrayèrent si fort le comte, que la crainte de confier sa Geneviève à des mains inhabiles ou indignes qui pourraient lui donner une fausse ou une funeste direction, le firent songer au couvent. Mais il ne put supporter la pensée de se séparer de sa fille. Ce fut ce qui le détermina à un second mariage.

      Charlotte lui semblait passionnément aimer les enfants, et porter un intérêt tout particulier à Geneviève. Car, chaque fois qu’il se laissait aller à lui parler de sa fille, s’il la regardait, il voyait qu’elle l’écoutait avec des yeux attendris.

      Il rêva donc qu’elle serait une seconde mère pour Geneviève; qu’elle lui accorderait une large part de tendresse, et qu’elle veillerait avec sollicitude au développement de son cœur et de son intelligence. Il y rêva en toute confiance, tant Mlle Legris lui paraissait être une personne d’exception. Pendant que le comte délibérait avec lui-même, Mlle Legris attendait, non sans impatience, le résultat de cette délibération.

      Charlotte était une fille qui avait infiniment de tête et pas de cœur, ou, si elle en avait, il était étouffé par tant de grands défauts et par tant de petitesses qu’il fallait quelque chose de bien saisissable, de bien imprévu pour le forcer à donner signe de vie. Alors son élan généreux venait peut-être autant d’une émotion nerveuse que d’une véritable sensibilité.

      Volontaire jusqu’à l’obstination la plus tenace, fausse et hypocrite consommée, elle était de plus méchante par nature; elle le sentait et en était honteuse; car, par orgueil, elle eût voulu être bonne.

      Avare, petite, étroite, mesquine, elle savait se donner les dehors de la grandeur et de la générosité.

      Comme c’était uniquement par gloriole qu’elle faisait la charitable, elle dédaignait les œuvres cachées, comme secourir un pauvre parent, un ami malheureux. Mais elle saisissait toutes les occasions d’étaler ses bienfaits, et quand elle semblait vouloir le plus les dissimuler, elle avait soin de choisir, pour confidentes, les personnes les moins discrètes.

      Dévote par peur de l’enfer et non par amour du ciel, elle avait une religion noire et intolérante qui faisait peur.

      Les dehors de piété dont elle se couvrait la rendaient très-dangereuse. Comment penser qu’une personne qui accomplissait si régulièrement, si exactement ses devoirs religieux pût tromper avec un aplomb qui témoignait d’un manque absolu de conscience.

      Envieuse à l’excès, jalouse au superlatif de toutes les femmes qui avaient de la beauté, elle les louait néanmoins, afin de faire dire, et on le disait: Voyez, quoique Mlle Legris ne soit point jolie, elle aime et et admire celles qui le sont.

      Mais elle ne les louait ainsi que pour mieux les déchirer ensuite, car elle était d’une rare perfidie. Elle n’en médisait pas, fi donc! Mais elle disait: combien il est vraiment malheureux que madame une telle, qui est si jolie, se gâte en mettant du blanc et du rouge. Si on lui répondait: je ne l’ai jamais remarqué, alors, avec une candeur très-bien jouée, elle se mettait à regretter de s’être laissée aller à cette réflexion, et aussitôt elle faisait de la dame un éloge si exagéré et portant si habilement sur ses travers, que chacun se récriait, et alors aussi elle faisait semblant de défendre celle que, grâce à elle, on attaquait. Ou bien elle déplorait que mademoiselle ***, qui semblait si douce, fût un porc-épic dans son intérieur; et, avec les larmes aux yeux, elle l’écorchait toute vive, toujours en la louant.

      Il était, au reste, impossible à une aussi vilaine âme d’avoir trouvé un corps mieux fait pour la contenir.

      Grande, sèche, maigre, Charlotte avait tous les traits disgracieux; sa tournure était vulgaire, et son langage, comme son esprit, étaient sans charme.

      Elle avait le regard dur, quoiqu’elle s’étudiât à l’adoucir, et quand elle voulait le rendre malicieux, il devenait méchant. Sa bouche était grande et mal garnie, son sourire manquait de franchise, son nez avait une tendance à relever qui la désolait, car elle avait la rage du comme il faut; ses pieds étaient gros, grands et mal faits; elle avait des chevilles accusatrices; ses mains étaient comme ses pieds; ses longs bras maigres se terminaient par des poignets dont les os proéminants dénotaient la force, mais aussi le manque de race.

      Mlle Legris savait qu’elle n’était point jolie, mais elle était bien loin de se croire aussi laide, et elle s’imaginait racheter en esprit et en distinction tout ce qui lui manquait en beauté.

      C’était, au demeurant, une nature forte, réfléchie, résolue, habile et dangereuse au point de faire le plus grand mal en se donnant l’apparence de vouloir faire le

      Elle avait toute la vanité de sa mère sans avoir la


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