La guerre au château. Mme E. Thuret

La guerre au château - Mme E. Thuret


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voilà un carillon; s’en donne-t-elle Mme la comtesse! On n’aura pas une seconde de tranquillité aujourd’hui, continua le valet de chambre, en se carrant dans son fauteuil. Laissez-la donc un peu sonner; cela lui fera le caractère.

      Mais Marion était déjà loin; elle ne faisait de la résistance qu’en paroles. Dans son service, elle était la soumission et l’empressement même.

      Allons, bon, à présent voilà le timbre, et, ce disant, Sylvain courut à la fenêtre.

      Adrien! Adrien! cria-t-il à pleins poumons, vite chez M. le comte. Il est rentré.

      On aimait M. le comte. On craignait Mme la comtesse.

      Sylvain profita de l’occasion pour prendre un peu de bon temps et se mettre au courant de ce qui se passait. Il s’accouda sur le balcon et regarda. Toute la maison était réunie dans la cour afin d’assister au départ de la calèche.

      M. Giraud, vite, M. Giraud, cria Adrien qui revenait tout essoufflé, Mme la comtesse demande si le goûter est prêt?

      On y va, répondit le maître d’hôtel que sa respectable corpulence obligeait à marcher avec dignité. Monsieur Langlois, mes gâteaux.

      Ceci s’adressait au cuisinier qui, jeune et mince, reprit lestement le chemin de la cuisine, escorté de ses deux marmitons.

      Sur un signe du valet de pied, les chevaux se dirigèrent vers le perron.

      La comtesse, tout en achevant de donner des ordres, monta en calèche.

      Un poney-chaise, attelé de deux fringants petits chevaux noirs du pays de Galles, s’avança à son tour.

      Une jeune fille d’environ treize ans sauta dans la voiture. Elle était coiffée d’un petit chapeau de paille mousquetaire, placé un peu sur l’oreille, de manière que la plume caressait l’épaule, tandis que de l’autre côté, une profusion de boucles châtain clair doré roulaient jusque sur sa poitrine. Sa taille était svelte, ses mouvements aisés et gracieux. Elle saisit les guides; les petits démons, à tous crins, se cabrèrent; elle les contint, afin de donner le temps à une grosse fille de sept ans, bien rose, bien joufflue, de s’installer commodément.

      Etes-vous monté, Jacket, dit-elle au petit tigre à mine de singe qui grimpait sur le siége, et, s’assurant qu’il était assis: allons, dit-elle.

      Elle donna un léger coup de langue, envoya un affable signe de tête aux domestiques qui étaient restés sur le perron afin de la voir, et, cinglant son fouet au-dessus des oreilles de ses poneys, ils partirent comme le vent.

      Est-elle mignonne! Non, mais est-elle assez mignonne, dit encore M. Sylvain, qui usait largement du don de la parole, et qui, pour cette fois, ne rencontra que des approbateurs.

      Mlle Geneviève, ainsi se nommait la jeune fille, était adorée au château.

      Une heure après, les voitures rentraient, et le même M. Sylvain conduisait dans l’appartement qu’il avait si bien mis en ordre une femme de chambre chargée de paquets et de cartons qu’elle n’avait point voulu lui confier.

      Elle est joliment belle, votre maîtresse, dit-il avec emphase à la jeune soubrette. Ma foi, j’en ai rarement vu une pareille.

      Et bonne, répliqua Mlle Cadine en faisant une mine importante.

      J’en ai alors de la chance, aujourd’hui, car Mme la comtesse vient de me dire qu’elle m’attachait au service de Mme la vicomtesse, et au vôtre, mademoiselle Çadine, risqua-t-il avec la visible intention d’être très-galant.

      C’est bon, c’est bon; on verra, reprit la jeune fille en se donnant des airs de reine. Nous serons bien ici, daigna-t-elle ajouter, en jetant autour d’elle un regard de complaisance.

      La chambre était tendue d’indienne fond blanc à gros bouquets de roses; les portières, les rideaux des fenêtres, ceux du lit étaient doublés de taffetas rose. L’intérieur du lit, garni de même taffetas, était drapé de mousseline blanche.

      Rien de plus frais, de plus coquet que cette chambre. Ce fut aussi l’avis de la jeune femme à qui elle était destinée, car à peine fut-elle entrée qu’elle laissa éclater sa satisfaction.

      Mon frère, ma sœur, s’écria-t-elle, que vous êtes bons, que vous êtes’ aimables! Comme vous m’avez gâtée! Comme je serai bien ici!

      Et, en vrai enfant, à chaque nouveau meuble qui lui plaisait, à chaque objet qui témoignait une attention délicate, elle laissait échapper une exclamation de plaisir, ou elle disait un mot de remerciement.

      En entrant dans son petit salon, la bibliothèque, le piano, les fleurs, une quantité de curiosités choisies avec un goût parfait; enfin, l’arrangement tout entier de la pièce, lui causèrent une si agréable surprise, elle y trouva tant d’amicale prévenance, qu’à bout de paroles, elle ne put retenir ses larmes.

      Il y avait dans la jeune femme une simplicité, une grâce affectueuse et un naturel qui séduisait tout autant que sa beauté.

      Son teint, qui d’ordinaire était d’un blanc mat, à peine nuancé de rose, était animé par les plus belles couleurs. Ses grands yeux gris, à la prunelle noire, frangés de longs cils noirs, quoique humides d’émotion, rayonnaient de plaisir.

      Quand elle ôta son chapeau, elle laissa voir la longue et épaisse tresse de ses cheveux, qui avaient la couleur et le reflet des plumes du corbeau. Cette tresse formait une couronne au-dessus de ses bandeaux et se rattachait gracieusement derrière la tête.

      Sa belle-sœur regardait avec un étonnement mêlé d’admiration cette ravissante jeune femme, dont un des plus grands charmes était de paraître ignorer combien elle était jolie.

      Elle est réellement délicieuse, dit la comtesse de Béyanes à son mari, tout en regagnant le salon et je félicite Herbert. Vous ne m’aviez pas trop, vous ne m’aviez pas assez parlé de sa beauté. De magnifiques cheveux, de beaux yeux, de jolis sourcils, une taille remarquable: elle a tout réuni. Ses yeux sont doux, et cependant ils sont mutins. Elle doit être vive et spirituelle. Son nez droit donne du caractère à sa physionomie; sa petite bouche a un sourire agréable, mêlé d’espièglerie qui annonce de la gaieté. Tant mieux. Décidément, elle est très-jolie.

      –Sans le moindre mais? reprit avec malice le comte.

      Sans le moindre mais, répliqua la comtesse.

       Table des matières

      Le comte Frédéric de Béyanes, à qui appartenait le château de Béyanes, dans un des appartements duquel il venait d’établir sa jeune et jolie belle-sœur, était un homme de quarante-cinq ans.

      Il avait les traits arrêtés, mais fins et déliés, l’œil pénétrant et vif, le regard franc, les narines bien ouvertes, un beau front, l’air digne, la physionomie bienveillante.

      De taille haute et mince, il portait bien la tête, avait une belle tournure, de la noblesse dans le maintien, de la courtoisie dans les manières.

      Son esprit avait de l’élévation, son cœur était loyal, son âme était généreuse: jamais il n’oubliait un service rendu et savait pardonner.

      La Providence l’avait fait naître riche et gentilhomme; la mauvaise fortune l’avait fait pauvre et l’avait jeté dans l’industrie. Le comte ne se souvint de sa naissance que pour apporter dans ses relations commerciales la plus scrupuleuse loyauté.

      Ses affaires avaient rapidement prospéré. Toutes ses entreprises avaient réussi, et sa position financière, qui était devenue hors ligne, lui permettait maintenant de suivre ses instincts généreux.

      Le comte de Béyanes son père, élevé en grand seigneur, avait vécu


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