La guerre au château. Mme E. Thuret

La guerre au château - Mme E. Thuret


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      L’honneur et la raison l’aidèrent donc à réprimer ses penchants fastueux. La vue des désastres qu’entraîne le désordre, la vue des suites que peut avoir la prodigalité firent de lui un homme nouveau.

      Ses années de jeunesse furent non des années de plaisir, mais des années de réflexion, dont, à un moment donné, il recueillit le fruit.

      L’habitude de se vaincre, l’empire qu’il avait acquis sur lui-même firent que, l’heure du travail venue, quoique n’en ayant pas le goût, de par sa volonté, il s’y donna avec une suite, une aptitude et une intelligence qui étonnèrent et charmèrent M. Legris. Aussi accorda-t-il à la nouvelle entreprise l’intérêt le plus marqué.

      M. de Béyanes lui laissa voir tout le prix qu’il attachait à cet intérêt, et son rare bon sens, tout autant que son cœur, l’aidèrent à y répondre. Persuadé qu’il ne savait rien, qu’il avait tout à apprendre, il ne prenait aucune décision en dehors des avis de M. Legris.

      Il le pria même de lui choisir un gérant, dont l’expérience viendrait en aide à celle qui lui manquait.

      M. Legris, qui pressentait le grand avenir de la création nouvelle, fit choix d’un homme dont la capacité et la haute probité lui étaient connues.

      M. Hartmann était né à Francfort, et appartenait à une famille recommandable. Il avait eu à lui un établissement semblable à celui dont il allait accepter d’être le directeur. Une faillite l’avait ruiné. Mais la perte de sa fortune, loin de nuire à sa considération, avait excité l’intérêt général.

      Le comte, tenant à ce que la position de son gérant fût honorablement assise, lui accorda une part d’intérêt dans ses usines.

      M. Hartmann avait un fils. L’enfant, nommé Axel, devint promptement le favori du comte.

      A peine trois années s’étaient-elles écoulées, que la fonderie et les forges se trouvaient déjà en plein rapport. M. de Béyanes, après avoir remboursé M. Legris, commençait à payer les dettes qui embarrassaient ses terres, et entrevoyait déjà le jour où il lui serait possible de rendre à la demeure de ses ancêtres sa splendeur passée.

      Deux autres années s’écoulèrent pendant lesquelles, de concert avec M. Legris, Frédéric se rendit acquéreur de mines de houille situées sur la frontière de Belgique.

      La compagnie à qui elles appartenaient manquant de fonds, elles étaient à peu près abandonnées. Mais l’affaire, une fois en bonnes mains et bien dirigée, rendit au-delà de tout ce qu’on pouvait espérer.

      – Si jamais je trouvais un gendre à mon gré, dit un jour négligemment M. Legris à son associé, je donnerai pour dot à ma fille la part que j’ai dans les mines. Et celui qui aura ma Charlotte, pourra être assurée, non-seulement d’avoir une femme intelligente qui lui fera honneur, mais encore une femme qui saura diriger habilement son intérieur.

      Le comte se plaignait souvent de ce que, n’ayant personne pour conduire sa maison, elle se trouvait livrée au désordre.

      Il pensa que ces paroles lui étaient données à méditer, et il les médita.

      M. Benoît Legris devait tout ce qu’il était à lui-même.

      Fils d’un petit fermier de Basse-Normandie, toujours en retard de ses fermages, il avait commencé avec quelques cents francs. Mais grâce à son activité, à son génie des affaires, à la manière intelligente et honorable dont il les traitait, ces quelques cents francs étaient devenus une fortune colossale. Son opulence ne lui avait pas donné d’orgueil et encore moins de vanité.

      La considération dont il jouissait ne l’avait point étourdi, les distinctions et les honneurs dont on l’entourait dans son pays l’avaient laissé aussi accessible à tous. Il était riche avec simplicité, et honnête homme avec modestie.

      Mme Legris aurait bien voulu monter de ton, elle se serait même, volontiers, laissé aller à être vaine, si l’exemple de son mari, qui était un dieu pour elle, ne l’eût retenue.

      Elle aimait les honneurs, elle jouissait de ceux qu’on rendait à son mari, et la fumée des distinctions l’enivrait de la façon la plus douce et la plus pénétrante. Mais elle n’en gardait pas moins, pour ainsi dire, malgré elle, les apparences de la simplicité.

      Son esprit positif, qui lui faisait apprécier le mérite de la richesse, était accompagné d’un grand bon sens. Tout en étant glorieuse, tout en se posant ce qu’elle valait, elle sentait cependant que des sacs d’écus ne pouvaient remplacer l’instruction et l’usage du monde qui lui manquaient. La crainte du ridicule était son ver rongeur, et dès qu’elle se croyait en scène, il la torturait.

      Elle avait peur de mal interroger, de mal répondre; d’être trop sérieuse, de ne l’être pas assez; de sourire mal à propos; de faire la révérence trop basse à celle-ci, pas assez basse à celle-là.

      Cette inquiétude se traduisait par un air de réserve qui, sans qu’elle le cherchât, donnait à sa personne,

      – du reste fort ordinaire, une sorte de dignité modeste. Elle n’aurait pas eu l’aplomb nécessaire pour paraître vaniteuse.

      Généralement on lui savait gré d’être bonne personne et de ne point chercher à écraser les autres par son luxe. Le secret de son apparente simplicité n’était connu que d’elle.

      Au demeurant, c’était une femme de devoir et une excellente femme qui donnait beaucoup et donnait bien. Elle recherchait la misère afin de la soulager et dans ces occasions-là seulement elle osait laisser voir sa satisfaction d’être riche.

      La longue figure sérieuse et un peu parcheminée, la longue personne sèche et osseuse de Mme Legris, contrastaient avec l’embonpoint, avec le visage rond, coloré et jovial de M. Legris, qui souriait à tout, parce que tout dans la vie lui avait souri.

      Mme Legris n’était pas aussi bien habituée à sa nouvelle position que son mari; elle n’en jouissait pas aussi franchement: elle ressentait comme une crainte d’aller trop vite et de la perdre.

      Tout en faisant dans sa maison une dépense en rapport avec sa fortune, il restait néanmoins en elle un vieux fond de parcimonie contre lequel il lui fallait constamment réagir. Sa main gauche était toujours prête à modérer ce que voulait faire la droite.

      Elle ménageait ses robes, par vieille habitude, et les robes neuves lui inspiraient encore du respect.

      Il y avait toujours la robe du dimanche. En vain M. Legris, qui l’en raillait quelquefois, lui disait-il avec gaieté: mais, ma femme, mets donc tes belles robes; tu sais bien que pour toi, maintenant tous les jours sont des dimanches.

      Afin de lui complaire, elle essayait de faire violence à ses goûts, mais bientôt le naturel revenait au galop.

      C’était pour la digne femme une véritable privation de ne plus s’occuper de certains détails du ménage, car elle aimait, comme on dit, mettre la main à la pâte, et elle ne pouvait s’habituer à passer la journée assise dans son salon. Il lui manquait quelque chose, et elle se prenait à regretter le temps où il lui était permis d’aller, tant qu’elle le voulait, à la cuisine surveiller Gothon, et au besoin donner un coup de balai. C’était en soupirant qu’elle se disait: cuisinier oblige.

      Et quand elle prenait ou sa tapisserie ou quelque autre ouvrage de fantaisie, elle se rappelait le plaisir qu’elle éprouvait autrefois à raccommoder les bas ou les chemises de Benoît, et celui non moins grand qu’elle prenait à ourler les torchons et les serviettes. Alors, tout lui passait par les mains, ce qui était le comble de la félicité pour cette parfaite ménagère.

      Cependant elle étouffait ses aspirations vers le passé, car elles eussent révolté sa fille aînée, et elle la craignait.

      Il en avait aussi infiniment coûté à Mme Legris pour s’habituer à recevoir,


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