La guerre au château. Mme E. Thuret

La guerre au château - Mme E. Thuret


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de cet enfant, alors âgé de douze ans, préoccupa vivement le jeune tuteur.

      Heureusement la Providence lui vint en aide et favorisa le vicomte Herbert.

      Un vieux cousin, M. de Séris, que Frédéric consulta sur la carrière qu’il convenait de donner à son pupille, se prit de passion pour l’enfant. Il se chargea de son éducation, et en fit son légataire, à la condition expresse qu’Herbert, à sa majorité, abandonnerait au comte son frère la part qui lui revenait dans1héritage paternel.

      La fortune de M. de Séris s’élevait à quinze cent mille francs. Herbert avait dix-huit ans quand il hérita de son cousin.

      Le vicomte, dans ses manières, dans son esprit, dans son langage, dans toute sa personne, rappelait les jeunes et élégants seigneurs du siècle passé. Il en avait tout le brillant et toute la frivolité. Malheureusement, à ces séductions extérieures, il joignait tous les défauts qui font ce qu’on appelle d’abord de charmants mauvais sujets, puis des hommes légers, puis, quand ces fous ont tout dévoré, comme leur conscience ne les arrête pas, ils deviennent vite des hommes tarés: et, enfin, ces hommes n’ont plus de nom: la société en fait justice, elle les met à son ban. On les salue encore, par égard pour le nom qu’ils portent et pour leur position passée; puis arrive le jour où on ne les salue même plus: ils ont été mis hors la loi du monde.

      Tant que dura sa tutelle, M. de Béyanes, usant habilement de l’ascendant que lui donnaient ses droits, son âge et son affection, retint le jeune homme. Mais une fois sa majorité venue, Herbert prit sa volée. Il n’écouta plus ni avis, ni remontrances, et son frère put, dès lors, prévoir l’avenir qui lui était réservé.

      Le comte Frédéric, quelque temps après la mort de son père, avait épousé Mlle Albine de La Seilles. Ce fut, des deux côtés, un mariage d’inclination. La poétique beauté de la jeune femme était son moindre charme. Elle avait une de ses exquises natures chez lesquelles la tendresse et le dévouement s’unissent à un esprit fin, délicat et attachant qui font de la vie intime un jour sans nuages. Son cœur était de ceux qui se donnent sans réserve. Elle adora son mari, qui fut d’autant plus touché par cet amour que sa jeunesse avait été déshéritée de ces tendres affections, qui sont si douces à l’enfant et si précieuses au jeune homme qui entre dans la vie.

      Pendant ses premières années, il avait été entouré de ce luxe et de ces gâteries qu’on prodigue d’ordinaire aux fils de famille: il avait même commencé ses études avec un précepteur. Mais ce temps avait été court. A neuf ans, il fut envoyé au collége où il était le plus négligé, le plus abandonné des enfants. A peine recevait-il une maigre pension pour ses menus plaisirs. Il resta plusieurs années sans avoir de vacances, et quand il revint au château, le luxe avait fait place à cette misère dorée qui est la pire de toutes. Les embarras d’argent absorbaient son père. Sa mère passait sa vie à attendrir les huissiers, à apaiser les créanciers. Il comprit alors pourquoi il l’avait toujours vue pleurer. Ce grand train de maison, dont il avait gardé le souvenir, ne faisait que dissimuler les approches de la ruine.

      L’inquiétude et le chagrin abrégèrent l’existence de Mme de Béyanes. C’était une personne sans caractère, sans initiative, sans énergie, qui n’avait su que verser des larmes stériles et souffrir passivement. Son mari l’avait aimée pour son charmant visage, et comme chez lui le cœur n’existait pas, il s’était détaché d’elle quand sa beauté passa, et elle passa vite; puis, à cause de sa nullité, elle cessa bientôt de compter pour lui.

      Les difficultés d’argent avaient absorbé l’existence de la comtesse qui manquait de tête et d’ordre, et elles avaient pour ainsi dire atrophié son cœur.

      Il lui arrivait souvent de pleurer sur l’avenir réservé à son fils, sans que jamais elle sentît le besoin d’essayer de lui faire le présent meilleur. Ce furent cependant les soins de Frédéric qui rendirent moins douloureuse la fin de l’existence de sa mère.

      Albine, qui connaissait les chagrins qui avaient affligé la première jeunesse de son mari, mit tous ses soins à lui donner le calme et le bien-être qu’il n’avait pas connus jusque-là.

      Cette charmante personne, avec sa beauté idéale, avec sa poétique imagination, était néanmoins très-entendue et très-positive dans la conduite de son intérieur. Elle avait à la fois la haute et la tendre intelligence du devoir.

      Frédéric, charmé par cette vie heureuse, si nouvelle pour lui, croyait rêver. Il se rappelait le temps où un moment d’abandon, une bonne parole de sa mère suffisait pour lui faire la journée meilleure. Aussi, en voyant sa jeune femme uniquement occupée de lui plaire et de lui donner la joie du cœur et le repos de l’esprit, son bonheur lui causait-il une sorte d’enivrement.

      Mais ce fut l’événement qui devait mettre le comble à la félicité du comte, qui en marqua le terme.

      Albine mourut en donnant naissance à une fille.

      La douleur de M. de Béyanes fut immense. Il demeura frappé d’une sombre tristesse.

      Le souvenir de ces courtes années resta si vivant en lui, que, par la suite, quoi qu’il lui arrivât, on ne l’entendit jamais se plaindre. N’avait-il pas reçu sa part de bonheur? Y a-t-il en ce monde beaucoup d’êtres qui puissent, dans leur vie, compter deux années de bonheur parfait. Et ces années, il les avait eues.

      Le vide et le découragement que lui laissa la mort de sa femme ne saurait s’exprimer. En se mariant, il s’était tout à fait retiré du monde, il ne vivait que pour Albine. Pauvre d’argent, mais riche d’amour, le jeune ménage avait, sans effort, renoncé aux plaisirs, l’existence de chaque jour lui semblait si belle et si bonne, qu’il n’y avait rien, pour lui, au delà.

      Puis, tous les deux s’étaient donné une noble tâche: ils essayaient, à force d’économie et d’ordre, d’arriver à dégager la terre de Béyanes des hypothèques qui la grevaient et de retrouver une honorable situation,

      Ils s’étaient donc courageusement engagés dans la voie des réformes et du renoncement.

      La fortune que Mlle de La Seilles avait apportée à son mari consistait en une somme de deux cent mille francs. Elle était orpheline et n’avait rien de plus à attendre.

      Le comte ne possédait que sa terre de Béyanes qui, mal administrée, parce qu’il n’y entendait rien; mal entretenue, parce qu’il manquait d’argent,

      – le château et les fermes tombaient en ruines, – suffisait à grand’peine à payer l’intérêt des dettes que son père lui avait léguées.

      Malgré l’apathie causée par son profond chagrin, il essaya de poursuivre, seul, l’œuvre commencée à deux d’une façon si douce.

      Mais en voyant que toute son économie ne le menait qu’à bien peu de chose, il comprit que ce n’était pas ainsi qu’il arriverait à créer à sa fille l’avenir qu’il rêvait pour elle, car la chère petite commençait à occuper une grande place dans le cœur de son père, et à devenir l’objet de sa vive sollicitude.

      L’amour conjugal ne lui avait permis de rien voir au delà, avec sa bien-aimée Albine; l’amour paternel en fit un ambitieux.

      Le comte allait souvent, en Normandie, chez un ancien ami de son père, richissime manufacturier qui comptait sa fortune par millions. Le but de sa nouvelle ambition parut si naturel à Frédéric, qu’il ne craignit pas de le confier à M. Legris et de lui demander ses conseils. Celui-ci, loin de le décourager, l’approuva.

      Un cours d’eau traversait le village de Béyanes, situé au pied du château; il l’engagea à y établir une fonderie et une forge, et lui fournit les premiers fonds.

      Le comte Frédéric, qui paraissait l’homme du monde le plus économe, le plus rangé, qui semblait étranger à toutes les idées de dépense et de luxe, qui était cité pour sa simplicité, était pourtant venu au monde avec tous les instincts d’un grand seigneur, et, par


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