La guerre au château. Mme E. Thuret

La guerre au château - Mme E. Thuret


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servait de prétexte aux orages ou aux réprimandes à huis clos, en était arrivée à dissimuler ses désirs et ses plus innocentes actions. Heureusement, ce n’était que vis-à-vis de sa belle-mère, car son père, lui aussi, entretenait cette sincérité et cette franchise qui étaient ses plus précieuses qualités. Jamais il ne la grondait; quand elle lui avouait une faute, il la reprenait avec tant de douceur et d’affection qu’elle s’écriait quelquefois: «Père, vous êtes si bon, que vous l’êtes même quand vous grondez. J’aime à être grondée par vous»; et elle lui sautait au cou.

      Néanmoins, sans qu’elle en eût la conscience, elle devenait habile.

      Ainsi, elle sentait quand elle devait être gaie ou quand il fallait se faire sérieuse, afin d’éviter un mot aigre ou un coup d’œil sévère.

      Dans l’intimité, c’est-à-dire entre sa mère, sa sœur, les deux gouvernantes, – car Armande avait la sienne, – ou quelques personnes insignifiantes, c’était se faire mal venir que d’être aimable.

      Quand le comte était présent, ou quand il y avait quelques membres de la famille, quelques amis intimes, il fallait au contraire se montrer très-enjouée, afin d’avoir l’air très-heureux.

      Mais elle savait qu’il ne fallait jamais, par-dessus tout, risquer un mot en faveur de qui que ce fût; qu’il ne fallait jamais excuser une personne mal en cour ni laisser voir qu’elle était sympathique; et qu’il fallait admirer ce qu’on admirait.

      Geneviève saisissait les moindres nuances, et c’était certainement elle qui connaissait le mieux sa belle-mère.

      Naturellement douce et bienveillante, elle gardait pour elle seule ses impressions, et tout en n’aimant point sa belle-mère, elle respectait d’intuition la femme qui portait le nom de son père. Certainement un observateur eût séparé la vie de Mme de Béyanes en deux parts très-distinctes qu’il eût appelées la grande pose et la petite pose, et peut être y avait-il dans l’intimité de la comtesse de fausses amies qui le disaient tout bas. Mais Geneviève était trop jeune pour donner un nom à la comédie qui révoltait si vivement sa droiture naturelle.

      Quand Mme de Béyanes jouait le sentiment, quand elle affectait la bienveillance, la tolérance, la douceur; quand elle la nommait sa chère petite belle-fille; quand elle parlait avec une admirable tendresse de sa mère, de sa sœur, du bonheur qu’elle avait ou qu’elle allait avoir en les recevant à Béyanes, ou du chagrin qu’elle avait ressenti en les voyant quitter le château, c’était la grande pose.

      Elle avait lieu surtout quand Charlotte recevait la famille de son mari, ou lorsqu’elle recevait quelque personne marquante pour la première fois.

      Quand, au contraire, la comtesse faisait simplement la bonne femme, la bonne mère de famille; quand, devant son mari, elle lançait adroitement à Geneviève quelque appellation câline; quand, devant quelques bonnes gens du pays, quelques fermiers, elle faisait la douce au pauvre monde; quand elle faisait la pieuse, quand elle affectait de ne jamais s’occuper des autres, quand elle faisait l’excellente pour les pauvres, l’obligeante, l’empressée: c’était la petite pose, et celle-ci était très-fréquente.

      Pendant la grande pose, quoiqu’elle dût être faite à cette mensongère sensiblerie, le visage de Geneviève trahissait toujours son étonnement. Pendant la petite pose, ses yeux riaient en dépit de sa bouche qui restait sérieuse; mais quand la comédie se jouait uniquement pour son père, alors son regard se voilait de tristesse: comme elle est fausse! se disait-elle avec dégoût.

      Elle savait si bien ce que valaient cet étalage de bonté et cette indulgence de parade, qui ne faisaient jamais trouver à Charlotte le mot véritable pour excuser sérieusement le travers ou la faiblesse d’un ami; elle savait si bien ce qu’il fallait penser de cette prétendue charité et de quelle manière sa belle-mère l’exerçait, quand elle croyait pouvoir parler à son aise! Comme alors elle traitait durement, comme elle se moquait de la rusticité ou de la laideur des pauvres paysans qu’elle secourait en apparence avec tant de sensiblerie.

      Quant à sa piété, elle eût empêché Geneviève d’être pieuse si la jeune fille n’avait compris que la religion, pour être mal interprétée, n’en est pas moins belle; parfois cependant celle de la comtesse la repoussait et lui bouleversait l’esprit. Toutes ces pratiques stériles que Charlotte s’imposait et imposait à son entourage à qui, au moindre manquement, elle ne ménageait ni les paroles âpres, ni les reproches remplis d’aigreur, révoltaient Geneviève.

      –Mais, ma chère mademoiselle Smith, lui échappa-t-il de dire un jour à sa gouvernante, tout cela n’est pas dans l’Evangile, il y est dit, au contraire…

      Il y est dit, reprit avec douceur la gouvernante, qui ne lui permettait jamais de blâmer sa belle-mère: ne vous attachez pas à regarder la paille qui est dans l’œil de votre prochain.

      – Mais, mademoiselle, ce n’est pas une paille, c’est une…

      – Chut! Geneviève, lisez l’Evangile à votre profit, et vous y verrez que, par-dessus tout, il faut être charitable. Attachez-vous donc à le devenir, ma chère enfant; ne jugez point, afin de ne pas être jugée.

      La jeune fille cherchait à suivre ces bons conseils; mais, si elle pouvait se retenir de parler, elle ne pouvait s’empêcher de voir et de réfléchir, et il lui était impossible de vaincre l’éloignement qu’elle ressentait pour sa belle-mère.

      La jeunesse a, d’instinct, la fausseté en aversion, et cette aversion finissait par empêcher Geneviève de faire la part du bon et du mauvais.

      Ainsi, sa belle-mère venait d’établir, dans le pays, une école et un hôpital: la première intention avait été bonne. Mme de Béyanes avait sincèrement voulu venir en aide aux ouvriers de la fabrique en leur donnant la facilité d’élever leurs enfants et de recevoir des soins quand ils étaient malades; l’orgueil n’était venu qu’après. Il n’avait pas nui à l’utilité du but; mais pour ceux qui vivaient avec la fondatrice, la satisfaction d’amour-propre, le contentement du renom qu’elle s’était fait, cachaient si bien la pensée première qu’on ne la sentait plus.

      Geneviève n’avait pu être sans deviner ce qui désolait secrètement la comtesse: elle n’était pas née. Aussi tous ses efforts tendaient-ils à s’identifier avec la famille de Béyanes. Elle en affichait si bien les goûts, les idées, la manière de voir, qu’elle avait fini par se persuader qu’elle appartenait réellement à l’aristocratie.

      Jamais elle n’était plus heureuse que lorsqu’elle pouvait oublier qu’elle était une Legris, et elle ne pardonnait point qu’on s’en souvînt ou qu’on l’en fît souvenir.

      Néanmoins, pour saisir tous les côtés, toutes .les faiblesses du caractère de Charlotte, il fallait être sans cesse avec elle comme l’était sa belle-fille; il fallait subir sa domination, il fallait qu’elle osât comme elle osait avec l’enfant et devant l’enfant à qui elle ouvrait forcément les yeux.

      Ceux qui ne se trouvaient avec elle qu’en passant, ceux qui ne vivaient que quelques heures du jour avec elle, étaient séduits par sa simplicité et frappés de sa haute raison.

      Elle était ainsi parvenue à acquérir une réputation de sagesse, de charité, de piété, qui la faisait regarder comme une femme supérieure.

      Mlle Smith, la gouvernante de Geneviève, était une des rares personnes qui ne fussent pas la dupe de ces apparences.

      Recommandée au comte par M. Hartmann, qui avait été à même de l’apprécier, ses qualités sérieuses, son bon sens, son dévouement à l’enfant ne tardèrent pas à lui mériter la confiance de M. de Béyanes.

      L’arrivée de la gouvernante au château avait précédé de quelques mois celle de la comtesse. Elle avait donc été le témoin de la tendresse que Charlotte montra d’abord à sa belle-fille. Sa tâche d’institutrice


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