La guerre au château. Mme E. Thuret

La guerre au château - Mme E. Thuret


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s’était obscurci. Le tonnerre grondait sourdement dans le lointain. De larges gouttes d’une pluie chaude tombaient sur le feuillage avec un bruit monotone.

      La jeune malade, suffoquée par cet air de feu qui lui brûlait la poitrine, eut une de ces crises qui devait lui être fatale.

      Sa mère et sa sœur cherchaient inutilement à la soulager.

      Herbert, voyant leur détresse, vint offrir ses services qui furent acceptés avec reconnaissance. Il courut à la villa et ramena les domestiques avec un brancard sur lequel on coucha la malade. Elle était tombée dans une prostration complète.

      Le triste cortége descendit lentement la principale rue de la Cava. Sous les portiques, qui la bordent de chaque côté, se pressait une foule silencieuse qui, les yeux pleins de larmes, regardait passer la bellissima morta. Ainsi disaient les femmes dans leur poétique langage.

      Paula vivait encore, mais ses heures étaient comptées.

      Quelques jours après, elle cessa de souffrir.

      Dieu avait envoyé des ailes à son ange; il était remonté vers lui.

      Pendant les jours qui précédèrent le fatal événement, et pendant ceux qui le suivirent, Herbert se multiplia. Il évita à la marquise les affreux détails qui précédèrent l’éternelle séparation, et lui épargna ainsi la plus déchirante des douleurs. Il avait si bien partagé les angoisses et le désespoir de la mère et de la fille, il avait si bien été leur unique appui dans ce terrible moment, qu’il était désormais impossible à l’une et à l’autre de se rappeler ces jours d’affliction sans que son souvenir vînt s’y joindre.

      Tout en se dévouant à la jeune malade, Herbert s’était sérieusement épris de Madeleine, et quand il put regarder en lui-même, il se sentit la volonté arrêtée de l’épouser.

      Cependant, par respect pour la douleur de la marquise, et pour celle de sa fille, il ralentit ses visites, pendant les premières semaines qui suivirent leur malheur.

      Mais à son grand étonnement et à son grand déplaisir, après que trois mois se furent écoulés, Mme de Valby, tout en l’accueillant avec une bienveillance à laquelle se joignait un sentiment d’affection très-marqué, ne l’engageait pas à rapprocher ses visites.

      Mme de Valby n’avait plus de fortune. Elle avait mal conduit la sienne, et d’une aisance large et honorable, elle était presque arrivée à la gêne. Cependant, en menant un plus grand train qu’elle ne le pouvait, en essayant de jeter de la poudre d’or à tous les yeux, elle avait moins cédé à ses goûts qu’à l’espoir d’arriver ainsi, pour ses filles, à quelque brillant mariage.

      Elle avait beaucoup entendu parler de la fortune du vicomte. Elle avait connu M. de Séris et savait que la terre qu’il avait laissée à Herbert représentait un capital considérable. Elle savait aussi que le comte Frédéric avait une fortune immense. A Paris, où l’on juge si souvent sur les apparences, Herbert passait pour être très-riche. Comme il avait tout payé, sa ruine s’était consommée à petit bruit; d’ailleurs, il avait fait figure jusqu’à la fin, et s’était bien gardé de confier à qui que ce fût le véritable état de ses affaires. Cela avait suffi pour imposer non-seulement à la multitude, mais encore au monde dans lequel il vivait, et on le croyait encore riche.

      Mme de Valby crut donc avoir trouvé le magnifique parti que rêvait son ambition maternelle. Au milieu de ses douloureuses préoccupations, la sympathie du vicomte pour Madeleine ne l’avait point laissée indifférente, et, plus tard, l’unique chose qui pût apaiser l’immense douleur que lui causait la perte qu’elle venait de faire, ce fut l’espoir de ce mariage.

      Mais quelle que fût son ambition, elle avait encore plus de cette sorte d’orgueil qui donne une si haute idée de soi et des siens, que tout en souhaitant ardemment qu’Herbert recherchât sa fille, pour rien au monde elle n’eût voulu avoir l’air de la lui jeter à la tête.

      Elle passait avec raison pour une femme habile, pour une maîtresse femme; les mauvaises langues, celles qui médisent, à plaisir, du prochain, l’accusaient même de pousser l’habileté jusqu’à l’intrigue; mais le vrai était qu’elle avait l’esprit fin, adroit, résolu; et avec un tel esprit on ose et on arrive.

      Elle usa donc de toute son adresse pour faire désirer au vicomte d’épouser sa fille. Elle feignit de ne pas s’apercevoir qu’il éloignait ses visites, elle ne lui dit pas un mot qui l’engageât à les rapprocher, et elle eut grand soin que son accueil, tout flatteur et affectueux qu’il fût, ne pût cependant éveiller chez le jeune homme aucune espérance.

      Aussi, en voyant que les occasions de se trouver avec Madeleine devenaient de plus en plus rares, en voyant que jamais il ne restait un instant seul avec elle, et que Mme de Valby, tout en le traitant en ami, tout en l’appelant même son cher enfant, n’avait pas la moindre arrière-pensée, puisqu’elle parlait à tout moment de son départ, sans jamais faire d’allusion au revoir, Herbert s’abandonna au chagrin et au découragement.

      Privé de voir Madeleine, sa passion s’irrita: il en devint follement épris; vivre loin d’elle lui fut impossible, si impossible qu’un jour il alla le dire à la marquise et lui demanda la main de sa fille.

      Elle ne l’attendait pas aussitôt; sa surprise ne fut donc pas feinte. Elle parut hésiter; elle demanda quelques jours de réflexion. Elle demanda à consulter sa fille. Mais tout cela était pour mieux et plus sûrement arriver à son but. Elle savait que moins elle montrerait d’empressement, plus la passion du vicomte s’exalterait. Elle savait aussi d’avance que Madeleine dirait oui, car elle observait soigneusement sa fille, et elle voyait qu’elle s’attristait et souffrait de ne plus recevoir que rare ment les visites d’Herbeit.

      Mlle de Valby était aussi belle d’âme que de visage. Tendre, sensible, dévouée, vive et fixe dans ses affections, elle avait encore le plus charmant caractère.

      Quand elle aimait, le moi n’existait plus en elle. Jour et nuit elle était restée auprès de sa sœur. Tant que l’espérance l’avait soutenue, elle avait été insensible à la fatigue. Le désespoir seul avait éveillé en elle la souffrance.

      Mme de Valby, femme d’une intelligence supérieure, avait dirigé elle-même l’éducation de sa fille, et s’était appliquée à développer ses heureuses dispositions.

      Madeleine avait l’esprit brillant et gai. Sa mémoire était heureuse. Elle retenait facilement et appliquait avec justesse et à-propos ce qu’elle avait retenu. Aussi, tout enjouée que fût sa conversation, elle avait du fond.

      La musique et le dessin étaient ses occupations favorites.

      C’était une nature surtout accessible à ce qui venait du cœur, ou à ce qui paraissait en venir; mais sa bonté lui faisait trop souvent prendre l’apparence pour la réalité.

      Sa vive imagination, qui ne lui permettait de saisir que le beau côté des choses, et sa foi absolue dans le bien, l’empêchaient de se défier assez du mal. Son extrême sensibilité la prédisposait donc fatalement à souffrir, car plus le cœur est confiant et sincère, plus l’âme est délicate et élevée, plus les désillusions et les déceptions lui sont douloureuses et amères. Mais les qualités qui devaient inévitablement faire, dans la vie positive, le tourment de Madeleine, faisaient aussi son grand charme.

      Ce ne fut pourtant point ce charme qui attira Herbert, ce ne furent point même ses qualités, quoiqu’il les reconnût et qu’il les admirât: ce fut uniquement sa beauté.

      Le vicomte avait un caractère sur lequel il était si impossible de compter, qu’il n’y avait, au monde, que lui qui crût en lui-même. Léger en tout, il traitait les choses de cœur comme il traitait les choses d’honneur. Il se jouait de la passion comme de tout le reste. Cependant, il en affectait les dehors et la prenait même du côté dramatique. Volontiers, il eût mis en avant poignards et épées;


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