La guerre au château. Mme E. Thuret

La guerre au château - Mme E. Thuret


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découverte. Sa belle taille, sa tournure de prince, son air de distinction, son je ne sais quoi de rêveur qui avait remplacé le brio de sa première jeunesse, faisait qu’il séduisait dès l’abord.

      Les femmes prenaient son apparente douceur pour de la bonté. Elles se trompaient étrangement. Il était trop pauvre de cœur et trop faible de caractère pour être vraiment bon.

      Quand il se figurait aimer, il aimait en lâche et en hypocrite. Car, tout en prodiguant ses serments, il songeait déjà aux moyens de les trahir plus tard. Son amour n’était que du caprice. En phrase seulement, il atteignait le sublime de la passion.

      Les larmes, il est vrai, lui venaient aux yeux avec un à-propos infini, si on lui confiait un chagrin ou si on lui racontait une belle action; cependant, au fond, il y demeurait complétement insensible.

      Les arts paraissaient l’enthousiasmer; il en parlait de manière à faire croire qu’il avait le feu sacré; mais son âme n’était point assez élevée pour s’y échauffer: c’était par genre qu’il en affectait le goût. Il avait la manie du brocantage, parce qu’il se croyait plus fin que son vendeur et espérait toujours faire quelque achat merveilleux.

      L’expression de sa physionomie était une erreur de la nature, qui aurait dû, au contraire, par quelque trait de son visage, indiquer la duplicité de son cœur. Herbert mentait peut-être encore plus par la fausse douceur de son regard que par celle de son langage.

      Hors les tirades sentimentales qui lui venaient merveilleusement à propos dans les grands moments, il ne pouvait traiter sérieusement même les sujets les plus graves. Souvent il paraissait se recueillir en lui-même, mais rien n’était creux comme ce silence et ce recueillement: son mutisme n’était pas de la réflexion, c’était de la somnolence.

      Il avait des indulgences raffinées pour le mal, et des indifférences inouïes pour le bien, quand il était à son aise et qu’il n’avait aucun motif pour paraître bon ou sensible et qu’il osait enfin être lui-même.

      Mais la jeunesse, l’élégance, un grand usage du monde, jetaient sur ce vilain fond un charme trompeur qui empêchait non-seulement de l’apercevoir, mais même de le soupçonner.

      Il eût donc été impossible à la marquise, malgré toute sa finesse, de juger le vicomte. Quant à Madeleine, elle ne le voyait qu’à travers sa sincérité à elle, et elle devait longtemps être trompée.

      Il n’avait d’ailleurs paru en pied ni devant la mère ni devant la fille. Il ne leur avait montré de lui-même qu’une miniature très-flattée et très-réussie, car la mort de Paula lui avait formé le cadre le plus avantageux.

      Quelle que fût l’ambition de Mme de Valby pour sa fille, quel que fût son désir de lui voir faire ce qu’elle croyait un riche mariage, elle eût certainement rompu s’il lui avait été seulement possible d’entrevoir le caractère véritable de son futur gendre. Elle avait bien reconnu, cependant, que, sous l’aimable esprit d’Herbert, se cachaient une grande faiblesse et un grand entêtement; elle ne s’y était pas trompée, mais ne s’en était pas non plus effrayée; elle s’était simplement dit: Madeleine sera la maîtresse.

      La marquise se trompait; elle oubliait qu’une femme acquiert bien rarement de l’influence sur un homme sans caractère, et que, malgré tout l’esprit de Madeleine, il lui serait bien difficile d’avoir raison d’un entêté, parce qu’un entêté veut etne raisonne pas. Mais alors, Mme de Valby ne voyait pas ainsi les choses. Il n’y a pas de mari parfait, pensait-elle, et les défauts qu’elle apercevait dans son futur gendre ne lui semblaient pas de nature à empêcher sa fille d’être heureuse. Elle savait bien encore que le vicomte était vaniteux; elle savait aussi que la beauté et l’esprit de Madeleine le flattaient au plus haut degré: elle en fera tout ce qu’elle voudra, se répétait-elle avec complaisance, et elle ne voyait pas les nuages noirs qui menaçaient l’avenir de Madeleine.

      Cependant, tout enchantée que fût la marquise, elle continua à affecter une grande réserve, et, avant de permettre à Herbert de se poser en prétendant, elle mit pour condition que le comte de Béyanes donnerait son assentiment au mariage.

      – Ma fille a peu de fortune, dit-elle au vicomte, mais il vous convient, sans doute, qu’il en soit ainsi, puisque vous me la demandez avec tant d’insistance. Cependant précisément à cause de ce peu de fortune, je veux, avant d’aller plus loin, être assurée que votre famille ne vous désapprouvera pas; je veux être certaine que Madeleine serala bienvenue parmi les vôtres. Une Valby n’entre jamais par la petite porte dans une famille.

      Le vicomte, qui n’était ni grand, ni généreux, aimait à s’en donner les apparences. Il jouait aussi le désintéressement et s’y entêtait même à ses dépens, quand sa fantaisie l’y poussait, quitte à le déplorer ensuite.

      Il savait que Madeleine n’avait pas de fortune, il savait qu’il ne lui en restait guère, et, tout en se reconnaissant le plus dépensier des hommes, tout en n’ignorant pas que sa future avait de grandes habitudes, il passa outre. Sa passion l’enivrait, elle l’emportait sur toutes les considérations, et, sans s’inquiéter de la vie qu’il aurait à offrir à sa compagne, il se fia au hasard, dont, jusque-là, il avait été l’enfant gâté, pour le tirer d’affaire.

      En écrivant à son frère que sa future était belle et bien née, en faisant valoir ses alliances, il ressentait une souveraine jouissance. Charlotte n’était-elle pas laide, vulgaire, et Legris par-dessus le marché?

      Herbert n’éprouvait aucune reconnaissance pour son frère de l’avoir aidé, sauvé, remis à flot. Il lui en voulait, au contraire, et était bien aise de l’humilier; les obligations qu’il lui avait pesaient à sa vanité. D’ailleurs, il ne pouvait lui pardonner d’être devenu riche pendant que lui s’était ruiné.

      Comme M. de Béyanes avait déjà vu plusieurs fois son frère sur le point de faire de pitoyables et honteux mariages, il s’attendait qu’un jour ou l’autre il se laisserait entraîner à quelque folie qui serait une tache pour la famille. Il fut donc trop heureux d’apprendre que sa nouvelle passion était une jeune fille bien née, digne de considération et portant un nom honorable.

      Il connaissait la famille de Valby; il savait que la marquise n’était riche qu’en apparence, et que Madeleine n’avait qu’une très-modeste dot et rien à attendre de sa mère; mais il ne s’en préoccupait point, et pensait seulement que cela épargnerait à son frère la honte de ruiner sa femme. Car eût-elle apporté le Pactole à Herbert, qu’il en aurait rapidement épuisé les richesses.

      Le vicomte s’empressa de porter à la marquise la réponse de son frère. Elle était faite dans les termes les plus remplis de considération pour la mère, et les plus flatteurs pour la fille.

      Ce fut avec une véritable allégresse qu’Herbert recommença à venir chaque jour chez sa future et à passer auprès d’elle, non de courts instants, mais des heures qui lui paraissaient délicieuses.

      La séparation avait exalté son amour. Madeleine était pour lui une créature divine, incomparable, qui, malheureusement, parlait encore bien plus à son imagination qu’à son cœur.

      C’était, en effet, une ravissante jeune fille qui eût mérité une tendresse plus sérieuse et mieux raisonnée, car ses sentiments pouvaient supporter l’analyse: elle n’avait qu’à y gagner.

       Table des matières

      Le mariage se fit très-simplement, à cause du deuil qu’Herbert prit le lendemain, afin de témoigner à Madeleine qu’il partageait les regrets que lui avait laissés cette sœur chérie.

      Le futur avait fait des cadeaux en rapport avec la fortune qu’on lui supposait et non avec celle qu’il avait.


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