Pie IX et Victor-Emmanuel: Histoire contemporaine de l'Italie (1846-1878). Jules Zeller

Pie IX et Victor-Emmanuel: Histoire contemporaine de l'Italie (1846-1878) - Jules Zeller


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le prince de Metternich, la veille encore opiniâtrément rebelle aux instances de l’ambassadeur anglais, était en fuite. Un nouveau ministère était formé ; il promettait une constitution à la monarchie autrichienne, et, par conséquent, il pouvait faire espérer à la Lombardie un traitement qui la consolât, au moins de la dépendance, par des libertés politiques intérieures. Les hautes classes lombardes, un peu effrayées par la proclamation de la république en France, tendaient à se modérer et pouvaient peut-être se trouver satisfaites; mais, le 17, la nouvelle de la révolution de Vienne arrivait à Milan, et, le 18, le peuple milanais soulevé posait la question de l’indépendance.

      Le vice-roi Reynier était parti déjà pour Vérone; et, le 18, au matin, le vice-gouverneur O’Donnel, du palais du gouvernement qui se trouvait situé à l’extrémité orientale de la ville dont le dôme occupe le centre, faisait afficher que l’empereur d’Autriche, en même temps que la représentation de ses autres sujets allemands et slaves, convoquait, pour le 3 du mois de juillet suivant, l’assemblée centrale du royaume lombard-vénitien. Mais, dans la nuit, un comité formé du podestat, comte Casati, de quelques jeunes gens de bonne famille, Correnti, et d’hommes d’action, Borromeo et Cattaneo, s’était formé ; et aussitôt, dès le matin, sur des affiches qui portaient ces mots: «Il momento è venuto», les bourgeois et le peuple se répandaient comme une inondation dans les rues; les femmes de toutes classes, gentil donne et autres, étaient aux balcons, aux fenêtres, agitant les drapeaux et jetant les cocardes aux trois couleurs, surtout à la place du Dôme, dans la rue des Esclaves qui est derrière, et sur la place des Marchands; dans le vieux Milan, au Broletto, siège des autorités municipales, on distribuait des armes, on faisait des barricades.

      Le podestat, comte Casati, vint pour calmer l’émotion ; on le porta vers le palais du gouverneur, qui fut envahi, et le comte O’Donnel, au pouvoir des Milanais, fut obligé de décréter l’armement de la milice et de remettre la sécurité de la ville à la municipalité. C’était le premier acte d’hostilité. Radetzki lança alors du château, à l’extrémité nord-ouest de la ville, et de quelques casernes, plusieurs bataillons pour reprendre le palais du gouverneur et donner assaut au Broletto; il les recouvra, après beaucoup de sang déjà versé ; et, le soir, se retirant au château, bâtiment massif, assez mal fortifié cependant, il se contenta d’occuper militairement les bastions, la place du Dôme et celle des Marchands, le Palais royal, la Police, l’Hôtel de ville, le Commandement, ainsi que les principales rues qui aboutissent à ces points principaux. Son but était de cerner et de diviser l’émeute. Ce fut une nuit solennelle; la pluie tombait par torrents. Le peuple milanais s’arma, éleva silencieusement ses barricades; les femmes, les enfants, entassaient les projectiles sur les toits des maisons. Le podestat Casati, partisan secret de Charles-Albert, était à sa maison de la Taverna, avec quelques nobles, quelques écrivains et des jeunes gens pleins d’ardeur; il hésitait. Mais Cernuschi, Cattaneo, Terzaghi, formés déjà en comité de guerre, organisèrent la résistance. Le 19, au matin, Radetzki fit une sommation, et menaça la ville du bombardement et du sac; on lui répondit en se jetant dans les rues au son du tocsin; et, aux cris de: vive Pie IX! le combat commença. Le premier jour, les Milanais ne cherchèrent qu’à couper les communications de l’armée. L’affaire la plus rude eut lieu sur la place de la Cathédrale, d’où un corps de Tyroliens, embusqué dans les galeries, faisait un feu plongeant et meurtrier. Les Milanais n’avaient pas encore beaucoup d’armes et manquaient de munitions. Le drapeau aux trois couleurs se trouvait arboré à la pointe du clocher du dôme. Le 20, la lutte se caractérisa.

      Radetzki eut beaucoup de peine à garder ses communications avec les points occupés et les casernes très-distantes les unes des autres, à faire passer des munitions et des vivres aux corps engagés dans l’intérieur de la ville; il lui fallait faire enlever chaque barricade sous un feu meurtrier parti de toutes les fenêtres, et sous une grêle de projectiles lancés du haut des maisons. Il fut obligé d’abandonner successivement la Cathédrale et la Police; un parlementaire vint de sa part proposer le soir un armistice de quinze jours ou le bombardement. Casati et les collaborateurs qu’il s’était adjoints penchaient à accepter; les consuls étrangers protestèrent à l’avance contre le bombardement; mais le comité de guerre et les combattants, exaspérés par les cruautés de quelques Croates, refusèrent tout armistice .

      Le 21, l’insurrection gagna encore. La marquise de Trivulzio avec ses fils travaillait aux barricades, les combattants milanais s’étaient organisés sous des chefs. Les villages environnants commençaient à remuer pour venir au secours dès bourgeois. Radetzki perdit le palais qui fut pillé, la caserne de Francesco qui fut emportée; on commença à attaquer les bastions et les portes, entre autres la porte Ticinese, vers le midi, et la porte Tosa au nord-est, pour ouvrir les communications avec le dehors. Tous les citoyens de vingt à soixante ans vinrent s’inscrire sur les listes paroissiales; on lança des ballons dans la campagne pour requérir du secours; un armistice de trois jours, proposé par les consuls étrangers, fut encore repoussé. On arborait déjà aux balcons les trois couleurs en signe de victoire. Un envoyé de Charles-Albert vint offrir les secours de son maître. Casati, qui avait envoyé le comte Arese à Turin, voulait qu’on s’engageât immédiatement pour la réunion du Lombard-Vénitien; le comité de guerre, qui comptait quelques républicains, ne promit que sa reconnaissance et attendit d’abord l’initiative de Charles-Albert. Casati et les albertistes, Pompeo Litta, Porro, Durini, s’érigèrent néanmoins en gouvernement provisoire, commencèrent à se saisir de l’administration, des finances, et annoncèrent la réunion d’un congrès pour prononcer sur les destinées du pays.

      Le 22, Radetzki était menacé à la fois par la ville et la campagne. L’hôtel du Commandement, la porte Tosa, un bastion tombèrent au pouvoir des Milanais. Les insurgés de Como, de la Suisse italienne, de Monza, s’ingéniaient à combiner avec le peuple de Milan l’attaque des bastions. Les garnisons autrichiennes qui, vers le Tessin, semblaient menacer la frontière piémontaise, commencèrent à se replier devant le soulèvement qui devenait général. A Milan, Radetzki n’avait aucune nouvelle de ce qui se passait sur le Mincio, sur l’Adige, dans les grandes places fortes qui s’y élèvent, encore moins au delà dans la Vénétie. Si Charles-Albert se décidait tout à coup à passer le Tessin, l’armée autrichienne était perdue. Radetzki résolut de garder à son maître les quinze mille hommes qu’il avait à Milan. Le soir, il entretint un feu continu et nourri de ses canons et de ses bombes du haut des bastions, et peu à peu fit rentrer ses troupes par les allées des remparts, et les concentra au château. Là, il alluma un grand feu de paille, de foin, de chariots et de bagages; et, à la lueur d’une colonne de flammes qui éclairait toute la ville, les Milanais virent le maréchal abandonner le château par la route du nord-est, et, en cinq longues colonnes, battre en retraite, avec les familles des officiers, les employés, les otages, et plusieurs régiments italiens obligés sous peine de mort de suivre le reste. Milan était libre, mais l’armée autrichienne sauvée. On assure que le vieux feld-maréchal, âgé de quatre-vingt-deux ans, ne put s’empêcher de se retourner vers la ville qu’il abandonnait, en lui disant d’un ton menaçant: «Au revoir!»

      Le même jour, 22, le gouverneur autrichien Zichy abandonnait Venise avec les bataillons allemands de sa garnison. La nouvelle des événements de Vienne étant arrivée le 16, la population avait déployé les trois couleurs; tantôt applaudissant les bataillons italiens, tantôt huant les Allemands, elle commença à manifester. Le 17, déjà, elle avait demandé et obtenu du gouverneur la délivrance de Manin. Le 18, Zichy vint lire également, sur la place Saint-Marc, la promesse impériale d’une constitution; on s’apaisait. Mais, à la nouvelle de l’insurrection de Milan, le 21, Manin rassembla un comité, et le lendemain 22, le peuple répandu de nouveau dans la ville au cri de vive Saint-Marc, demanda une garde civique. Zichy avait des munitions, un arsenal; mais ses troupes n’étaient point sûres. A la suite de quelques collisions sans importance d’ailleurs, il abandonna le palais des Procuraties, sa résidence, sur la place Saint-Marc, et il laissa s’y installer la Junta civile et la garde civique. Mais, pendant ce temps, les ouvriers italiens de l’arsenal chassèrent le commandant de la marine. Le podestat, comte Correre, et quelques membres du conseil municipal. se rendirent alors auprès du comte Zichy et firent avec lui la convention en vertu de laquelle


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