Pie IX et Victor-Emmanuel: Histoire contemporaine de l'Italie (1846-1878). Jules Zeller

Pie IX et Victor-Emmanuel: Histoire contemporaine de l'Italie (1846-1878) - Jules Zeller


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de la naissance du roi Ferdinand II, qui avait alors trente-huit ans. Dès le matin, tout Palerme était sur pied, aux balcons, dans les rues, surtout dans la grande rue de Tolède, qui part du château royal fortifié (Palazzo reale), à l’occident, non loin de la porte Montreale, et traverse toute la ville pour aboutir au nord-est à la batterie della gorita, vers le fort de Castellamare. La rue Macqueda, qui coupe en deux celle de Tolède, du sud au nord, et aboutit au grand port fermé par le môle avec le phare et sa batterie, n’était pas moins agitée. On attendait; on ne vit rien venir. A huit heures, un Boressani sur un point, un abbé, le crucifix à la main, sur un autre, crient: «Aux armes, au nom de Rosalie, patronne de Palerme!» C’était le commencement de l’émeute.

      Les troupes, au nombre de six mille hommes, occupaient les principales places et surtout le palais royal. Un certain La Masa, avec le drapeau aux trois couleurs, donna le signal. Pendant la journée cependant, il n’y eut que quelques poussées de la part du peuple, et des décharges de la troupe sans importance. Dans la nuit il se forma un comité sur la place du Marché-Vieux, puis au palais Santa-Anna. On n’avait pas d’armes. Le lendemain, cependant, la population au balcon excitait le peuple dans la rue, et les cloches dans les églises sonnaient le tocsin. Les forts commencèrent à lancer des bombes sur la ville, et continuèrent le 14. Il faisait froid; la neige couvrait les montagnes environnantes. Le 15, tout languit encore. Le 16, envoyés par le cabinet napolitain qui saisissait cette occasion de sévir, le général Sauget, avec dix vaisseaux de guerre et cinq mille hommes, et le frère du roi, comte d’Aquila, débarquèrent dans le grand port, au nord de la ville, vers Quattro Venti, non loin de la porte Macqueda. Déjà plusieurs chefs du comité, sous le drapeau des consuls, fuyaient sur les vaisseaux des escadres française et anglaise en vue du port. Mais quelques hommes déterminés, ayant à leur tête La Masa, en se précipitant aux portes, empêchèrent la jonction des troupes de secours avec la garnison. La noblesse, le clergé même, offrirent alors de l’argent au comité, on eut des armes et l’insurrection se propagea bientôt dans toute l’île. Le 18, quand elle était déjà de l’autre côté du détroit, le comité d’insurrection de Palerme demandait au lieutenant-gouverneur la constitution de 1812, et, sur son refus, le peuple, non content de séparer Sauget de la garnison du palais, enlevait, les jours suivants, malgré le bombardement, après un combat acharné, toutes les approches du Palazzo reale, et bientôt le palais lui-même.

      Le roi, effrayé cette fois, à Naples, renvoya son ministre de la police del Carretto, promit une consulte, nomma un nouveau lieutenant-général en Sicile, et publia une amnistie; mais cela ne suffit plus. Le général Sauget, ralliant la garnison, fut forcé d’évacuer Palerme et eut peine à faire embarquer ses troupes poursuivies et harcelées pendant que l’insurrection faisait le tour de l’île. Le 26, il n’y eut plus au pouvoir des troupes de Ferdinand, dans toute l’île, que le château de Messine; et, le 27, à Naples, dix mille hommes descendirent dans les rues, bannières déployées, et firent retentir la façade du palais et la place du Marché des cris de: «Vive la constitution de 1821!» Le fort Saint-Elme arbora le drapeau rouge; mais la population arbora les trois couleurs. Les troupes descendirent un instant du fort Saint-Elme pour occuper les places. Mais le commandant du fort offrit sa démission quand on voulut lui donner l’ordre de bombarder la ville. Le général Statella, lui-même, conseilla au roi de céder; le lendemain, 28, un nouveau ministère composé de Serra Capriola, longtemps ambassadeur à la cour de France, Buonomi, prince de Torella, Bozzelli, écrivain et juriste distingué, et Poerio, d’une famille de martyrs patriotes, entra en fonctions; et, le 29, la constitution fut définitivement promise, et les bases du gouvernement représentatif garanties.

      Le roi, en parcourant la ville, eut une ovation de la population bourgeoise, sinon des lazzaroni défiants. Avec un peu d’habileté ou de vigueur, il aurait peut-être maîtrisé le mouvement; quelques-uns ont pensé qu’il avait voulu jeter l’idée constitutionnelle comme un brandon de discorde dans les États des princes qui cherchaient à l’entraîner à des concessions. «M’hanno spinto)» aurait-il dit, «io li spingerò ». «Par cette brusque concession,» dit l’ambassadeur anglais à Turin, «le roi de Naples prépare de grandes difficultés aux souverains réformateurs, sans donner à son pays l’avantage d’institutions qui concordent avec celles du reste de l’Italie.» Les Siciliens qui avaient donné le branle à Palerme, et qui voulaient la constitution séparée de 1812, doutaient encore plus de la sincérité du roi.

      L’effet de ces nouvelles arrivant coup sur coup dans toutes les villes de la Péninsule fut, en effet, prodigieux. Le roi, qui passait pour le plus absolu, avait, bon gré, mal gré, laissé loin derrière lui tous les autres princes; Les journaux, les clubs devinrent plus ardents que jamais en Toscane, à Rome et à Turin. Quand la constitution napolitaine parut, le 11 février, modelée sur la charte française de 1830, un peu, comme par ironie, avant le carnaval, ce qui fit mêler aux cris de: Vive la constitution! ceux de Vivent les masques! il n’y eut plus guère moyen de résister. Vainement la Russie, par l’organe de Nesselrode, l’Autriche par Metternich, protestèrent-elles, et Guizot lui-même, en pleine chambre des députés, disait-il, en France, le jour même de la promulgation de la constitution napolitaine: «Il faudra encore dix ans, vingt ans, avant que les peuples italiens puissent avoir une constitution.» Lord Palmerston, plus hardi que ses ambassadeurs, spécialement à Turin , poussa les autres souverains à ne pas se laisser gagner en libéralité par Ferdinand II, et l’Angleterre fut écoutée parce qu’elle répondait à l’entraînement national.

      Le duc de Toscane octroya donc une constitution, le 15, par la crainte des mouvements tumultueux de Livourne agitée, ainsi que Gênes, par les Mazzinistes. Le pape, ne sachant si le gouvernement parlementaire était compatible avec sa double position de pontife et de prince, hésitait, malgré les instances du prince, Corsini et de lord Minto, qui le quitta en l’accusant de manquer d’énergie et de résolution. Une manifestation au cri de: «Plus de prêtre au ministère! » fut poussée au Quirinal jusque sous ses fenêtres. Pie IX apparut au balcon, blâma en termes émus ces demandes tumultueuses, qu’il ne pouvait ni ne voulait accorder et donna sa bénédiction au peuple encore satisfait. Mais, à Turin, les libéraux, même les plus modérés, le comte Cavour, Santa Rosa, César Balbo, le colonel Durando, rédacteurs principaux de la Revue nationale économique, se chargèrent d’aller porter au roi les vœux exprimés par les municipalités de la capitale et de Gênes en faveur d’une constitution (7 février). Prince tout militaire, aimant mieux avoir à combattre les Autrichiens qu’une opposition de tribune, Charles-Albert eût été plus disposé à satisfaire le sentiment national, à tenter de donner l’indépendance à l’Italie que des libertés constitutionnelles à son peuple; cependant, cédant à l’entraînement général, il publia, le 17, le statut fondamental qui contenait tous les principes de la constitution, et, quelques jours après, en passant une revue de son armée, il devait prendre part à la fête populaire qui célébra cet événement.

      Le Lombard-Vénitien, dont tant d’exilés, de bannis étaient parmi les Piémontais, frémissait maintenant sous le joug en voyant dans toute la Péninsule les conquêtes de la liberté. L’archiduc Reynier, M. de Fiquelmont, son conseiller, le maréchal Radetzki, commandant des forces militaires autrichiennes à Milan, en appelèrent aux mesures extrêmes de compression. Le jugement stataire, en vertu duquel on pouvait être jugé et pendu en deux heures fut inauguré, le mardi-gras, au commencement de ce long carnaval ambrosien qui amène ordinairement tant d’étrangers à Milan. La fête fut morne, malgré les efforts de M. de Fiquelmont; si l’on dansait, c’était la sicilienne. «Soldats,» dit Radetzki, en annonçant à ses troupes la ferme volonté de l’empereur de défendre le Lombard-Vénitien, «que les insensés ne vous forcent point à déployer le drapeau de l’aigle à deux têtes; contre votre fidélité et votre valeur, les coupables efforts du fanatisme et de la rébellion se briseront comme le verre fragile contre le roc.» M. d’Azeglio répondit à ces paroles, dans ses Lutti di Lombardia, le 24 février.. «L’affranchissement de l’Italie, dit-il, dépend d’accidents extérieurs que l’esprit ne peut prévoir, mais que notre cœur pressent. Portons nos regards sur l’état même de la chrétienté, et nous demeurerons convaincus que Dieu a fixé l’heure à laquelle doivent crouler de grandes iniquités.»

      Étranges


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