Pie IX et Victor-Emmanuel: Histoire contemporaine de l'Italie (1846-1878). Jules Zeller
et une population bien disposées, mais très-mal armées, surtout en artillerie. Elles avaient voulu au Sud fortifier les monts Beriques (Berici), surtout à la Madona del Monte. Mais Radetzki s’en empara, grâce à des forces supérieures, et, dominant la ville, la menaça d’un bombardement. Il fallait capituler ou voir Vicence à sac probablement. Durando abandonna la ville avec les plus compromis, soldats, armes et bagages, et s’engagea à ne point servir avec ses troupes, pendant trois mois, contre les Autrichiens. Quand Charles-Albert (le 13) se décida à attaquer les Autrichiens de Vérone pour effectuer le passage de l’Adige et secourir Vicence, l’avant-garde de Radetzki, déjà de retour, lui apprit qu’il était trop tard. On célébra en Italie la prise du plateau de Rivoli, de glorieuse mémoire; on oublia que, maître de Vicence, s’embarrassant peu maintenant du Tyrol qu’il abandonna, et ralliant Welden, Radetzki avait sous la main soixante mille hommes.
La position était, en effet, bien changée au désavantage des Italiens. L’Autrichien Welden, arrivé avec de nouveaux renforts dans le Frioul, prenant Trévise et Padoue malgré Zucchi et ses volontaires, isolait Venise, et ne laissait plus à Pepe et au seul bataillon qu’il avait entraîné d’autre parti que de se jeter dans cette ville pour défendre la lagune, avec les fuyards napolitains ou romains. Charles-Albert était maintenant presque seul (l’armée romaine et l’armée toscane ayant été dissoutes), seul dans le quadrilatère avec Peschiera. Devant lui étaient Vérone, l’Adige, Mantoue et une armée plus nombreuse que la sienne, mieux conduite et plus disciplinée. Et, derrière lui, dans la transition entre les deux anciennes administrations et la nouvelle, le remaniement des impôts, le recrutement de nouvelles troupes avaient d’autant plus de peine à se faire, que les jalousies entre Milan, Turin, Gènes s’affichaient déjà, et que les mazzinistes et les républicains ne manquaient pas de tout blâmer, la conduite de la guerre et celle des affaires. Il ne pouvait donc plus être question pour lui de délivrer Venise où Manin, tout-puissant dans la ville et soutenu par tous ceux qui arrivaient, se servait des échecs du roi pour accuser sa bonne volonté et pousser malgré le désir de la plupart des vrais habitants à la république. Quelle résolution allait-il prendre?
A Rome, à Naples et à Florence, même embarras pour la cause italienne, qui semblait d’abord avoir fait battre tous les cœurs à l’unisson.,
Il y avait évidemment une lutte sourde dans la capitale des États de l’Église entre le ministre laïque Mamiani et le gouvernement pontifical de Pie IX. Oh n’avait pu s’entendre surtout sur la rédaction du programme à lire le 5 juin à l’ouverture de l’assemblée romaine. Le cardinal Altieri avait ouvert les chambres avec un programme où il n’était question que de réformes pacifiques. Mais Mamiani, le lendemain, avait prononcé un discours dans lequel, faisant au pape l’honneur de le reléguer, comme père des chrétiens, dans les hautes sphères de la religion, il maintenait aux mains de Charles-Albert le commandement des armées de l’État de l’Église. De là, démission offerte et acceptée, impossibilité pour le pape de trouver un autre ministère, par conséquent désordre et faiblesse. Le roi de Naples, lui, désireux maintenant de reprendre la Sicile après Naples, rappelait déjà quelques régiments napolitains d’abord prêtés à Charles-Albert; on se plaignait à Florence du peu de dévouement du ministre Ridolfi.
Pour ce qui est des puissances étrangères, étaient-elles animées d’un véritable intérêt pour l’Italie? Lord Palmerston, prenant auprès de l’Autriche la place que la France avait occupée avant 1848, poussait à la paix et à un arrangement . En France, l’Assemblée nationale, dans sa séance du 25 mai, avait invité la commission du pouvoir exécutif à prendre pour règle de conduite son vœu unanime d’affranchir l’Italie; mais le ministre des affaires étrangères, Bastide, était plus porté à secourir Manin que Charles-Albert. S’il offrait un secours à celui-ci, c’était en montrant ses défiances vis-à-vis de l’établissement d’une grande puissance dans le nord de l’Italie et avec le désir de voir l’unité s’y constituer sous forme fédérative. Charles-Albert refusait donc l’intervention républicaine à ces conditions, aussi bien que la médiation anglaise. Mamiani lui-même déclarait dans son discours que «la plus grande des infortunes qui pourrait arriver à la cause italienne serait la trop chaleureuse et la trop active amitié d’une grande nation»; et bientôt la France, pendant quelques jours toute à ses discordes (journées de juin), et menacée de l’anarchie, n’allait plus être à même de la lui offrir.
Le roi de Sardaigne, ne voulant ni intervention ni médiation, fit venir ses réserves, restées jusqu’alors, et bien à tort, dans le Piémont; il pressa la formation de l’armée lombarde et l’équipement des volontaires qu’il n’avait pas jusque-là fort activé. Grâce à cet effort, dans le courant du mois de juin, il avait quatre-vingt mille hommes sur le Mincio, tout en laissant encore, assez malheureusement, des garnisons à Parme, à Modène, à Bologne même. Mais Radetzki, grâce à l’arrivée d’un nouveau renfort venu du Tyrol, en avait autant; et toutes les troupes de celui-ci étaient bien équipées et disciplinées, tandis que les derniers bataillons lombards étaient assez mal instruits et armés, et déjà moins ardents qu’au commencement de la guerre.
Les encouragements de l’Italie vinrent encore, au commencement de juillet, briller comme une dernière espérance sur l’armée piémontaise. Le 6 juillet, pendant que Pepe organisait la défense de la lagune, une assemblée réunie à Venise déclara se fondre dans le Lombard-Vénitien et installa un gouvernement favorable à Charles-Albert, à la. majorité de cent vingt-sept voix contre six. Manin, sur qui avait reposé tout le pouvoir, déclara sacrifier ses préférences sur l’autel de la patrie. Le gouvernement vénitien pouvait disposer de vingt mille hommes, mais seulement pour sa défense. Quelques jours après, le parlement sicilien, trop longtemps occupé de ces luttes intestines, élut décidément roi un des fils de Charles-Albert, le duc de Gênes.
Il fallait payer par la victoire un don de joyeux avènement. Charles-Albert, à Roverbella, entre Mantoue et Vérone, le Mincio et l’Adige, augmentait tous les jours sa droite vers Mantoue, qu’il espérait forcer comme Peschiera, aux dépens même de sa gauche toujours avec le général de Sonnaz à Rivoli. Au milieu du mois de juillet, les Modénais et les Toscans, revenus vers Governolo, cherchaient à terminer l’investissement de la place sur la rive droite du Mincio. Le roi lui-même, décidé enfin à agir, et tout en donnant la main des hauteurs bien fortifiées de Villa Franca à Sonnaz, pour surveiller Santa-Lucia et Vérone, vers le 20, se mit en devoir d’achever l’investissement de Mantoue sur la rive gauche, en s’étendant presque jusqu’au Pô. Radetzki, concentré depuis quelque temps à Vérone, saisit, pour reprendre l’offensive, le moment où il vit la ligne de son adversaire plus étendue que jamais du plateau de Rivoli aux environs de Mantoue, mais très-faible vers les collines du centre, à Somma Campagna et à Sona.
Charles-Albert s’occupait déjà de constituer le gouvernement du nord quand Radetzki, le 22 juillet, malgré une pluie torrentielle, mit de nuit ses masses en mouvement, pour reprendre le cours du Mincio. Il fallait percer la ligne de l’ennemi et s’emparer des hauteurs qui commandent l’Adige et le Mincio, et qu’occupaient insuffisamment les Piémontais. Le 23, au matin, la gauche de Radetzki s’étendit légèrement au sud vers Roverbella, pour surveiller le quartier général de Charles-Albert; la droite se dirigea au nord sur Rivoli; le centre, en colonnes nombreuses et fortement soutenues, se porta par la route qui va de Vérone à Peschiera sur les collines de Sona et de Somma Campagna. Le général de Sonnaz, quicommandait ce point affaibli, n’avait que douze mille hommes, Savoyards, et Toscans, pour résister à près de quarante mille hommes. Il fit abandonner Rivoli pour que cette aile ne fût point coupée, et, cédant, après une belle résistance d’ailleurs, à ces forces supérieures, il se rabattit sur Castelnovo, et permit ainsi aux Autrichiens de s’étendre sur leur gauche jusqu’aux hauteurs de Custozza qui menaçait Roverbella. Charles-Albert, de Villa Franca, vit lui-même l’impossibilité de remédier immédiatement au vide qu’il avait laissé ; il abandonna le village de Custozza et livra le Monte Vento, qui touche au Mincio même, tandis que Sonnaz, menacé d’être coupé, repassa en reculant le Mincio avec sa division et s’établit sur la rive droite par Mozambano, dont il fit détruire le pont.
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