Pie IX et Victor-Emmanuel: Histoire contemporaine de l'Italie (1846-1878). Jules Zeller

Pie IX et Victor-Emmanuel: Histoire contemporaine de l'Italie (1846-1878) - Jules Zeller


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italien était encore debout.

      Cette résistance, on le comprend, était de nature à entretenir les espérances et à enflammer encore les passions italiennes. Les gouvernements d’Angleterre et de France, il est vrai, partageaient d’autant moins ces illusions que l’Autriche, après avoir obtenu qu’on revînt sur les bases de la médiation, s’efforçait de diviser les deux puissances médiatrices en flattant davantage tantôt les prédilections monarchiques et piémontaises de Palmerston, tantôt les tendances républicaines et vénitiennes de Bastide. Il semblait y avoir peu de chose à espérer même de l’Allemagne révolutionnaire et unitaire, alors représentée par le parlement démocratique de Francfort; en effet, celle-ci, prenant fait et cause sinon pour l’Autriche, au moins, disait-elle, pour la garantie de la nationalité allemande, déclarait que non-seulement l’Adige, mais le Mincio, étaient la ligne stratégique défensive de l’Allemagne à laquelle elle ne devait pas renoncer; et elle ne voulait agir qu’en ce sens. Si donc le général Cavaignac disait «que les traités de 1815 ne pouvaient servir de base à la paix» ; si son ministre des affaires étrangères, Bastide, devait écrire en novembre à Manin: «Tant que je dirigerai les affaires de France au dehors, la France n’abandonnera pas la cause de Venise,» tout en ajoutant, peu diplomatiquement d’ailleurs, «que la France touchait à une crise qui pouvait amener d’autres hommes et d’autres principes», lord Palmerston, plus net, faisait dire à Manin par le consul anglais: «Capitulez, car vous ne recevrez de secours de personne; le Piémont ne se relèvera pas.» Le ministre anglais, en effet, retirait sa flotte d’observation de l’Adriatique et obligeait par là la France à en faire autant. Que pouvait alors espérer la république de Venise?

      Sans doute le roi Charles-Albert, en signant l’armistice, n’avait pas non plus renoncé à tout espoir. Il avait, de retour à Turin, désavoué le signataire de l’armistice et, à la place du ministère Casati-Gioberti, mis à la tête de l’administration, Sostegno et Pinelli qui paraissaient faire des préparatifs de défense. Tout en laissant l’Angleterre et la France négocier, il exprimait le désir de garder sa liberté d’action. Il observait avec intérêt le désespoir que causait dans la Lombardie les emprunts forcés de Radetzki et les exactions de l’armée d’occupation contre lesquels réclamaient les deux puissances occidentales. Il ne désespérait pas d’entraîner une lutte de principes entre la France républicaine et l’Autriche monarchique. Entouré de nombreux Lombards réfugiés, il laissait malgré l’armistice une partie de ses troupes dans les lagunes et retirait lentement ses vaisseaux de l’Adriatique; s’il avait écouté le parlement piémontais, assemblée patriotique dominée par le député Brofferio, mais qui ne se faisait pas une idée bien nette de la situation, il aurait repris la guerre. Mais la France, elle-même, l’en dissuadait par les conseils de M. Bastide: «Le roi de Piémont, disait-il, est en face d’une chambre qui veut faire la guerre et qui n’a pas le moyen de la faire. Si les Autrichiens passent le Tessin, nous le défendrons; s’il le repasse lui-même, nous ne le défendrons point.» C’était suffisamment clair.

      Charles-Albert délibérait seul et caché au fond de son palais, quand l’effervescence accumulée principalement dans les États romains et dans la Toscane, où s’étaient réfugiés surtout ceux qui avaient dû quitter les champs de bataille de la Lombardie, le relança encore dans les périls qu’il avait déjà courus.

      Là, les passions radicales, affranchies du frein des partis modérés, ne savaient plus ce que c’était que la prudence. On ne se proposait plus que Venise pour exemple; on ne pouvait rien faire, disait-on, avec les princes. Le roi de Naples était un parjure, qui ne voulait ni indépendance ni liberté ; pour le roi Charles-Albert, il était au moins un tiède ou un malhabile, sinon un traître; le pape Pie IX n’avait plus qu’une conscience timorée. Venise le montrait suffisamment: on ne réussissait qu’avec les mains et sous le drapeau des républicains. Il fallait faire une guerre de peuple, constituer l’Italie en une république unitaire ou fédérative, et se lever comme un seul homme contre l’Autriche. C’est ce que répétaient les clubs sur tous les tons, à Rome, à Florence, surtout à Bologne, à Livourne, à Gênes même, qui étaient au pouvoir des exaltés. Que Mazzini soufflât sur ces flammes, après avoir d’abord montré quelque modération, que lui et les agents des anciennes sociétés secrètes qui agissaient maintenant à ciel ouvert, «enrôlassent les mécontents, payassent les désespérés,» dit Farini, «pour faire jaillir la lumière et la liberté du chaos et du désordre», il n’y avait là rien d’étonnant. Mais des hommes auparavant plus modérés et maintenant enflammés comme les autres, Montanelli revenu blessé à Florence, le prince de Canino à Rome, le père Ventura, le poëte Giusti se faisaient les interprètes passionnés des mêmes idées. En attendant, on tentait des collectes patriotiques pour prolonger la résistance de Venise. L’idée d’un congrès, d’une diète, d’une constituante italienne, surgissait de tous les points de la terre italienne. C’était la passion de l’unité qui, après celle des réformes, après celle des constitutions, après celle de l’indépendance, saisissait et emportait encore l’Italie.

      Pie IX, le grand-duc de Toscane, avaient grand’peine à résister à ces entraînements de l’opinion aigrie par les revers, exaltée par les rêves. Le pape, avec un ministère provisoire depuis la retraite de Mamiani, voyait avec désespoir le gouvernement glisser de ses mains. Bologne était en proie aux plus violents désordres. A Rome, l’arrivée de prétendus volontaires débandés, de brigands des Apennins, de proscrits de tous les pays et d’échappés de prison, augmentait la population sans feu ni lieu. Le 24 août, Pie IX faisait demander par le nonce au général Cavaignac une petite division française de quatre mille hommes pour protéger son pouvoir aussi bien au dedans qu’au dehors, et celui-ci refusait pour ne point prendre parti entre les souverains et les factions . A Florence, après la chute de Ridolfi, le ministère Capponi n’était déjà guère mieux vu que son prédécesseur. Pour apaiser Livourne, il envoyait, comme gouverneur, Montanelli, qui était accueilli avec les cris de: A bas le ministère! et il avait peine à empêcher la proclamation de la république. Le pape se décida le premier à sortir de ces tergiversations qui perdaient tout. Il appela (le 15 septembre) au ministère le seul homme, peut-être, qu’il eût parmi ses conseillers, l’ancien ambassadeur français, Rossi. A son exemple bientôt, le 12 octobre, le grand-duc de Toscane, Léopold II, remercia son ministre Capponi et chargea le promoteur de l’idée de la constituante italienne, Montanelli, de former un nouveau ministère. Enfin la chambre des députés de Turin, rouverte le 17 octobre, sans vouloir lui imposer la guerre, ni approuver les négociations entamées, rendit responsable, par un ordre du jour, de la défense de l’indépendance italienne, le ministère Sostegno Pinelli.

      Rossi, à Rome, entreprenait une rude tâche dans un moment bien difficile; il venait ramener Rome et l’Italie aux points qu’on perdait de vue, aux réformes, aux constitutions et à la défense, seulement là où on était encore indépendant; il venait essayer de faire triompher la raison au milieu du règne des passions, et il comptait, pour y réussir, sur son habileté, son expérience et sur les leçons que les événements avaient déjà infligées à ses ardents compatriotes. Réorganiser civilement les États romains, pratiquer loyalement la constitution, rétablir les finances, la police, ramener le calme et l’ordre, raffermir le pouvoir aux mains du prince contre les tentatives des républicains et radicaux, telle était sa politique intérieure. Au dehors, il ne reniait pas la cause de l’indépendance; mais il ne pensait pas le moment venu d’y retravailler encore. En tous cas, il ne croyait pas que les passions radicales et les peuples y pussent suffire sans les souverains; il se rattachait plutôt aux tentatives d’arrangements que les deux puissances anglaise et française poursuivaient encore à cette époque, même sans espérer contenter l’Italie; il préparait seulement l’avenir, en ménageant une ligue des princes raffermis chez eux et des États indépendants italiens, en réorganisant l’armée, et en s’efforçant de rallier les peuples et les souverains.

      L’Italie, croyait Rossi, en donnant ainsi des gages à l’Europe, ferait plus pour son indépendance que par la guerre qui lui avait déjà si mal réussi. Pendant son court ministère, il donna des gages à cet avenir; il appela Zucchi, de retour de la Vénétie, à la tête de l’armée, pour


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