Pie IX et Victor-Emmanuel: Histoire contemporaine de l'Italie (1846-1878). Jules Zeller
que Radetzki eût achevé son mouvement. Le général en chef, Bava, au centre, les princes de Savoie et de Gênes aux deux ailes, reprirent vigoureusement Custozza et Somma Campagna, après quatre heures d’engagement. L’échec de la veille était presque réparé. Le lendemain, dès le matin six heures, les Italiens recommencèrent le combat et montèrent à l’assaut de Sona et de Monte Vento pour rejeter l’ennemi dans le val du Mincio, vers Sonnaz qui avait occupé sur la rive droite les collines de Volta, parallèles à celles de Custozza. Radetzki était perdu si le mouvement réussissait; mais les Piémontais étaient arrivés presque sans vivres aux hauteurs qu’ils avaient conquises, et le maréchal, pendant la nuit, repassa avec une partie de ses troupes le Mincio et donna à Vérone l’ordre d’envoyer de là une brigade sur le flanc droit des Piémontais. Il avait l’avantage d’avoir entre l’Adige et le Mincio toutes ses troupes sous la main, tandis que Charles-Albert sur la gauche du Mincio était presque séparé du général de Sonnaz établi à Volta sur la rive droite du Mincio.
Charles-Albert, le 25, voulait poursuivre réanmoins son avantage en enlevant aux Autrichiens Valeggio sur le Mincio, et il avait envoyé l’ordre à Sonnaz de l’attaquer de la rive droite, où il était à Volta, tandis qu’il l’attaquerait lui-même de Somma Campagna. C’était un jour d’étouffante chaleur; l’armée de Charles-Albert avait beaucoup fatigué et peu mangé. Le duc de Gênes et le général Alphonse de la Marmora pénétrèrent d’abord jusqu’à Valeggio. Mais Sonnaz n’avait point reçu l’ordre du roi; il n’agissait pas. Pendant ce temps, Radetzki, ayant réuni ses troupes, les jeta en nombre au-devant de Bava et du duc de Savoie qui descendaient de Somma Campagna. Bava ne tarda pas à s’apercevoir qu’au lieu d’attaquer l’ennemi, il allait être obligé de se défendre; il reprit ses positions après avoir déjà fatigué ses troupes. Les Autrichiens, en gravissant la montagne si disputée de Somma Campagna, perdirent quelques hommes par la chaleur; Radetzki se montra au milieu de ses régiments et parla de donner l’exemple à la tête de ses grenadiers. Bava et les deux princes, attaqués en tête et en flanc, résistèrent jusqu’au soir; mais ils furent enfin obligés d’abandonner la position même avec son village de Custozza, et de se rejeter en désordre, avec d’assez grosses pertes, à Villa Franca: c’était une défaite.
Le soir, à minuit, pendant que les Autrichiens reposaient sur le champ de bataille, Charles-Albert commença sa retraite sur la rive droite et se réunit à Goïto avec Bava, auquel il ordonna de se maintenir à Volta. Il voulait s’établir encore entre le Mincio et l’Oglio. Mais Radetzki, sans perdre de temps, fit passer le Mincio sur deux points à la fois et dirigea son centre sur Volta. Un combat affreux y eut lieu de nuit. On se disputa les maisons; on combattit d’homme à homme. Les habitants s’en mêlèrent. Les Autrichiens, restés maîtres de la place, massacrèrent tout ce qui leur tomba sous la main. C’est en ce moment que des députés siciliens venaient offrir au fils du roi une couronne. Le duc de Gênes refusa avec une juste tristesse. Radetzki ne voulut laisser à l’ennemi ni le temps de s’établir ni celui de recevoir des secours. Le duc de Savoie et le duc de Gênes, par de brillantes charges de cavalerie, dans lesquelles les Piémontais ne se montrèrent pas inférieurs aux Autrichiens, s’efforcèrent de couvrir la retraite du gros de l’armée, dont plus d’un régiment était à la débandade. Charles-Albert ne put s’arrêter ni sur l’Oglio, ni à Crémone ni sur l’Adda, pendant quatre jours de retraite et de poursuite précipitées, au milieu desquels, un peu tard, le roi envoya au gouvernement de la République française Ricci, et seulement encore pour connaître les conditions d’une intervention et stipuler pour lui la conservation du Milanais.
Le général Cavaignac, chef du pouvoir exécutif, après avoir vu repousser de précédentes offres d’intervention par Charles-Albert, demi-vainqueur, pouvait-il accepter des conditions de celui-ci vaincu? L’ambassadeur piémontais, Brignolle, nous dit Montanelli, dans ses mémoires, craignait plus qu’il ne désirait une intervention. Le général Cavaignac répondit, d’accord avec Palmerston, par un projet de médiation qui devait donner la Lombardie an Piémont . Mais déjà les Autrichiens prenaient position à Lodi, à Monza, à Pavie même; Charles-Albert rentra à Milan, le 3 août, avec une armée moitié découragée et débandée de trente mille hommes, et il y trouva un comité de guerre composé de républicains, rétabli et presque menaçant.
Lombards et Piémontais, au moment suprême, ne surent pas s’entendre. Le comité dé guerre envoyait des émissaires soulever Brescia, Bergame et la Vénétie, faisait un emprunt forcé, et barricadait les portes de Milan et les faubourgs. Mais il avait très-peu d’approvisionnements, pas beaucoup de garde civique organisée . Charles-Albert avait son parc d’artillerie au delà du Pô, et une partie seulement de ses troupes avec lui; le 4 août, son arrière-garde en retraite était attaquée presque aux portes de Milan. Les femmes et les enfants de la ville se précipitaient déjà aux murailles. Mais les provisions de guerre manquaient encore plus que les provisions de bouche. Charles-Albert ne pensa devoir risquer ni une ville de cent quatre-vingt mille âmes, ni sa dernière armée, dans cette dernière chance. Il entra en pourparlers. Radetzki accorda vingt-quatre heures pour la reddition de la ville, avec liberté de sortie pour les habitants. On délibéra. Les Piémontais et les Milanais s’accusaient mutuellement; ils faillirent en venir aux mains. Le peuple assiégea un instant Charles-Albert dans le palais Greppi aux cris de: «Mort au traître!» Bava, avec quelques régiments piémontais, le tira de ce danger, non sans peine.
Dans cette situation, Charles-Albert signa une capitulation le 6 au soir et partit dans la nuit de Milan; les troupes piémontaises évacuèrent la ville le lendemain (7), suivies d’une foule considérable de citoyens, do femmes et d’enfants, qui fuyaient les vengeances de l’Autriche; Radetzki y entra à la tête de ses troupes victorieuses au milieu d’un morne silence. Charles-Albert dut signer un armistice aux termes duquel il cédait les forteresses de Peschiera, de Rocca d’Anfo, avec le matériel de défense, et promettait de retirer de la Vénétie, de Modène et de Parme ses forces de terre et de mer. «La bannière impériale, put dire Radetzki (10 août), flotte de nouveau sur les murs de Milan; il n’y a plus un ennemi sur le sol lombard.» L’état de siège était déclaré dans toute l’étendue du territoire recouvré par l’Autriche. Parmi les bandes de volontaires qui étaient encore dans les Alpes à continuer la petite guerre, une seule, de deux mille hommes, résista bravement, mais inutilement, près du lac Majeur à Muzzarone. C’étaient les volontaires commandés par Joseph Garibaldi, qui commença ainsi sa réputation.
IV
Le Ministère et l’Assassinat de Rossi. La fuite du pape. La République à Venise, à Rome et à Florence. (Août 1843, Mars 1849) .
La victoire de Radetzki à Custozza avait naturellement modifié les propositions de médiation faites à l’Autriche par lord Palmerston et Cavaignac, par l’Angleterre et la France. En stipulant encore pour le Piémont la possession de la Lombardie, elles imposaient à celle-ci une part de la dette de l’Autriche, et ne demandaient pour la Vénétie qu’un gouvernement séparé sous la souveraineté autrichienne (22 août). Il y avait loin de ces conditions à ce que les Italiens, dans un moment de fortune, avaient espéré. Les deux puissances s’efforçaient cependant d’amener Charles-Albert, et surtout l’Autriche, à y adhérer, et d’empêcher Vienne de continuer ses succès en commençant le blocus de Venise, encore indépendante au nord. Mais l’Autriche, tout en traînant les négociations en longueur pour gagner du temps, n’avait plus l’intention de rien céder. «L’Autriche, » écrivait lord Cowley à Palmerston (15 septembre), «n’est pas disposée à accepter la médiation, parce que celle-ci a pour base l’indépendance de la Lombardie. Elle n’a aucune envie, en renonçant à ses droits sur cette province, de donner l’exemple du démembrement de la monarchie.» Et, dans sa réponse à une note pressante du gouvernement français, le ministre autrichien de Wessemberg acceptait la médiation sans les bases posées, ce qui revenait à ne rien accepter.
Mais ce qui frappait peut-être encore plus la médiation d’impuissance, c’est