La guerre et la paix - Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens. Pierre-Joseph Proudhon

La guerre et la paix - Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens - Pierre-Joseph Proudhon


Скачать книгу
côté que se porte la victoire: c’est ce que l’on appelle droit des gens volontaire. Pour que la guerre fût tout à fait morale et légitime, il faudrait qu’elle eût lieu en vertu d’un jugement émané d’une autorité supérieure, devant laquelle seraient portés les litiges internationaux, avec pouvoir de les juger et de donner exécution à ses arrêts. Mais c’est ce qui ne saurait avoir lieu, et c’est pourquoi, disent les auteurs, le droit des gens, comme le droit de la guerre, se réduit à une. fiction.

      En deux mots, la théorie des publicistes modernes, fondée sur une analogie, aboutit à l’hypothèse d’une monarchie, république ou confédération universelle, précisément ce contre quoi les nations protestent avec le plus d’énergie, et dont la seule prétention a causé dans tous les temps les guerres les plus terribles. Hors de cette omniarchie, le droit des gens, selon eux, reste un desideratum de la science, un vain mot. Les nations, les unes à l’égard des autres, sont à l’état de nature.

      «S’il est vrai que les souverains et les États, en

       «leur qualité de personnes morales, soient justiciables

       «de la même loi qui sert à déterminer les rapports

       «des individus, chacun d’eux a sa sphère d’activité

       «qui est limitée par celle des autres; là où la

       «liberté de l’un finit, celle de l’autre commence, et

       «leurs propriétés respectives sont également sacrées;

       «il n’y a pas deux règles de justice différentes, l’une

       «pour les particuliers, l’autre pour les États... Ce

       «droit existe, mais il manque d’une contrainte extérieure;

       «il n’y a point de pouvoir coactif qui puisse

       «forcer les différents États à ne pas dévier, dans leurs

       «relations, de la ligne du juste... Les souverains

       «sont encore dans l’état de nature, puisqu’ils n’ont pas

       «pas encore créé cette garantie commune de leur

       «existence et de leurs droits, et que chacun d’eux

       «est seul juge et seul défenseur de ce qui lui appartient

      «exclusivement, et que les autres doivent respecter.»

      J’ai cité précédemment M. Oudot, concluant de cet état de nature des souverains, dénoncé par Ancillon, et de cette absence de sanction du droit des gens, à une centralisation de toutes les puissances de la terre. Je renvoie le lecteur à cette citation, t. 1er, p. 168.

      Mais une semblable exagération du principe d’autorité serait la plus impraticable des utopies, et il est surprenant qu’elle n’ait pas suffi pour avertir les honorables légistes qu’ils faisaient fausse route. L’idée d’une souveraineté universelle, rêvée au moyen âge et formulée dans le pacte de Charlemagne, est la négation de l’indépendance et de l’autonomie des États, la négation de toute liberté humaine, chose à laquelle États et nations seront éternellement d’accord de se refuser. De plus, ce serait l’immobilisme de l’humanité, absolument comme le despotisme dans un État, ou le communisme dans une tribu, est l’immobilisation de cet État et de cette tribu. La civilisation ne marche que par l’influence que les groupes politiques exercent les uns sur les autres, dans la plénitude de leur souveraineté et de leur indépendance; établissez sur eux tous une puissance supérieure, qui les juge et qui les contraigne, le grand organisme s’arrête; il n’y a plus ni vie ni idée.

      Non, il n’est pas possible que le droit des gens soit dépourvu de sanction, comme le disent ses prétendus inventeurs les modernes jurisconsultes. Le droit des gens a pour sanction naturelle, légitime, efficace, la guerre, faite selon les règles qui se déduisent logiquement du droit de la force. — Non, il n’est pas vrai que la guerre, ou l’emploi de la force comme instrument de justice entre les nations, doive être assimilée, ainsi que le font les mêmes jurisconsultes, aux moyens de contrainte usités dans la procédure civile et criminelle, et que par conséquent elle requière, pour sa propre légitimation, l’exequatur d’une autre souveraineté. C’est méconnaître la nature et l’objet de la guerre que de la ramener à de pareils termes; c’est ne rien comprendre à la marche de l’esprit humain, aux lois de la civilisation et de l’histoire. La guerre, ainsi que nous l’avons démontré par la théorie du droit de la force et de son application, est précisément le cas, et c’est l’unique, dans lequel le droit se démontre par l’exhibition de la force. La guerre est, pour cette raison même, de tous les tribunaux le moins sujet à errer et le plus prompt à revenir de ses erreurs; et c’est ce qui fait que, comme le droit des gens domine toute espèce de droit, la guerre, qui l’affirme et le garantit, est la plus puissante de toutes les sanctions.

      De cette erreur des publicistes sur la nature de la guerre et la sanction du droit des gens, dérivent toutes les absurdités qui pullulent dans leurs écrits, et par suite toutes les calamités et les crimes que la guerre traîne à sa suite; c’est ce dont sera convaincu tout homme de bon sens qui voudra se rendre compte de la pensée qui dirige les armées et leurs opérations.

      Les questions suivantes, prises au hasard dans les livres des docteurs, compléteront notre critique.

      2. Déclarations de guerre. — La justice, selon Vattel, exige que la guerre soit déclarée avant que les hostilités commencent. — Pourquoi cela? demande Pinheïro-Ferreira, si la guerre n’est que la revendication par la force de ce qui est dû ; si, d’autre part, les moyens de contrainte doivent avoir pour but de détruire ou de paralyser les forces de l’ennemi? Il suffit que la nation lésée ait notifié sa réclamation: le refus exprimé, elle est libre d’agir. Avertir l’ennemi, par une déclaration de guerre, qu’il ait à se tenir sur ses gardes, est absurde.

      Il n’y a rien à répondre à cette observation de Pinheïro, et Vattel lui-même, après avoir posé le principe de la déclaration de guerre, le retire en ces termes:

      «Le droit des gens n’impose point l’obligation de

       «déclarer la guerre pour laisser à l’ennemi le temps

       «de se préparer à une juste défensive. Il est donc

       «permis de faire sa déclaration seulement lorsqu’on

       «est arrivé sur la frontière avec une armée, et même

       «après que l’on est entré sur les terres de

      «l’ennemi...»

      C’est le guet-apens que Vattel autorise, en vertu de sa fiction du droit des gens volontaire. Aussi qu’arrive-t-il? Autrefois, les peuples s’envoyaient des hérauts chargés de faire longtemps d’avance ces déclarations; du temps de Vattel, on se bornait à les afficher dans les capitales; maintenant on renvoie les ambassadeurs, la veille et quelquefois le lendemain du jour où les hostilités commencent. Et il n’y a rien à redire, si la guerre est telle que les jurisconsultes modernes la définissent.

      C’est autre chose si la guerre est, comme nous le soutenons, la revendication légale du droit de la force, si de plus, comme nous venons de l’établir, elle est la sanction du droit des gens. Alors il est de toute évidence qu’elle doit procéder exactement comme si elle était ordonnée par une autorité supérieure, c’est-à-dire être déclarée à l’avance, et cela précisément afin que la nation attaquée se mette en défense: sans quoi la victoire de l’agresseur serait de mauvais aloi; il y aurait surprise, non pas démonstration de la force. Ainsi le veut le sentiment commun des nations, et jusqu’à ces derniers temps leur pratique y a été conforme.

      3. Jusqu’où il est permis de pousser la résistance. — Vattel avoue que la résistance devient punissable quand elle est manifestement inutile. «Alors, dit-il, c’est opiniâtreté,

       «non valeur.»

      Mais,


Скачать книгу