La Flandre pendant des trois derniers siècles. Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove

La Flandre pendant des trois derniers siècles - Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove


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troubles religieux.

      En ce moment, d'importantes négociations étaient entamées entre les deux monarques. Elles étaient relatives à l'abandon définitif de leurs prétentions mutuelles qu'ils eussent abdiquées au profit du duc d'Orléans, second fils du roi de France, appelé à épouser une fille de Charles-Quint.

      L'historien espagnol Sandoval fait adresser ce discours par Charles-Quint au connétable de Montmorency:

      «De deux filles que j'ai, je veux donner l'aînée au duc d'Orléans et lui donner, avec elle, les États de Flandre avec le titre et le nom de roi, si bien que le roi François aura de cette sorte deux fils, tous deux rois, si voisins et si limitrophes, qu'ils pourront se voir tous les jours et communiquer ensemble, comme vrais et bons frères. Et comme nous sommes tous mortels, il pourrait arriver, ce que Dieu ne veuille pas permettre, que le dauphin, son fils aîné, vînt à mourir, et qu'aussi le prince don Philippe, mon fils, vînt à manquer, et alors le duc d'Orléans et ma fille deviendraient les plus grands seigneurs du monde, car ils seraient rois d'Espagne, de France et de Flandre et de tous mes autres royaumes et seigneuries, de manière qu'on peut dire que je donne pour dot un royaume considérable, qui est celui de Flandre, et une espérance très-grande et assez bien fondée de parvenir à d'autres royaumes encore plus puissants.»

      Martie du Bellay accuse injustement Charles-Quint d'avoir manqué à sa promesse. Le connétable de Montmorency engagea, plus que personne, François Ier à ne pas l'accepter: «Comme sage et bien advisé, il remonstra au roy, dit Brantôme, que deux frères si grands, si puissants et si près les uns des autres et fort chatouilleux, se pourroient un jour entrer en picque, se faire la guerre et se deffaire les uns les autres, et qu'il ne falloit pas les approcher de si près, mais les reculer au loin vers Milan, qui ne seroient si voisins et hors de toutes commodités à ne se rien demander.»

      L'ambition de la France devait, pendant trois siècles, s'égarer au delà des Alpes. Il semblait que l'honneur de ses armes s'opposât à ce qu'on laissât reposer à l'ombre des bannières étrangères tous ces héros morts aux journées de Pavie, de Novarre, de Ravenne et de Cérisoles.

      Le 1er janvier 1539 (v. st.), Charles-Quint entra à Paris par la porte Saint-Antoine où l'on avait écrit ces deux vers:

      Ouvre, Paris, ouvre tes haultes portes:

      Entrer y veult le plus grant des crestiens.

      On voyait ailleurs les armes impériales et royales «liées ensemble par cordons et nœuds d'amour.» Les échevins de Paris offrirent à Charles-Quint un Hercule d'argent doré, allusion ingénieuse à sa devise. Hercule avait écrit sur les rivages de la Lusitanie, au pied de l'immobile colonne de Gades: Nec plus ultra. Charles-Quint, roi de cette même contrée baignée par des mers dont ses vaisseaux avaient dévoilé les trésors et les mystères, avait le droit de répéter: Plus oultre. Enfin, le 7 janvier l'Empereur quitta Paris, et quatorze jours après, il s'arrêta à Valenciennes, où l'attendait la reine de Hongrie.

      L'on persistait à Gand à croire Charles-Quint retenu en Espagne par ses guerres contre les Turcs et les corsaires des États barbaresques, lorsqu'on y apprit tout à coup, avec une stupeur profonde, qu'il était arrivé aux frontières des Pays-Bas, après avoir confirmé l'alliance qui l'unissait au roi de France. La crainte de sa colère que les bourgeois et les gens des métiers avaient successivement bravée, les uns en favorisant le commencement de la rébellion, les autres en la poussant aux dernières limites, se présentait à tous les esprits, et il semblait qu'en se révélant si inopinément elle parût plus redoutable. Une députation, composée de Josse Uutenhove, de Charles de Gruutere, de Nicolas Triest, de Louis Bette et de quelques délégués des métiers, s'était dirigée vers Valenciennes; mais on leur enjoignit de ne pas aller plus loin que Saint-Amand, afin d'y attendre les ordres de l'Empereur. «Le temps commenchoit à venir que on ne les voulloit plus complaire: de quoy ils furent mal contents et murmuroient entre eulx que on leur devoit incontinent donner bonne audience, pour ce qu'ils estoient les seigneurs et députés de ceulx de Gand, et cuydoient que l'Empereur se contenteroit bien d'eulx et de leurs excuses, et leur sembloit que le comte de Flandres ne pouvoit riens lever oudit pays sans leur consentement.» Il était aisé de comprendre pourquoi Saint-Amand avait été assigné comme résidence momentanée aux députés gantois. «La cause pour qu'il fut défendu aux Ganthois de non venir jusques en ladicte ville de Valenchiennes, c'estoit pour ce que les princes et seigneurs de Franche estoient encoires en ladicte ville et qu'il n'estoit besoing que les estrangiers sceussent au vray les affaires d'iceulx de Gand, combien qu'ils en sçavoient assez, car on n'avoit parlé plus de demy auparavant par tout le pays d'autre chose que d'eulx.»

      Le 25 janvier, les députés de Gand sont appelés à Valenciennes et reçus par l'Empereur, «lequel, après les avoir quelque peu oys, leur imposa silence à leurs excuses et propositions longues et bien prolixes, et leur dist, pour toute résolution, que à ces fins il estoit venu en ses pays de pardechà en bonne diligence et au grand travail et dangier de sa personne par temps d'yver, pour mettre et donner bon ordre et pollice ès affaires de sa ville de Gand et y venir faire les pugnitions et corrections des mésus commis: ce qu'il feroit de telle sorte qu'il en seroit mémoire et que autres ses villes, pays et subgects y prendroient exemple de non faire le semblable. Et autre response ne sceurent avoir lesdits députés de Gand.»

      Déjà les bandes d'hommes d'armes du duc d'Arschoot, du prince d'Orange, des comtes d'Hoogstraeten et du Rœulx s'assemblaient à Halle, à Malines, à Enghien, et le 14 février 1539 (v. st.), Charles-Quint se présenta, à la tête de cette armée réunie à la hâte, aux portes de Gand, qui étaient restées ouvertes, «et dura icelle entrée plus de six heures sans le carroy et bagaiges, qui dura tout le jour. Il y avoit à icelle entrée huit cens hommes d'armes desdites ordonnances, qui sont pour le moings, y comprins les archiers, de trois à quatre mil chevaux, et estoient tous en armes, la lanche au poing, les picquenaires ayans la picque sur l'espaulle, les hallebardiers ayans aussi leurs hallebardes, et les hacquebuttiers ayans chascun en sa main la hacquebutte, laquelle gendarmerie estoit toute preste et appareilliée d'entrer en combat. Et en telle compaignie, puissance et estat entra en ville de Gand, de quoy les habitants d'icelle furent bien fort esbahis et estonnés.»

      Paul Jove raconte que lorsque Charles-Quint arriva aux portes de Gand, on eût cru, à voir les impressions qui se produisaient sur son visage, que la cité qui le recevait, n'était pas celle qui lui avait donné le jour et qui avait nourri sa jeunesse, mais une cité ennemie et détestée. Il ajoute que les Gantois se repentirent bientôt de ne pas avoir fermé leurs portes et de ne pas avoir pris les armes pour se défendre, car il eût été impossible de les soumettre ou de les réduire par la force, puisque leur ville est si vaste qu'elle peut armer aisément, par un mouvement inopiné, plus de quarante mille hommes.

      Toutes les places et toutes les rues de Gand étaient occupées «par bandes et compaignies de gendarmerie qui faisoient grand guet, tant de jour comme de nuit,» et ce fut sous ces formidables auspices que l'on procéda lentement à une enquête sur les causes et les progrès des troubles qui avaient eu lieu. Après une longue attente, tantôt assombrie par les inquiétudes, tantôt éclairée de quelques lueurs d'espérances, tous les échevins furent mandés par l'Empereur «en l'une des plus grandes chambres de sa court, laquelle estoit toute ample ouverte,» et là, maître Baudouin Le Cocq, procureur général au grand conseil de Malines, prononça un réquisitoire aussi long dans ses prémisses que terrible dans ses conclusions. Il commença par combattre les efforts qu'avaient faits les Gantois pour se justifier par les principes du droit communal, et prétendit que le privilége du comte Gui de Dampierre concernait les impôts qui atteindraient spécialement et uniquement les habitants de Gand, que celui de Louis de Nevers ne s'appliquait qu'à ceux qui auraient été illégalement établis, que la charte de Marie de Bourgogne qu'ils invoquaient, n'avait aucune autorité, puisqu'elle avait été obtenue par violence et même formellement révoquée en 1485 et en 1515. Il représenta que si, au grand regret de l'Empereur, les impôts avaient été si élevés, les Gantois n'y avaient toutefois jamais contribué que selon leur quote-part déterminée depuis longtemps. Puis abordant un autre ordre d'idées, il raconta les outrages par lesquels les Gantois avaient répondu aux propositions réitérées


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