La Flandre pendant des trois derniers siècles. Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove

La Flandre pendant des trois derniers siècles - Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove


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la guerre, un pauvre gentilhomme espagnol, nommé Ignace de Loyola, qui avait, à l'âge de trente-sept ans, entrepris un cours complet d'études sérieuses à l'université de Paris, arriva à Bruges pour y réclamer humblement des marchands de sa nation quelques aumônes qui lui permissent de poursuivre des travaux commencés avec un si grand zèle après une jeunesse consacrée tout entière aux armes. Gonzale Aguillerez lui donna l'hospitalité et le reçut en ami. Louis Vivès, l'illustre ami d'Érasme et de Thomas Morus, aussi savant que le premier, aussi courageux que le second dans sa résistance à Henri VIII, accueillit également Ignace de Loyola comme un concitoyen animé d'une ardeur toute semblable à la sienne pour la méditation des doctes traités écrits par les Pères de l'Eglise, et, selon une tradition qui remonte jusqu'à Ignace de Loyola lui-même, Louis Vivès dit un jour, en parlant de sa piété, qu'il ne doutait point qu'il ne fût appelé à fonder une société religieuse. Louis Vivès ne se trompait point, et lorsque Ignace de Loyola eut fait approuver par le pape Paul III les règles de l'institut de la Compagnie de Jésus, la Flandre eut la plus grande part à son développement par l'appui qu'elle s'empressa de lui offrir. «La Belgique, dit un ancien historien des jésuites, bien qu'elle ne forme pas une grande partie du monde, n'est toutefois pas une de celles où la Société de Jésus se développa avec le moins de succès. La Belgique, célèbre à la fois par la guerre et par les arts de la paix, n'étend pas seulement son influence sur ses habitants, mais sur tous les peuples de l'Europe. Ce pays, vrai champ de Mars, fut une arène ouverte à notre courage. Ce fut là que l'ordre se fit connaître et qu'il se fortifia; ce fut là qu'il combattit noblement et qu'il répandit son sang.»

      Ainsi s'élevait, au sein de la société politique du seizième siècle, si vacillante et si agitée, une nouvelle société religieuse fondée par un pauvre gentilhomme qui n'était, dit Bourdaloue, qu'un inconnu et qu'un mendiant, mais qui était appelé «à s'opposer à Luther, comme jadis saint Augustin naissait en Afrique au même moment que Pélage en Angleterre, et qui, malgré la sagesse des politiques, la passion des intéressés, le zèle des uns et la malice des autres, ne s'était proposé que de préparer à toutes les églises du monde des missionnaires fervents, des prédicateurs évangéliques des hommes dévoués à la croix et à la mort, des troupes entières de martyrs dont il a été le père.»

      La Flandre, restée silencieuse au milieu de ce bruit d'armes qui remplissait toutes les régions de l'Europe, méritait d'être l'asile de l'inspiration religieuse et des études graves et profondes. Il semblait que la fortune, en éloignant d'elle l'éclat des grandeurs humaines, ne lui en eût laissé que le deuil.

      (1526). Isabelle, sœur de Charles-Quint, malheureuse épouse de Christiern II, roi de Danemark, meurt à Zwinaerde. Les anciens comtes de Flandre s'arrêtaient à Zwinaerde avant de prendre possession de l'autorité héréditaire: Isabelle n'y attendait que les consolations de Dieu pour la séparer de ses peines et de ses malheurs.

      Quatre ans plus tard, Marguerite d'Autriche termine ses jours à Malines, après avoir songé à se retirer aux Annonciades de Bruges, comme l'atteste une lettre touchante adressée à la supérieure de ce monastère: «Ma mère, ma mie, j'ai donné charge à ce porteur d'aller vous dire de mes nouvelles et ma bonne disposition depuis aucuns jours... Je suis délibérée faire une bonne fin dans vostre couvent à l'aide de Dieu et de nostre bonne maîtresse sa glorieuse Mère. Je vous prie, ma bonne mère, de faire prier toutes mes bonnes filles à l'intention que je vous ay toujours dit, car le temps approche, puisque l'empereur vient, à qui, à l'aide de Dieu, renderay bon compte de la charge et gouvernement que luy a pleu me donner, et ce fait je me renderay à la volonté de Dieu et de nostre bonne maîtresse, et demourray toujours vostre bonne fille.

      Marguerite.»

      Marguerite ne vint pas prier au pied des autels de Bruges, où s'était agenouillée Marie de Bourgogne, mais elle ordonna en mourant que son cœur fût porté dans le tombeau qui renfermait les restes de sa mère.

      Les ravages des épidémies rendaient communs à toutes les classes de la société les mêmes sentiments de douleur. La suette, que quelques-uns nommaient la peste d'Angleterre, s'était introduite de Hollande à Anvers, où elle frappa en quatre jours cinq cents des plus riches marchands. De là, elle pénétra d'abord à Gand et ensuite à Bruges, où l'on vit à la fois les magistrats fermer les tribunaux et les chanoines cesser de paraître dans le chœur de la cathédrale de Saint-Donat. La durée de la suette était le plus souvent de vingt-quatre heures, et de ceux qui en étaient atteints, il n'en était presque point qu'elle épargnât.

      La vengeance de Dieu semblait moissonner tout ce qu'épargnaient les discordes des hommes. La peste suivait la guerre: un fléau appelait un autre fléau pour l'expier et le punir:

      Sublimes reges, magni duo lumina mundi,

      Cernite quam vobis subdita regna dolent;

      Cernite quos motus et quas res publica clades

      Marte sub assiduo sollicitata ferat;

      Nusquam tuta salus, late omnia et omnia longe

      Bellica tempestas, mortis et horror habet:

      Adde quod in populo magnam factura ruinam

      Pestis atrox bello gliscit et atra lues.

      En même temps l'industrie languit, et le travail des métiers se ralentit chaque jour. Les marchands étrangers, qui envoyaient dans toutes les parties du monde les étoffes fabriquées en Flandre, ont quitté en grand nombre la ville de Bruges depuis que l'ensablement du Zwyn ne permet plus que la navigation difficile et lente de quelques alléges. Les troubles de la Flandre de 1452 avaient engagé quelques marchands à se fixer à Anvers. Ceux qui éclatèrent à la mort de Charles le Hardi, donnèrent lieu à de nouvelles émigrations, et l'on publia même, le 25 mai 1477, un avis qui portait que tous ceux qui s'étaient retirés à Anvers, seraient tenus de rentrer à Bruges dans le délai de trois jours, sous peine d'une amende de six cents livres parisis. Les discordes civiles, que vit se multiplier la mainbournie de Maximilien, furent encore plus funestes à Bruges. Au mois d'août 1493, les marchands espagnols qui s'étaient réfugiés à Anvers, refusèrent de retourner dans leur ancienne résidence. Adrien Drabbe, s'étant rendu en Espagne pour porter les plaintes des magistrats de Bruges au roi Ferdinand d'Arragon, ne reçut qu'une réponse assez vague. Les Brugeois furent plus heureux près du conseil de Malines, car ils obtinrent au mois de septembre 1494 un arrêt fondé sur leurs priviléges, qui condamnait les marchands espagnols à ne point choisir d'autre résidence dans les Pays-Bas. Les marchands espagnols revinrent; ils ne cessèrent point toutefois de murmurer de ce que chaque jour l'ensablement du Zwyn et cent autres causes rendaient leur séjour à Bruges de plus en plus défavorable aux intérêts de leur commerce.

      Les relations de Bruges avec les marchands anglais n'étaient pas mieux établies. Bien qu'elles fussent réglées par le traité du 24 février 1496, elles étaient presque complètement interrompues lorsque Pierre Anchemant fut envoyé à Londres peu avant les fêtes de Pâques 1506, pour engager les marchands anglais à rentrer à Bruges, comme les marchands espagnols leur en avaient donné l'exemple. Pierre Anchemant les assurait qu'on avait, par d'utiles travaux, amélioré le havre du Zwyn et que la paix profonde qui régnait en Flandre avait à jamais éteint les vieilles rivalités de Bruges, de Gand et d'Ypres, toujours si funestes au commerce. Les marchands anglais protestaient que c'était à tort qu'on leur attribuait le projet de se fixer à Anvers; mais Pierre Anchemant ajoutait si peu de foi à ces assurances qu'il s'adressa à Henri VII, au château de Greenwich. «Je lui parlay, raconte-t-il lui-même, du fait de la ville en lui remonstrant l'amour singulière que le roy nostre seigneur son bon fils a au bien et ressource d'icelle tant pour ce qu'il en est natif comme pour la beauté, bonté, honnesteté et loyaulté de vous, messeigneurs, et des habitants, et aussi pour les grans biens et services que ses prédécesseurs en ont eu.»

      Henri VII parut fort touché des souvenirs de la généreuse hospitalité que les Brugeois avaient accordée à Édouard IV, et sa réponse, conçue dans des termes très-conciliants, remplit Pierre Anchemant d'enthousiasme pour le monarque qui l'avait si bien reçu, et d'espérances pour ceux dont il était le mandataire. Malheureusement, Henri


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