La Flandre pendant des trois derniers siècles. Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove

La Flandre pendant des trois derniers siècles - Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove


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et la vie.» Mais François Ier, si noble dans son langage quand il s'adresse à la France qui partage sa douleur, ne retrouve plus ces sentiments de fierté en présence de ses ennemis triomphants. Il est difficile de croire que c'est la même main qui écrit d'Italie à Charles-Quint: «Si plustot liberté par mon cousin le vice-roy m'eût été donnée, je n'eusse si longuement tardé devers vous faire mon devoir, comme le temps et le lieu où je suis, le méritent et n'ayant autre confort en mon infortune que l'extant de votre bonté, vous supliant juger en votre cœur ce qu'il vous plaira faire de moy, étant seur que la voulenté d'un tel prince que vous êtes, ne peult estre accompaignée que de houneur et magnanimité. Par quoy, si vous plaise avoir ceste honneste pityé de moy et envoyer la seurté que mérite la prison d'un roy de France, lequel l'on veult rendre amy et non désespéré, pouvez estre seur de faire ung acquest en lieu d'un prisonnier inutile et rendre ung roy à jamais votre esclave». Conduit en Espagne, François Ier oublie les désastres de la guerre pour danser à Valence, de même que plus tard il oubliera les calamités d'une paix humiliante pour danser à Bordeaux. Rien ne révèle chez lui la dignité du malheur, cette vertu de l'homme qui parfois l'honore plus que le succès.

      Cependant la France, subissant une nouvelle honte, a réclamé humblement l'appui de l'Angleterre qui, tant de fois, profita de ses désastres. Un traité, signé le 30 août 1525, sépare Henri VIII de Charles-Quint et assure son alliance à François Ier captif.

      Le sire de Praet, grand bailli de Bruges, et le sire de Beveren se trouvaient en ce moment en Angleterre; ils furent retenus prisonniers par l'ordre de Henri VIII.

      Traité de Madrid (14 janvier 1525, v. st.).

      Charles de Lannoy reconduisit François Ier jusqu'aux frontières d'Espagne et vit le prince, dont il avait reçu l'épée, s'élancer sur le sol où il allait retrouver la liberté et la puissance, en s'écriant à haute voix: «Je suis redevenu roi!»

      François Ier ne tarda pas à réunir les membres des états généraux:

      «Messieurs, leur dit-il, je vous ay mandés pour vous dire l'appoinctement que j'ay faict, estant détenu prisonnier ès mains de l'empereur, pour sortir desquelles il me convint obtempérer à tout ce qu'il a voulu; et entendez que si l'empereur m'eust demandé tout mon royaume, je luy eusse accordé pour me mettre en liberté, qui est le trésor des humains.»

      Le chancelier, dans sa réponse au nom des états, égala l'éloquence du roi de France à celle de Cicéron: il alla plus loin, et comme la mémorable parole que le roi Jean avait, dit-on, prononcée dans une circonstance presque semblable, se présentait à tous les esprits, il ne la rappela que pour la blâmer et allégua, contre la validité des engagements personnels pris par François Ier, l'absence de l'adhésion des trois états, représentants légitimes du royaume dont l'usufruit seul appartenait au roi.

      Qu'eût dû faire François Ier pour concilier ses doubles devoirs comme roi et comme chevalier? Rendre à l'épée de la France sa liberté en laissant sa propre épée enchaînée à Madrid par son serment.

      «Non-seulement un grand roi, mais un vrai chevalier, dit Fénélon dans une leçon destinée au duc de Bourgogne, aime mieux mourir que de donner une parole, à moins qu'il ne soit résolu de la tenir à quelque prix que ce puisse être. Rien n'est si honteux que de dire qu'on a manqué de courage pour souffrir et qu'on s'est délivré en promettant de mauvaise foi.»

      Il faut rappeler les principales clauses du traité de Madrid, en remarquant qu'il ne reproduisait que ce que Charles-Quint réclamait, en 1521, aux conférences de Calais. François Ier restituait la Bourgogne, dont Louis XI avait injustement dépouillé la duchesse Marie, et c'était surtout pour satisfaire les justes griefs des Flamands que cette clause avait été introduite dans le traité. «Bien est vray que lesdits Flamens, dit un auteur français contemporain, pensent bien avoir receu le temps propice pour faire la teste aux François et prendre vengeance des injures qu'ils disent leur avoir esté faictes par cy-devant par les roys très-chrestiens.»

      De plus, Arras, Tournay, Mortagne et Saint-Amand étaient réunis à la Flandre, et le roi de France renonçait à tout droit de rachat sur les châtellenies de Lille, de Douay et d'Orchies; mais ce qui était plus important et constituait en quelque sorte un vasselage vis-à-vis de l'autorité impériale qui tendait à constituer l'unité politique, c'était l'obligation imposée à François Ier de joindre ses vaisseaux à la flotte que Charles-Quint se proposait d'armer contre les infidèles.

      Le traité de Madrid ne fut jamais exécuté, et dès le 28 mars 1527 (v. st.), le roi de France fit remettre à l'Empereur des lettres de défi conçues dans les termes les plus violents. Le manifeste de Charles-Quint, qui les réfutait, fut imprimé à Anvers, et par une rare impartialité, la censure impériale permit d'y joindre les lettres mêmes du roi de France comme une nouvelle preuve de sa déloyauté. «Le roi de France, écrivait Charles-Quint, était, à juste titre, notre prisonnier. Nous l'avons accueilli toutefois avec tant de générosité, que l'on eût pu croire qu'il avait été non le vaincu, mais le vainqueur à Pavie. Il était notre ennemi, et nous lui avons donné notre sœur aînée, afin que désormais il fût notre frère. Loin de nous faire restituer tout ce qui avait été usurpé sur nos prédécesseurs les rois d'Espagne et les ducs de Bourgogne, nous nous sommes contenté de réclamer ce qui touchait au soin de notre dignité et aux griefs si anciens de nos sujets. Nous lui avons rendu le trône et la liberté, aimant mieux sacrifier quelque chose de nos droits que de compromettre le salut de la république chrétienne. En effet, il avait été convenu entre nous que nous réunirions nos efforts contre les infidèles, mais le roi de France s'est hâté d'oublier et nos bienfaits et les devoirs de la religion et le soin de défendre les peuples chrétiens: il nous poursuit de ses outrages. Quant à nous, nous ne lui opposerons que notre courage, maluimus ipsum virtute quam conviciis vincere

      Les circonstances étaient défavorables à Charles-Quint. Luther, Zwingli, [OE]colompade agitent l'Allemagne. L'Italie, qui ne sut jamais que flatter les ambitions envahissantes en rêvant des libérateurs, court aux armes. En Angleterre, Henri VIII se prépare à répudier la tante de Charles-Quint, afin d'épouser une jeune fille d'une famille presque inconnue, qui descendait, dit-on, d'un vassal des sires d'Avesnes. Anne Boleyn avait été attachée à Marguerite d'Autriche et avait peut-être brillé, en 1513, aux fêtes de Tournay avant que Marie d'Angleterre l'emmenât avec elle en France et lui offrît le funeste exemple d'une cour où régnait la légèreté des mœurs. Un regard d'Anne Boleyn a rendu impossible l'unité politique de l'Europe et a compromis l'unité religieuse: Alice de Salisbury n'avait du moins inspiré à Édouard III que des rêves de gloire.

      Charles-Quint éleva la voix en faveur d'une princesse issue de la maison royale d'Arragon. En 1528, ses énergiques réclamations semblent allumer une guerre à laquelle la Flandre cherchera à rester étrangère, en vertu de ses vieux principes de neutralité commerciale.

      Thomas Morus écrivait au cardinal Wolsey:

      «L'on a remis au roi une lettre de monsieur d'Ysselstein, à laquelle ne paraît point étranger l'avis de madame Marguerite et de son conseil. En effet, le porteur de cette lettre de créance exposa, de la part de monsieur d'Ysselstein, que madame Marguerite et tous ses conseillers étaient désolés de ce que la guerre était déclarée à l'Empereur, et que l'on pouvait craindre la colère de Notre-Seigneur contre les peuples chrétiens, si les plus grands princes renoncent si aisément à l'espoir de la paix pour se combattre. Il ajouta que lors même que la guerre aurait lieu entre l'Angleterre et l'Espagne, il serait juste que l'Angleterre considérât l'amitié qu'elle a toujours portée à la Flandre et aux Pays-Bas et qu'elle la conservât à un peuple que rien n'affligerait plus que d'avoir le roi d'Angleterre pour ennemi. Le roi a répondu qu'il n'avait pour but que de s'opposer aux prétentions immodérées de l'Empereur de dominer sur toutes les nations. Quant à ce qui touchait les Pays-Bas, il n'avait pas, disait-il, oublié l'antique amitié qui les unissait à l'Angleterre, comme il l'avait déjà montré par ses actes, et bien que la guerre eût été déclarée, il s'était abstenu, à leur égard, de tout acte hostile... Depuis, le roi m'a fait appeler et m'a chargé de


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