La Flandre pendant des trois derniers siècles. Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove

La Flandre pendant des trois derniers siècles - Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove


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d'assister à un siége fameux avait conduit sous les murs de Tournay, entendit le roi d'Angleterre ordonner à un canonnier de pointer saint Barthélemy sur l'église de Notre-Dame: le boulet emporta une partie du clocher.

      Quand les bourgeois de Tournay, abandonnés par Louis XII, se virent réduits à capituler, ils déléguèrent vers Maximilien des députés qui lui répétèrent: «Nous sommes Français.» Maximilien, irrité, les renvoya à Henri VIII, roi de France et d'Angleterre.

      Henri VIII donna l'évêché de Tournay à son ministre le cardinal Wolsey, plaça dans l'église de Notre-Dame une statue équestre de saint Georges et choisit pour sa résidence un hôtel qu'avait autrefois occupé Louis XI. Marguerite d'Autriche espérait qu'il disposerait de Tournay en faveur de son neveu, déjà fiancé à Marie d'Angleterre, de même qu'Édouard III avait voulu en disposer autrefois en faveur des communes flamandes, ses fidèles alliées. Elle y fit préparer des fêtes brillantes où se réunirent les plus célèbres beautés des Pays-Bas; le jeune prince de Castille se rendit lui-même à Tournay, mais il trouva un adversaire dans Talbot qui, dissuadant Henri VIII d'un acte contraire à ses intérêts politiques, le ramena à Calais après qu'il eut laissé à Tournay pour garnison un corps de troupes anglaises.

      Le prince de Castille était retourné en Flandre. «Charles d'Autriche, remarque Fléchier, faisait son séjour ordinaire à Gand, où il était né. On l'avait nourri dans les mœurs et dans les coutumes du pays.»

      Charles avait près de quatorze ans. Sa jeunesse annonçait déjà ce qu'un avenir prochain devait réaliser aux yeux de l'Europe étonnée.

      Il avait à peine six ans lorsque Vincent Quirini écrivait, dans un rapport au sénat de Venise: «L'aîné des fils du roi de Castille est doué d'un extérieur agréable et montre des dispositions extraordinaires; tout ce qu'il fait révèle son énergie et son courage. Le peuple veille avec tant de soin sur lui, qu'il n'est personne qui ne se fît mettre en pièces plutôt que de consentir à ce qu'il fût conduit hors du pays.»

      Philippe le Beau avait jadis chargé Guillaume de Croy, seigneur de Chièvres, du gouvernement des Pays-Bas. Maximilien, qui le lui avait peut-être fait obtenir, lui conserva plus tard une mission qui embrassait le soin de surveiller l'éducation du prince de Castille. Tel était le titre que l'on donnait alors au jeune prince que nous ne connaissons que sous le nom de Charles-Quint.

      Il ne paraît point, au reste, que Charles ait beaucoup écouté ses doctes précepteurs, dont le plus célèbre est Adrien Florissone, depuis pape sous le nom d'Adrien VI. Il se dérobait à leurs leçons pour suivre les fauconniers à la chasse ou pour aller agacer dans sa cage quelque fier lion de Numidie.

      Une femme prudente, instruite et éclairée, qui lui tint lieu de mère, exerça seule quelque empire sur lui: c'était Marguerite d'Autriche, investie, dès le mois de mai 1507, de l'autorité suprême dans les Pays-Bas.

      Marguerite d'Autriche aimait tendrement le prince de Castille. En 1510 elle disait dans une de ses lettres: «Mon nepveu croit journellement et s'adresse fort bien à toutes choses honnestes, et j'espère y prendre telle garde que j'y auray honneur.» En 1514, elle le montre consacrant déjà ses études aux soins du gouvernement et ajoute, à propos d'un accès de fièvre dont il se trouve atteint: «En la personne d'un tel prince ne peult avoir si petite maladie qui ne fasse bien à penser.»

      Le 15 février 1516, Charles écrit à la veuve de Gonzalve de Cordoue: «Madame, j'ai sceu la mort du fameux Gonzalve de Cordoue, l'un des plus grands capitaines du monde, que je désirois conserver tant pour son rare mérite que parce que je souhaitois de le connoître pour me servir de son expérience et de ses conseils...»

      L'affection de Marguerite ne lui suffisait plus. A défaut des récits de Gonzalve de Cordoue, il fut réduit à se faire lire le discours d'Érasme: de Institutione principis, où le célèbre docteur de Rotterdam, invoquant les sentiments généreux de la piété filiale, avait représenté, sous le nom de Philippe le Beau, un prince doué des vertus les plus éclatantes.

      (1514). Traité entre Louis XII et Henri VIII. Marie, sœur du roi d'Angleterre, appelée à confirmer cette paix en épousant Louis XII, ne devient reine de France que pour présider à ses funérailles. François Ier monte sur le trône le 1er janvier 1514 (v. st.).

      Au moment où le successeur de Louis XII fait son entrée solennelle à Paris, Charles, devenu majeur par un acte d'émancipation du même mois de janvier 1514 (v. st.), est reçu à Gand par les échevins, qui le conduisent à l'église de Saint-Jean. L'ancienne formule de serment lui est présentée; il la repousse et en fait lire une autre bien moins complète et bien moins étendue. Charles rompt ouvertement avec les temps du moyen-âge; il semble que son génie craigne d'être étouffé dans le cercle étroit que lui traçaient les vieux souvenirs des franchises communales. Cependant, les métiers, fidèles à leurs traditions, murmurent: l'agitation s'accroît, mais elle n'a d'autre résultat que l'acte du 11 avril 1515, où l'on exige des échevins, des doyens et des jurés le serment de respecter le traité de Cadzand imposé par Maximilien aux Gantois.

      Un an s'était à peine écoulé quand Charles recueillit l'héritage du roi d'Arragon, mort à Madrigalejo, le 23 janvier 1515 (v. st.). «Le prince Charles, écrivait Érasme à Jean Fisher, évêque de Rochester, vient, assure-t-on, d'être appelé à dix-sept royaumes. Admirable fortune dont ne profitera point, je l'espère, le prince seul, mais aussi tout notre pays.» Dans une autre lettre il ajoutait: «Charles possède entre autres qualités remarquables, qui le rendent digne de l'autorité, celle d'être profondément attaché à tout ce qui est juste et équitable;» et Wielant place à l'époque même où Charles venait de recevoir le titre de roi, cette belle parole adressée au grand conseil de Malines: «Je veux que vous ne distinguiez point entre les grands et les petits, et si l'on parvenait à m'arracher des lettres de nature à entraver l'action de la justice, j'entends que vous n'y obéissiez point.»

      François Ier avait vingt ans, Charles n'en avait pas seize. La rivalité de ces deux jeunes princes devait troubler toute l'Europe; leur double règne, qui s'ouvre simultanément, s'annonce toutefois sous des auspices pacifiques. Charles, guidé par le sire de Chièvres, charge Henri de Nassau de rendre en son nom hommage des comtés de Flandre et d'Artois au roi de France et de conclure avec lui une alliance dont l'une des conditions sera son mariage avec une fille de Louis XII. Guillaume de Croy semblait aussi favorable que ses ancêtres à la politique française: il représenta le roi de Castille aux conférences de Noyon.

      (1517). Voyage de Charles en Espagne. Soulèvement contre le sire de Chièvres, que les Espagnols haïssaient parce qu'il était étranger. Adrien Florissone, devenu évêque de Tortose, contribue à rétablir la paix. Charles retourne aux Pays-Bas en s'arrêtant à Douvres, afin de chercher à séparer le cardinal Wolsey du parti du roi de France, à qui l'Angleterre vient de restituer Tournay, Mortagne et Saint-Amand.

      Telle était la situation des choses lorsqu'on apprit la mort de Maximilien. Les rêves de sa folle vanité ne s'étaient jamais effacés de son intelligence affaiblie, et ne se contentant plus de la couronne d'empereur, il avait, dans les dernières années de sa vie, élevé son ambition jusqu'à la tiare de pontife. Que resta-t-il à Maximilien de toutes ses espérances évanouies, de toutes ses illusions dissipées? Un cercueil qu'il avait soin de prendre avec lui dans tous ses voyages, afin qu'à défaut des pompes de vie, il pût compter du moins sur celles de la mort.

      (Juin 1519). Election de Charles à l'Empire. Quatrième empereur de ce nom depuis Charlemagne, il prit et conserva le nom de Charles-Quint.

      La Flandre montra un grand enthousiasme. «Au premier bruit de l'élection de Charles-Quint, écrivait Érasme, tout le pays s'abandonna à la joie; puisse cette élection être heureuse pour le monde chrétien, puisse-t-elle surtout être heureuse pour nous!»

      Quelle est la situation de l'Europe au moment où Charles-Quint parvient à l'Empire?

      Le seizième siècle est une époque de crise profonde. En France, Louis XI n'a vu lui survivre que la haine de ses victimes; en Allemagne, la faiblesse de Maximilien a tout compromis;


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