La Flandre pendant des trois derniers siècles. Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove

La Flandre pendant des trois derniers siècles - Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove


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La défense faite aux Flamands d'acheter des draps en Angleterre empêchait les marchands anglais de s'approvisionner chez les fabricants, qui se virent eux-mêmes réduits à congédier leurs ouvriers.» On ne tarda pas à conclure une convention qui portait que les relations commerciales seraient maintenues, même en temps de guerre.

      Les démêlés relatifs aux projets de divorce de Henri VIII contribuèrent à faire conclure, entre Charles-Quint et François Ier, la paix des dames, signée à Cambray, le 5 août 1529, par Marguerite d'Autriche et Louise de Savoie. Si l'Empereur renonce à la Bourgogne et rend la liberté aux princes français prisonniers à Madrid, moyennant une rançon de deux millions d'écus d'or, il sépare François Ier de tous ses alliés, expulse les Français de l'Italie, cette terre pour laquelle les Bayard et les Gaston de Nemours ont répandu leur sang, et obtient une renonciation formelle à tout droit de suzeraineté sur la Flandre et sur l'Artois.

      Le roi de France déclarait de nouveau se désister de tout droit de rachat sur les châtellenies de Lille, de Douay et d'Orchies, qui se trouvaient réunies à jamais à la Flandre, ainsi que le Tournésis et les villes de Mortagne et de Saint-Amand.

      (24 février 1529, v. st.). Le pape Clément VII sacre Charles-Quint empereur à Bologne.

      En 1530, Charles-Quint, imitant l'exemple de Charlemagne, qui avait promulgué ses capitulaires ou livres carolins, publie la Caroline, encore suivie aujourd'hui dans plusieurs pays de l'Allemagne.

      En 1532, il chasse de Hongrie les armées de Soliman au moment même où dans le nouveau monde Pizarre s'empare du Pérou.

      Deux années (1533 à 1535) sont employées à la pacification de l'Italie et de l'Allemagne.

      (1535). Expédition de Charles-Quint en Afrique. Déjà il avait donné l'île de Malte aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem et envoyé la flotte de Doria relever l'étendard de la croix sur le rivage de la Grèce. Tandis que François Ier, indigne héritier du roi sanctifié par les croisades, s'allie à Soliman et humilie les fleurs de lis devant le Croissant, Charles-Quint, également issu de saint Louis et, de plus, arrière-petit-fils de Gui de Dampierre, se souvient seul de ses devoirs de prince chrétien. Guidé par la même pensée (la nécessité d'affranchir la Méditerranée des excursions des pirates), il assemble ses vaisseaux à Cagliari, ce vieux port des Pisans où saint Louis avait réuni sa flotte. Le 21 juillet 1270, le roi de France arborait sa bannière au pied des collines de Tunis; le 21 juillet 1535, l'empereur Charles d'Autriche entrait à Tunis et vengeait sa mort.

      Érasme, en apprenant ces victoires, appliquait à Charles-Quint ce vers d'un ancien poète:

      Secumque deos in prælia ducit.

      Lorsque Charles-Quint entra à Rome l'année suivante, une inscription, qui faisait allusion à ses triomphes en Afrique, fut placée sur un arc de triomphe. On y lisait: «César, tu es dans la ville des Scipions.»

      Cependant Charles-Quint, retenu loin de ses États héréditaires par des expéditions lointaines, avait été frappé des dangers auxquels se trouvaient sans cesse exposés les Pays-Bas, séparés du siége principal de sa puissance. Pour y pourvoir, il songeait à former un royaume de leurs fertiles provinces, désormais réunies par le lien d'une étroite confédération. Sa volonté et son génie, les conquêtes mêmes qu'il projetait, en eussent réglé les limites. «Il fut une fois en résolution, dit Brantôme, de se faire roy de toute la Gaule belgique, soubs laquelle l'on peut dire plus de trente-cinq grosses villes très-fameuses, superbes et très-magnifiques comme: Louvain, Bruxelles, Anvers, Tournay, Mons, Valenciennes, Bois-le-Duc, Gand, Bruges, Ypres, Malines, Cambray, Arras, Lille, Liége, Namur, Utrecht, Amiens, Boulogne, Saint-Quentin, Calais, Reims, Trèves, Metz, Nancy, Toul, Verdun, Strasbourg, Mayence, Aix, Cologne, Clèves, Juliers et force autres jusques à Rouen, dit l'histoire, et la pluspart de Paris, à sçavoir celle du costé de la Seine, toutes lesquelles places sont décorées de toutes dignités et titres impériaux, royaux, ducaux, marquisats, contés et baronies, archevêchés et de tous autres honneurs et degrés de prééminence. De plus, il y a plus de deux cents villes, lesquelles, pour leurs qualités et facultés, ont priviléges de villes murées, sans une infinité de beaux et grands villages qui paraissent villes, ayant clochiers, avec un peuple infini et incroyable. Ce n'est pas tout; car elle est embellie et enrichie de grosses rivières navigables, comme le Rhin, la Meuse, la Seine, l'Escaut; puis de très-grandes et belles forêts, comme les Ardennes, Charbonnière et autres.»—«L'encloueure fut, ajoute Brantôme, en ce qu'il eut de grandes guerres de tous costés et principalement contre ce grand roy françois, lequel n'eust jamais permis qu'il fust venu régenter son royaume aux portes de Paris. Quelque autre roy l'eust-il enduré?»

      La vaillante défense des habitants de Marseille, le dévouement de la noblesse de Picardie maintinrent, en 1536, l'intégrité du territoire français. La glorieuse tâche des chevaliers et des hommes d'armes était complète: elle rendra plus aisée celle qu'aborderont au seizième siècle, comme au quatorzième, les chevaliers ès lois.

      Le 15 janvier 1536 (v. st.), le roi de France se rend au parlement avec le roi d'Écosse, le dauphin, les cardinaux de Lorraine et de Bourbon, les ducs de Vendôme, d'Estouteville et de Guise, et un grand nombre de seigneurs et de prélats. Dès que les avocats ont été introduits, un huissier appelle la cause qui doit être plaidée, en ces mots: «Plaise au roi nostre souverain seigneur donner audience à son procureur général, demandeur en matière de commise et réversion de fief, contre Charles d'Autriche, détenteur des comtés de Flandre et d'Artois, et d'autres terres et seigneuries, défendeur en ladite matière.» Alors, maître Jacques Cappel, premier avocat du roi au parlement, s'agenouille humblement et prononce un long discours où il invoque l'exemple de Philippe le Bel.

      Le parlement se prête à cet étrange réquisitoire, quoiqu'en vertu du traité même de Cambray le roi de France ait renoncé à tout droit de suzeraineté. Un héraut se rend bientôt sur les frontières de Picardie pour assigner Charles-Quint: dès que le délai qu'il a fixé, est écoulé, un arrêt du parlement de Paris décide que Charles se trouve, comme rebelle et contumace, privé de tous les avantages que lui a attribués le traité du 5 août 1529, et la première conséquence de cette déchéance est la confiscation des comtés de Flandre et d'Artois, redevenus fiefs de la couronne.

      Une armée française se hâte de recommencer la guerre, pour exécuter la sentence du parlement pendant l'absence de Charles-Quint. Elle s'empare tour à tour d'Hesdin, de Saint-Pol, de Lillers, de Saint-Venant; mais quatre mille fantassins et six cents cavaliers réunis à Merville, sous les ordres du comte du Rœulx, suffisent pour arrêter cette menaçante invasion. Les Français se retirent vers Doulens.

      Au mois de juin 1537, le comte du Rœulx et le comte de Bueren reprennent l'offensive. La ville de Saint-Pol est reconquise; Montreuil capitule, et l'armée impériale, dans laquelle on compte huit mille Flamands, met le siége devant Térouanne. Trêve de dix mois signée à Bomy le 30 juillet 1537. Médiation du pape Paul III. Nouvelle trêve de dix ans conclue le 23 décembre 1538.

      Un gigantesque projet, conçu par le sieur de Castillon, ambassadeur de France à Londres, s'attacha à cette trêve; elle était à peine signée depuis sept jours, lorsqu'il proposa au connétable de Montmorency de détrôner Henri VIII, devenu l'opprobre et le fléau de son royaume, pour partager ensuite l'Angleterre entre François Ier et Charles-Quint. «Le temps, écrivait-il, se présente de telle sorte qu'on ne le peut désirer plus favorable. Butinez entre vous ce pays, afin que l'un et l'autre ait sa commodité. Depuis la Thamise, c'est une lisière cotoyant la Picardie, Normandie et Bretagne jusque devant Brest, et plus outre garnie de beaux ports, qui est une chose autant nécessaire à vostre royaume. En cette lisière est le pays de Galles et de Cornouailles, naturels ennemis du reste de l'Angleterre et ayant langage à part, qui est le nostre, car c'est Breton bretonnant. L'autre costé de la Thamise cotoye pareillement pour l'Empereur, Flandres, Hollande et Zélande, qui luy est semblable commodité. Baillez au roi d'Escosse partie du nord qui est son ancien droit et héritage. Ce faisant, chacun aura profit à cette entreprise.»

      L'harmonie des deux princes n'était ni assez complète, ni assez durable pour mener à bonne


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