La Flandre pendant des trois derniers siècles. Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove

La Flandre pendant des trois derniers siècles - Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove


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Saint n'est autre chose que la raison naturelle.»

      Les doctrines de la réforme s'étaient également bientôt répandues à Gand: malgré la publication de l'édit de Worms du 8 mai 1521, et des édits successifs du 17 juillet 1526, du 14 octobre 1529, du 7 octobre 1531, du 10 juin 1535, du 17 février 1535 (v. st.), elles y avaient pris un si grand développement qu'au mois de juin 1538 le président de Flandre, Pierre Tayspil, annonça à Marie de Hongrie l'existence d'une petite communauté de luthériens et d'anabaptistes aux portes mêmes de Gand. L'année suivante ces doctrines se mêlèrent aux mystères que représentaient publiquement, selon un ancien usage, les povres de sens, de Furnes, les compagnons du Saint-Esprit, de Bruges, de l'Alpha et Oméga, d'Ypres, de la Fleur de Lis, de Dixmude, et d'autres membres des innombrables sociétés de rhétorique alors établies dans les Pays-Bas.

      «Plusieurs lieux pour le temps de lors estoient assez enclins à toutes séditions, commotions et hérésies, et les intentions et désirs de tels et semblables n'estoient que à pillier églises, gens nobles et autres riches, et avec eux plusieurs estrangers se y feussent boutés aians tous les mesmes voullentés et qui ne demandoient que ung tel temps troublé, et lesquels tenoient la secte luthérienne qui régnoit lors par toute la crestienté, qui aussy ne demandoient sinon faire toutes choses communes et entre autres points hérétiques qu'ils soutenoient, c'en estoit l'un... Toute la fin de leur commotion tendoit de faire les riches devenir povres et les povres devenir riches, et en effect, tous biens communs, ce qui estoit l'oppinion de plusieurs luthériens.., et quand les povres rencontroient les riches, en allant leur chemin par les rues, ils leur disoient par grant envye: Passez oultre! le temps viendra de brief que possesserons vos richesses à nostre tour, car vous les avez assez possessées et vous possesserez nos povretés à vos tours; si sçaurez que c'est d'icelles, et nous sçaurons que c'est de vos richesses, et porterons vos belles robes et tous porterez les nostres, qui sont bien laides et de petite valleur.»

      Cette secte portait à Gand le nom de creesers, qu'on n'a pas mieux réussi à expliquer que celui des Huguenots.

      On connaît, d'ailleurs, les projets politiques des creesers. «Toute leur affaire tendoit, porte la relation que nous venons de citer, de faire d'icelle ville de Gand une ville de commune et non subjecte à nul prince, ni seigneur, fors à elle-mesme, comme il y en a plusieurs en Allemagne et en Ytalie.»

      François Ier avait soutenu les villes protestantes d'Allemagne. Les creesers espéraient trouver en lui le même appui. Au mois d'octobre 1538, Marie de Hongrie défend aux Gantois d'envoyer des députés au roi de France. Ils feignent d'obéir, mais un de leurs émissaires, Lupart Grenu, de Tournay, se rend à Fontainebleau, où le roi de France refuse de l'écouter, parce qu'en ce moment il ajoute plus de prix à l'alliance de Charles-Quint qu'au renouvellement des hostilités, quelque favorable qu'il puisse paraître. «Les Gantois, écrit Martin de Bellay, pour mieulx se fortifier et venir à l'effect de leur entreprise, envoyèrent secrètement devers le roy lui offrir de se mettre entre ses mains, comme leur souverain seigneur, et luy offrirent pareillement de faire faire le semblable aux bonnes villes de Flandres: chose que le roy refusa pour n'estre infracteur de foy envers l'Empereur, attendu a trêve jurée entre eux depuis deux ans.»

      (Juillet 1539). Nouvelles remontrances des Gantois. La collace du 8 juillet demande «que l'on deffende les bourgeois et adhérités de cette ville et chastellenie, touchant l'exécution commencée.» L'agitation s'accroît. Le 17 août, les métiers refusent de procéder à l'élection de leurs doyens tant que les prisonniers n'auront point été délivrés. Ils accusent les députés, chargés l'année précédente de porter leurs réclamations à la reine de Hongrie, de ne pas s'être acquittés fidèlement de leur mission. Liévin Borluut les encourage dans leur résistance en leur rapportant que, selon une tradition qui s'était perpétuée dans sa maison, il était arrivé à un comte de Flandre de perdre son comté en jouant aux dés avec un comte de Hollande, mais qu'un de ses ancêtres avait réussi à persuader aux bourgeois de Gand de le lui racheter, et qu'ils avaient dès lors obtenu de ne pouvoir jamais être soumis à des taxes malgré leur volonté. Liévin Borluut se trompait: ses aïeux n'avaient conservé à la Flandre son indépendance et sa liberté que sur le champ de bataille de Courtray, mais le peuple n'en croyait pas moins à l'exactitude de son récit.

      Le 19 août, on arrête à Gand Liévin Pym et Jean Van Waesberghe. Regnier Van Huffel fuit à Bruxelles. Quatre députés de Gand l'y suivent et l'y font arrêter, mais il se place sous la protection des lois du Brabant.

      Dans la collace du 22 août, on insiste pour que l'on interroge les anciens échevins sur les actes de leur administration, sur leur réponse à Marie, et sur la disparition du privilége mentionné par Liévin Borluut, que l'on ne retrouve plus. Il faut, s'écrie-t-on de toutes parts, qu'il soit défendu de faire sortir du blé de la ville, qu'on approfondisse les fossés qui la protégent, qu'on réunisse son artillerie, qu'on arbore publiquement son étendard, qu'on remette la charte de l'achapt de Flandres indiquée par Liévin Borluut; il faut que les bourgeois adhérités dans la ville ne puissent plus se présenter dans les collaces comme membres des métiers; il faut, de plus, que l'on casse le calfvel de 1515, par lequel Charles-Quint a confirmé les conditions imposées par Maximilien aux Gantois dans le traité de Cadzand.

      (23 août.) Tous les métiers prennent les armes. Liévin Pym est conduit vers midi au Gravesteen. Il déclare que la réponse qu'il a adressée à la reine de Hongrie, était conforme aux instructions des échevins des deux bancs. Après l'avoir soumis deux fois à la torture, on obtient de lui cet unique aveu qu'il avait un jour déposé à l'hôtel des échevins, pour qu'elle servît aux serruriers de modèle pour faire une autre clef, celle du secret des priviléges qui lui était confiée. Le 26 août, Liévin Pym est de nouveau soumis à la torture: sa fermeté reste inébranlable, et le grand bailli François Vander Gracht demande, en alléguant le grand âge et les infirmités de l'ancien doyen des métiers, qu'il soit reconduit dans la prison de la ville pour être jugé par les magistrats.

      Cependant les métiers restent assemblés. Ils ne voient qu'un sortilége dans le courage que Liévin Pym a montré; c'est peu qu'ils aient déjà exigé qu'on le rasât, afin de retrouver plus aisément le sceau mystérieux des sorcières et des nécromanciens; ils arrêtent un homme et une femme qu'ils accusent d'avoir exercé sur lui une influence magique. Enfin, le 28 août, ils obtiennent des échevins de la keure, intimidés par leurs menaces, la condamnation de Liévin Pym, et le même jour celui-ci est porté sur un fauteuil, comme le sire d'Humbercourt, sous la hache du bourreau: c'est au pied de cet échafaud que les membres des métiers jurent de nouveau de ne point se séparer tant que le calfvel de 1515 n'aura point été révoqué, serment prononcé sous de tristes auspices, qui ne présageait que la mort à ceux qui invoquaient la mort à témoin de leurs fureurs.

      Tandis que les bourgeois se séparaient avec effroi d'une résistance qui cessait d'être légitime dès qu'elle ne s'appuyait plus sur leurs priviléges, les métiers s'engageaient de plus en plus dans cette voie sanglante, où l'anarchie est invinciblement poussée vers l'abîme par les passions mêmes qui sont son élément et sa vie. Non-seulement ils demandaient que l'on chargeât de chaînes les magistrats qui avaient adhéré au calfvel de 1515; ils voulaient également que l'on supprimât un autre calfvel, celui de 1531, qui réglait les attributions du conseil de Flandre. Le 2 septembre 1539, le cloître des Jacobins, où devait s'assembler la collace, est envahi par quatre ou cinq cents de ces obscurs disciples des théories à demi politiques et à demi religieuses, qui s'appuyaient sur la Bible pour combattre à la fois l'État et l'Église, le prince et le prêtre, ces deux colonnes de la vieille société qu'ils condamnaient. «Nous voulons, répètent-ils, que l'on annule les deux calfvel et le traité de Cadzand, que l'on juge tous ceux qui y ont adhéré, qu'on approfondisse les fossés de la ville, que le guet veille désormais sur les remparts.» En vain le grand bailli, François Vander Gracht, leur représenta-t-il qu'il ne pouvait, sans mériter le dernier supplice, consentir à la révocation d'actes qui émanaient de l'Empereur: ils ne voulurent rien entendre, et il fallut que les trois pensionnaires élus par les bourgeois, les tisserands et les petits métiers, leur livrassent le calfvel de 1515. Les uns le déchirèrent


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