La Flandre pendant des trois derniers siècles. Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove

La Flandre pendant des trois derniers siècles - Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove


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posséder parmi ses savants Louis de Praet, Antoine et Charles Uutenhove, Liévin Goethals, Guillaume Van de Walle, Antoine Stock, Omer Eding, le chartreux Liévin Ammonius et le trésorier de Flandre Liévin de Pottelsberghe. Les autres villes de la Flandre avaient pu choisir, pour compléter cette illustre assemblée, des hommes non moins distingués: le chanoine Jean De Hont, de Courtray; Josse Van de Clichthove, de Nieuport; Jacques Battus, de Bergues; Pierre de Zuutpeene, de Cassel. J'aimerais aussi à y placer un jeune prêtre accouru d'Ypres pour saluer cet aréopage de la science: Jacques Meyer, qui, dès cette époque, se préparait à recueillir les titres historiques des communes flamandes à défaut des titres écrits dans leurs priviléges qu'on lui défendait de reproduire.

      Meyer, animé du noble enthousiasme du poète en même temps que soutenu par les études profondes de l'annaliste, eût pu offrir à Louis de Praet une ode écrite en son honneur, où il lui rappelait l'objet de ses travaux:

      «Toutes les Muses te portent jusqu'au ciel. Les historiens qui racontent tes hauts faits et les poètes qui les chantent, t'appellent leur père et leur Mécène. Tu es notre gloire et l'honneur de notre pays, ô toi qui comptes parmi tes ancêtres les rois et les princes auxquels a obéi la Flandre. Par quelles louanges pourrais-je assez te célébrer? La noblesse de ton origine est rehaussée par tant de vertus, elle s'est révélée au monde par tant d'actions éclatantes que lors même que le vieil Homère, chantre des rois de la Grèce, reviendrait parmi nous, ses vers seraient inutiles à ta gloire.»

      Dans un de ces banquets où les bons mots et les saillies ne craignaient pas d'emprunter leur forme aux dialogues d'Aristophane ou bien aux satires de Perse et de Juvénal, Thomas Morus avoua à Érasme qu'il était disposé à accepter les fonctions publiques que lui offrait Henri VIII, et son ami ne trouva, pour l'en dissuader, que le souvenir de Phocion, qui se consolait d'un supplice injuste en disant qu'il valait mieux périr innocent que coupable. Thomas Morus ne se rappela les conseils d'Érasme que lorsqu'il imita Phocion, en refusant de se rendre aux instances des siens, qui le pressaient de fuir pour se dérober à la mort.

      Érasme avait également été prophète quand il s'était effrayé des résultats des conférences de Bruges pour la paix de l'Europe. Un traité de ligue offensive et défensive avait été conclu entre Charles-Quint et le cardinal Wolsey, mais il devait, pendant quelque temps, rester secret.

      Des conférences entre les plénipotentiaires flamands et français s'ouvrirent inutilement à Calais. François Ier rejeta les prétentions de l'Empereur, qui réclamait la Bourgogne et voulait affranchir la Flandre et l'Artois de tout lien de suzeraineté, et il résolut même de l'ajourner comme son vassal devant le parlement de Paris.

      Déjà la guerre recommençait en Italie et sur les frontières des Pays-Bas. Au mois de novembre 1521, les Français s'emparèrent inopinément d'Hesdin. Martin du Bellay rapporte qu'on y trouva «un merveilleux butin, car la ville estoit fort marchande parce que de toute ancienneté les ducs de Bourgogne y avoient faict leur demeure.»

      La perte d'Hesdin fut bientôt vengée par la prise de Tournay, qui ouvrit ses portes au sire de Fiennes le 30 novembre 1521, après avoir obtenu des garanties pour la conservation de ses vieilles franchises.

      (24 mai 1522). Charles-Quint quitte Bruges et se rend en Espagne, après s'être arrêté à Londres pour confirmer son alliance avec Henri VIII. Conformément à cette alliance, le duc de Suffolk débarque en France: le comte de Bueren le seconde à la tête de l'armée impériale et s'avance jusque sous les murailles de Paris, après s'être emparé de Roye et de Montdidier.

      (24 février 1524, v. st.). Bataille de Pavie. François Ier demeura prisonnier: dès qu'il eut été pansé, il alla rendre des actions de grâces à Dieu dans une église où ses yeux s'arrêtèrent sur ce verset du psalmiste: «Seigneur, vous m'avez abaissé afin que je puisse désormais mieux connaître et craindre votre justice.» Cela lui toucha fort au cœur, dit Brantôme.

      Charles de Lannoy, qui reçut l'épée de François Ier, était un chevalier flamand, aussi bien que Denis de Morbeke à qui le roi Jean remit la sienne.

      Grandes réjouissances en Flandre. Le 8 mars, la proclamation suivante fut publiée dans la plupart des villes:

      «Qu'il soit connu que les magistrats ont reçu la nouvelle certaine que le 24 février dernier l'armée de l'Empereur notre très-redouté seigneur a attaqué et combattu celle des ennemis. Le roi de France a été fait prisonnier: quatorze mille de ses hommes d'armes ont péri, et le surplus des siens qui s'étaient enfuis, a été pris ou tué, de telle sorte que personne n'a réussi à s'échapper. Le présent avis est donné afin que chacun rende immédiatement des actions de grâces à Dieu tout-puissant: tous les monastères sont également invités à faire sonner leurs cloches pour remercier Dieu, à qui nous devons cette grande victoire.»

      On chantait en Flandre:

      «Le roi de France est tombé en notre pouvoir. Jamais nouvelle ne causa dans notre pays plus de joie.

      «Maison de Bourgogne, tu n'as plus rien à redouter; lion de Flandre, cesse de gémir. Le roi de France a été fait prisonnier: aucun jour ne fut jamais plus heureux pour nous.

      «Flamands, vous pouvez vous abandonner à votre allégresse: c'est près de Pavie que le roi de France a été pris au milieu du combat. La plupart de ses hommes d'armes ont péri; aucun n'a réussi à fuir. Dieu nous promet encore des temps prospères.»

      Charles-Quint mérita cette victoire en rehaussant les qualités d'un grand prince par l'humilité des vertus religieuses. Dès qu'il la connut, il se retira dans sa chapelle et se déroba aux flatteries de ses courtisans pour remercier le Ciel de sa protection; puis il fit défendre qu'on célébrât par des fêtes un succès obtenu sur des chrétiens. Il n'ordonna que des prières, en disant qu'il fallait les rendre plus solennelles par une piété profonde et non point par une pompe extérieure. Il voulut aussi que dans les sermons l'on s'abstînt également de louanges pour son nom, d'outrages contre celui du roi de France, pour ne parler que de la puissance et de la bonté de Celui qui tient dans ses mains le sort des armées, modération bien rare chez un empereur de vingt-cinq ans, magna cum admiratione in ætate jam tenera.

      Lorsque le docteur Sampson, envoyé de Henri VIII, se rendit près de lui pour le féliciter, il se contenta de lui répondre qu'il espérait que la victoire de Pavie permettrait d'établir la paix sur des bases stables et de se réunir pour assurer la défense de l'Église contre les infidèles en même temps que sa tranquillité intérieure; il déclarait qu'aucune ambition ne le portait à profiter de ses succès afin d'agrandir ses possessions, déjà assez vastes pour qu'il demandât chaque jour à Dieu qu'il lui fût donné de suffire à la tâche immense de les gouverner. «Ces paroles si remarquables et si sages, ajoute l'ambassadeur anglais, furent prononcées avec tant de douceur et de grâce qu'en trouvant chez l'Empereur cette admirable modération dans les sentiments, dans les paroles et dans la conduite, je ne pus m'empêcher, quelle que fût ma joie de la victoire de Pavie, de m'applaudir encore plus qu'elle fût en des mains qui s'en montraient si dignes: car je vous assure que rien n'était changé en lui; rien ne révélait l'arrogance, l'orgueil ou l'effusion de la joie; mais il rapportait toutes choses à Dieu avec d'humbles actions de grâces: c'est ainsi que j'ai appris moi-même, par ce mémorable exemple, à honorer la modération plus que ne me l'avaient enseigné tous les livres que j'aie jamais lus.»

      Le sire de Lannoy avait écrit à l'Empereur:

      «Sire, nous donnâmes hier la bataille, et plut à Dieu vous donner victoire, de sorte que avez le roi de France prisonnier... Sire, la victoire que Dieu vous a donnée a été le jour de saint Mathias, qui est jour de votre nativité. Du camp là où le roi de France étoit logé, devant Pavie, le 25 février 1525.»

      Charles-Quint répondit au sire de Lannoy:

      «Maingoval, puisque m'avez prins le roi de France, je crois que je ne me saurois mieux employer, si ce n'est contre les infidelles. J'en ai toujours eu la volonté. Aidez à bien dresser les affaires afin que avant je devienne beaucoup plus vieux, je fasse chose par où Dieu veut être servi. Je me dict vieil parce qu'en


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