Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron. Ciceron
des anciens, et il lui arrive même quelquefois d’y mêler des observations qui lui appartiennent ; mais, parler sur l’art oratoire (et c’est ce qu’il a fait ) n’est rien pour l’orateur il doit surtout parler suivant les règles de cet art et il est facile de le voir, ce talent manquait à Hermagoras. Ainsi nous adoptons l’opinion d’Aristote sur la matière de la rhétorique.
VII. Les parties sont, comme on l’a si souvent répété, l’invention, la disposition, l’élocution, la mémoire et le débit. L’invention trouve les moyens vrais ou vraisemblables qui peuvent soutenir la cause. La disposition est l’art de les distribuer et de les mettre en ordre. L’élocution revêt des idées et des expressions convenables les choses créées par l’invention. La mémoire retient d’une manière sûre et inaltérable les pensées et les mots. Le débit règle le geste et la voix, et les proportionne aux idées et aux paroles.
Ces principes une fois posés en peu de mots, je remets à un autre temps ce que j’aurais à dire sur le genre, le devoir et la fin de la rhétorique ; car j’aurais besoin de longs développements qui n’appartiennent pas si intimement à l’exposition des préceptes de l’art ; et, pour faire un traité de rhétorique, il faut s’occuper surtout de la matière de l’art et de ses différentes parties. Telle est mon opinion, et il me semble convenable de traiter ces deux objets à la fois. Je vais donc parler de la matière et des parties de l’art. Comme l’invention est la première de toutes, nous commencerons par la considérer dans tous les genres de causes.
VIII. Tout ce qui contient quelque sujet de controverse de débat ou de discussion, renferme une question ou de fait, ou de nom, ou de genre, ou d’action. La question d’où naît la cause s’appelle état de cause ou de question. L’état de question est le premier conflit des causes ; il naît de la défense « Vous avez fait cette chose. Non, ou j’ai eu droit de la faire. » La discussion roule-t-elle sur les faits comme les conjectures appuient votre cause, c’est un état de question conjectural ; sur le nom comme il faut définir le sens des mots, c’est un état de définition. Quand il s’agit de qualifier la chose même, comme la discussion roule sur son genre et sa nature, c’est un état de question de genre. Si le demandeur n’a pas droit d’intenter son action, s’il accuse celui qu’il ne doit pas accuser, s’il n’a pas bien choisi son tribunal, le temps, la loi, l’accusation, comme il faut que la cause soit changée et portée à un autre tribunal, l’état de question s’appelle état de récusation. Toute cause doit offrir nécessairement quelqu’une de ces questions, ou bien il n’y a pas de point de discussion, et par conséquent pas de cause.
La discussion du fait peut se rapporter à tous les temps Au passé : « Ulysse a-t-il tué Ajax ? » Au présent : « Les habitants de Frégelles sont-ils bien disposés pour les Romains ? » A l’avenir « Si nous laissons subsister Carthage, en résultera-t-il quelque inconvénient pour la république ? »
C’est une question de nom quand, en convenant du fait, on cherche quel nom il faut lui donner. Si l’on conteste sur le nom ce n’est pas qu’on ne soit d’accord sur la chose, que le fait ne soit pas constant ; mais comme chacun voit ce fait sous un point de vue différent, chacun lui donne un nom différent. Dans les causes de cette espèce, il faut recourir à la définition, à une courte description. Par exemple : « On a dérobé des vases sacrés dans un lieu profane ; le coupable doit-il être jugé comme voleur ou comme sacrilège ? »Dans ce cas, il faut, des deux côtés, définir le vol, le sacrilège, et montrer par sa définition que les adversaires ne donnent pas au délit dont il s’agit le nom qui lui convient.
IX. Si le fait est constant, si l’on est d’accord sur le nom qu’on doit lui donner, et que néanmoins on examine son étendue, sa nature, en un mot quel il est, s’il est juste ou injuste, utile ou nuisible, sans disputer sur le nom qu’il mérite, sans chercher autre chose que son véritable caractère, c’est une question de genre.
A cette division Hermagoras rattache quatre espèces la question délibérative, la question démonstrative, la question juridiciaire, et la question matérielle. Cette erreur assez grossière me semble mériter d’être réfutée, mais en peu de mots. La passer sous silence serait laisser croire que je me suis écarté sans raison de l’opinion de ce rhéteur ; une trop longue discussion sur cet objet me retarderait inutilement, et m’empêcherait de tracer en liberté la suite de ces préceptes.
Si le genre délibératif et le genre démonstratif sont des genres de cause, on ne peut sans erreur les regarder comme des espèces de quelque genre. La même chose peut bien être appelée genre par les uns, espèce par les autres ; mais elle ne saurait, pour le même juge, être genre et espèce à la fois. Or le délibératif et le démonstratif sont des genres car, ou il n’y a pas de genre, ou il n’y en a pas d’autre que le judiciaire, ou bien il y a le délibératif le démonstratif et le judiciaire. Avancer qu’il n’y a pas de genre de cause, mais qu’il y a différentes causes, et donner des préceptes pour les traiter, est une folie. D’un autre côté, comment le genre judiciaire pourrait-il exister seul lorsque le délibératif et le démonstratif, si différents entre eux, ont encore moins de rapport avec le judiciaire, lorsque chacun d’eux se propose un but particulier ? il en faut conclure qu’ils sont tous trois des genres ; on ne peut donc considérer le démonstratif et le délibératif comme les espèces de quelque genre. C’est donc à tort qu’Hermagoras les a considérés comme des espèces de la question de genre.
X. Que si l’on ne peut les considérer comme des espèces d’un genre de cause, on se trompe plus lourdement encore en les faisant espèces d’espèces. Car la question entière est une partie de la cause, puisque ce n’est pas la cause qui s’applique à la question, mais la question à la cause. Mais si le délibératif et le démonstratif, parce qu’ils sont des genres, ne peuvent être considérés comme les espèces d’un genre de cause, encore moins doit-on les regarder comme des espèces d’espèces, ainsi que l’a fait Hermagoras. D’ailleurs, si repousser une accusation constitue la question elle-même, ou une partie de la question, ce qui ne repousse pas l’accusation ne peut être ni la question, ni une partie de la question. Or si ce qui ne repousse pas l’accusation ne peut être ni la question, ni une partie de la question, le délibératif et le démonstratif ne sont ni la question, ni une partie de la question. Si donc repousser l’accusation constitue, ou la question, ou une partie de la question, le délibératif et le démonstratif ne sont ni la question, ni une partie de la question. Mais Hermagoras prétend que repousser une accusation constitue la question. Qu’il dise donc aussi que le délibératif et le démonstratif ne sont ni la question ni une partie de la question. Et soit qu’il appelle question les premiers moyens dont s’appuie l’accusateur ou la première défense de l’accusé, il se trouve toujours dans le même embarras ; car il rencontre toujours les mêmes écueils.
Ensuite, une cause de conjecture ne peut à la fois, sur le même point, et dans le même genre, être cause de conjecture et cause de définition. D’un autre côté, une cause de définition ne peut à la fois, sur le même point, et dans le même genre, être cause de définition et cause de récusation. Nulle question enfin, nulle partie de question ne peut en contenir une autre, parce que chacune d’elles est prise en elle-même, et considérée isolément d’après son essence. Ajoutez-en une nouvelle, le nombre des questions est augmenté, mais la question n’a pas plus d’étendue. Mais une cause délibérative renferme ordinairement, sur le même point, et dans le même genre, une et quelquefois plusieurs questions de conjecture, de genre, de définition et de récusation. Elle n’est donc ni la question elle-même, ni une partie de la question. Il en est de même pour le démonstratif. Il faut donc les considérer comme des genres de cause, et non comme des espèces de quelque état de question.
XI. Ainsi, ce que nous appelons question de genre renferme deux parties : la question juridiciaire, qui discute le droit et le tort, qui décide si l’on mérite peine ou récompense ; la question matérielle, où l’on examine tout ce qui appartient au droit civil et à l’équité. Cette dernière est du domaine des jurisconsultes.
La question juridiciaire se subdivise elle-même en absolue et en accessoire. Elle est absolue quand elle renferme