Voyages loin de ma chambre t.2. Dondel Du Faouëdic Noémie

Voyages loin de ma chambre t.2 - Dondel Du Faouëdic Noémie


Скачать книгу
Altesse désirerait s’en servir et je suis chargé de vous en demander l’autorisation.

      – Je ne prête pas mes voitures.

      – Alors, son Altesse se verra, à son grand regret…

      – Faites ce que vous voudrez, ce sera un vol de plus, voilà tout.

      – Oh! on vous les rendra.»

      Maintenant, pourquoi ces messieurs avaient-ils besoin des voitures du marquis de Biencourt?

      Tout simplement pour s’y promener en compagnie d’une douzaine de drôlesses qu’ils avaient fait venir pendant l’armistice. La petite fête terminée, les voitures furent rendues à leur propriétaire.

      Le lendemain, Frédéric-Charles passait une revue en face du château.

      Tout à coup au milieu de la revue, on vit une grande flamme devant la porte principale. C’étaient les cinq voitures qui brûlaient; monsieur le marquis de Biencourt ne voulant plus s’en servir après ceux qui les avaient souillées, avait ordonné d’y mettre le feu.

      Voilà un trait bien français et qui mérite d’être conservé.

      C’est toujours ce même esprit chevaleresque qui dictait un jour cette noble parole d’un gentilhomme à Charles-Quint. Celui-ci le sollicitait de recevoir le Connétable de Bourbon, c’était après la bataille de Pavie. Le gentilhomme répondit: «J’obéirai, Sire, mais je vous préviens que le jour même où le traître aura quitté ma demeure, j’y mettrai le feu de mes propres mains, car jamais, ni moi ni les miens ne resterons dans le logis d’un traître.»

      CHENONCEAUX

      Chenonceaux, situé au dire de nos rois de France «en un beau et plaisant pays,» est un château d’un aspect très particulier, et me semble unique en son genre.

      Nous y sommes allés par bateau à vapeur. Lorsqu’on a le temps, et qu’on veut bien voir, le bateau est infiniment plus agréable que la locomotive qui passe trop rapidement.

      Nous arrivons donc au quai d’embarquement au coup de huit heures, heure annoncée pour le départ. Le bateau n’est pas beau, c’est un petit patouillard qui se repose tout l’hiver, et ne se met en route qu’une ou deux fois par semaine l’été, lorsqu’il trouve un nombre suffisant d’excursionnistes à promener. Un seul homme est à bord, faisant le service et cumulant les emplois. Il est mécanicien, chauffeur, serviteur, etc. Son costume se ressent de son métier. Il porte un vieux pantalon de velours rapé, et une chemise qui semble n’avoir jamais eu de démêlés avec la blanchisseuse.

      La vapeur mugit, un long panache de fumée se déroule dans l’air, le bateau semble prêt à démarrer, et cependant nous ne partons pas. Huit heures et demie viennent de sonner à toutes les horloges. Le mécanicien, à plusieurs reprises, a jeté des regards anxieux du côté de la ville. Evidemment il attend quelqu’un. En effet nous apercevons dans le lointain une dame et une petite fille de cinq à six ans, qui accourent de toutes leurs jambes vers le bateau. Enfin! dit le mécanicien, et il s’empresse de donner le signal du départ. J’examine les nouvelles voyageuses.

      La dame, en robe de laine noire, me paraît trop simplement mise pour être la mère de l’enfant en ravissante toilette de cachemire blanc, ornée de dentelles crêmes avec capote assortie d’une rare élégance, et mignons souliers de cuir blanc à boufettes de satin, et je me dis en moi-même: la dame, c’est une gouvernante, et la petite fille est sans doute l’heureuse héritière de quelque beau château que nous allons rencontrer sur notre route. Bientôt la dame ouvre un panier, en tire des poires et du pain qu’elle dépose sur une sorte de table pliante et la petite fille se met à manger. Cela m’étonne un peu… Soudain l’homme du bord, noir comme un cyclope, le cou et les bras nus, la barbe et les cheveux en broussailles, sort de la soute au charbon et s’approche de ces dames. Mon sentiment est qu’il ne se gêne pas; mais, comment peindre ma surprise quand je l’entends tutoyer la petite fille: «As-tu fini de manger? Puis il ajoute (je n’en croyais pas mes oreilles): Allons, embrasse papa maintenant! A ces mots l’enfant devient maussade. Elle jette un rapide coup d’œil sur son père d’abord, sur sa belle toilette ensuite, et répond en s’enfuyant: non, non tu es trop sale!.. C’était le cri du cœur, et la mère avait l’air d’approuver sa fille! Le père sans se fâcher, trop fier d’ailleurs de sa progéniture, s’en fut chercher le balai pour nettoyer les miettes de pain et les pelures de poires.

      Il y a des gens qui sont en avant sur leur siècle, moi je suis en retard; j’étais aussi indignée contre les parents que contre l’enfant. Quelle réponse! mais aussi quelle éducation! Quoi! ce sont les parents eux-mêmes de cette fillette, qui dès sa plus tendre enfance, commencent à en faire une déclassée!

      Comment tournera la jeune fille dont on aura développé des goûts trop au-dessus de sa condition. Il faudrait une bien forte dose de raison et de vertu pour résister à la tentation. Il est à craindre qu’à dix-huit ans, elle ne méprise tout à fait son père et ne cherche des gens de bonne volonté pour lui payer des toilettes.

      J’ai fait part de mes réflexions. Mes amies m’ont traitée d’arriérée, de réfractaire au progrès… L’une d’elles s’est écrié: «La soie est à qui la paie et les parents ont bien le droit de mettre leurs enfants comme ils veulent.» L’autre a dit: «Si cela les amuse de les habiller comme des gravures de mode, c’est leur affaire; d’ailleurs l’étoffe de laine blanche n’est pas plus chère que l’étoffe de laine noire. L’argument m’a paru triomphant, je n’ai pas cherché à le combattre, j’ai laissé les personnes pour revenir aux choses, pour revenir aux beautés de la nature qui défilaient sous mes yeux.

      Les rivières se montrent parfois jalouses des fleuves dont elles sont tributaires. C’est le cas pour le Cher dont les rives, sur un moindre espace sans doute, sont belles à l’égal de celles de la Loire. Quel délicieux paysage, calme, reposé, plein de fraîcheur! Ah! les jolis bosquets feuillus et les jolies prairies d’herbe lisse et moirée! Le Cher tout ensoleillé se déroule comme un collier d’or dans un écrin de velours vert.

      Il me semblait humer la brise d’antan, et j’avais plaisir à me repaître de tant de souvenirs historiques enfouis sous les feuillées.

      Rien d’original et de grandiose comme l’aspect de Chenonceaux, de ce château en partie assis sur un pont, bâti lui-même sur les piles énormes d’un ancien moulin. Ses arches massives, profondes, barrent entièrement la rivière; vous passez en bateau sous le château avant d’y entrer; une superbe galerie, surmontée d’un second étage, s’étend sur toute la longueur du pont. Les premières arches sont creuses et renferment les caves, les cuisines, les pièces de service et de dégagement.

      Chenonceaux remonte très loin dans l’histoire, puisqu’on assure que les Romains, séduits par son site enchanteur, y avaient construit une ravissante villa; on fouille le passé de Chenonceaux sans effroi, sans arrière pensée, la politique n’est pas venue là ourdir ses trames, le sang n’a pas rougi ses pierres, on n’évoque aucun fantôme de victime ou d’assassin; la beauté, l’amour, le plaisir, les arts, l’ont tour à tour habité. J’ai trouvé délicieuse cette journée passée dans cette royale demeure, où j’ai pu laisser ma pensée errer au milieu des plus charmants souvenirs. Diane de Poitiers y apporta l’éclat de sa beauté; Marie Stuart y passa calme et souriante le plus heureux temps de sa vie; Catherine de Médicis qui acheva cette merveille et y entassa les chefs-d’œuvre de sa patrie, vint s’y reposer et oublier les intrigues de la Cour; la reine Marguerite s’y amusa; Louise de Lorraine vint y cacher sa douleur après l’assassinat de son mari par Jacques Clément, et pleurer sous les ombrages mystérieux et profonds qui nous abritent encore. Elle ne sortait de sa retraite que le samedi pour aller entendre la messe à l’église de Francueil, toujours habillée de blanc, suivant l’étiquette du deuil des reines, ce qui l’avait fait surnommer par le peuple qui la voyait passer, la Reine blanche.

      Plus tard, Gabrielle d’Estrée fredonna à Chenonceaux les chansons amoureuses que le bon roi Henri composait pour elle. Marie de Luxembourg et Françoise de Lorraine appellent Chenonceaux


Скачать книгу